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Ouverture

On observe dans un premier temps l’enrôlement dans l’activité de lecture par le pointage 13 gestuel et verbal (129 M. je voudrais qu’on lise cette phrase là (montre la phrase)) de la phrase à lire 14, ce qui relève de l’enrôlement si on reprend les fonctions de l’étayage listées par Bruner (1983, p. 277). Les élèves identifient spontanément Adrien qui a. Puis l’enseignant effectue une réduc-tion de la tâche en focalisant sur l’unité « Adrien se rendort ». Le prénom du héros ayant été reconnu, il s’agit pour les élèves de lire « se rendort ».

Cette tâche va articuler trois formats complémentaires.

Format visant la connaissance d’opérations qui permettent la construction de sens à partir du cotexte et de l’expérience des élèves

L’enseignant signale (« moi je pense à » : nouvel enrôlement) la position énon-ciative pertinente pour lire des récits et comprendre les actions du person-nage en tissant les informations connues (« ce pauvre Adrien ») antérieures à l’extrait du texte à lire avec les savoirs des élèves sur le monde.

129. M. […] alors moi je pense à ce pauvre Adrien qui a marché qui est [E fatigué] 15 qui a [E sommeil]

130. E il est épuisé

131. M. eh bien il est épuisé/ il a sommeil. Qu’est-ce qu’il fait ? 132. E il se repose / E il s’endort

[…]

137. E ah oui/j’ai trouvé/ (vient au tableau montrer il se rendort en disant) il se repose L’enseignant verbalise (129 « moi je pense à…») une activité de lecteur capable de se mettre à la place du personnage et focalise ainsi sur sa descrip-tion (« ce pauvre Adrien qui… ») ce qui conduit les élèves à lister les caracté-ristiques déterminantes via des reformulations (épuisé, fatigué, a sommeil) pour réduire les possibles narratifs selon la perspective brunérienne, et per-mettre d’en anticiper les conséquences.

L’orientation sémantique (qui a marché) et syntaxique (qui est…, qui a…) par le maitre permet aux élèves de s’appuyer sur leur expérience pour propo-ser des possibles sémantiques et syntaxiques acceptables dans le contexte (fatigué, épuisé… sommeil). Puis la question « Qu’est-ce qu’il fait ? » conduit à un changement de focalisation d’un état (fatigué) vers ses conséquences (il se rendort).

13. Les gestes professionnels langagiers constitutifs des formats et donc du scénario sont en caractères gras.

14. Les citations du texte à lire sont soulignées.

15. Le texte entre crochets signale l’irruption d’énoncés des élèves dans l’énoncé magistral.

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L’articulation entre la fatigue et le sommeil impulse la cohérence narrative qui conduit à la proposition conclusive d’un élève « j’ai trouvé / il se repose ».

On constate sur ces quelques échanges que les élèves ont une attitude res-ponsive (Jakubinskij, 1923) et créatrice (François, 1990), étant forces de pro-position dans le cadre syntaxique et sémantique proposé par l’enseignant et qu’ils acceptent (129, 130, 132). Cependant, cette dernière proposition, accep-table sémantiquement et syntaxiquement, ne peut pas être évaluée positive-ment par le maitre puisqu’elle ne tient pas compte du code phonographique (rendort et non repose) et signale une pratique « quotidienne » et non « scien-tifique » (au sens vygotskien) d’enfants non lecteurs. Ce premier format, dans lequel l’enseignant déploie un mode opératoire appuyé sur une connaissance du monde pour montrer aux élèves comment construire des significations, s’avère inefficace pour lire le mot rendort et rend nécessaire un nouveau for-mat qui vise la vérification par le déchiffrement.

Format visant l’utilisation du code pour déchiffrer et contrôler son activité de construction du sens

La proposition « se repose » pour « se rendort » atteste de l’ébauche de mise en œuvre d’une opération de tissage entre sens et code (nombre de mots, lettres communes). Pour dépasser la proposition première et rendre néces-saire l’exhaustivité du déchiffrement, l’enseignant déroule une stratégie ordinaire de prise en compte de tous les graphèmes qui selon nous peut être analysée en termes de format.

137. M. regardez bien

138. E. il y a un E 16 / et y a un [d]

139. M. y a un [d] et y a pas 140. E P

141. M. (le maitre entoure le en et le pointe) ça on connait 142. E [ã]

143. M alors il se r

144. E ren/ (le maitre pointe la syllabe-racine dort) dort/ rendort/ il se rendort 145. M. voilà il se rendort/ je crois qu’on avait vu un mot/

Il pointe dans un premier temps la forme écrite du mot à lire (« regar-dez bien ») qui vise à enrôler dans l’activité. Il suscite la description par les élèves « il y a… » et l’oriente « y a …et y a pas… », ce qui invalide la proposition

« repose ».

Puis, il convoque la mémoire didactique (« ça on connait »), geste lan-gagier qu’il accompagne en entourant le digramme EN. Il pointe ainsi, pour les élèves, une opération nécessaire en lecture qui consiste à s’appuyer sur leurs connaissances antérieures pour proposer « il se rendort » qui résulte du

16. Les majuscules réfèrent aux lettres et à leur nom. L’utilisation des crochets réfère au phonème.

tissage entre le déchiffrement et la prise en compte des contraintes séman-tiques et syntaxiques stabilisées lors du premier format.

Cette proposition conclusive (145) est évaluée positivement par le maitre (146) « voilà/il se rendort ». Dans ce format, les élèves, par un travail conscient et volontaire, mobilisent les connaissances acquises sur le système graphophonologique et, sous le guidage du maitre (« alors il se r »), transfor-ment des savoirs déclaratifs en savoir opératoire, amorçant ainsi la pratique de la combinatoire.

L’unité est lue et comprise grâce au croisement des savoirs sur le monde et le déchiffrement convoqués dans les deux formats successifs, ce qui pour-rait être suffisant pour avancer dans la lecture du texte et non pour apprendre à lire.

Format visant la construction du code

L’enseignant profite alors des tâtonnements des élèves dans l’utilisation du code pour introduire un temps de travail sur son fonctionnement. Dans ce but il mobilise la comparaison de deux mots proches, pour identifier des unités minimales distinctives que sont les graphèmes, leurs différences et l’intérêt de leur permutabilité pour lire un nouveau mot.

148. M. oui il me semble qu’on avait vu / Adrien il s’endort dans le 16 17 / vous le voyez il s’endort/ regardez bien qu’est-ce qui change/ qu’est-ce qui remplace quoi dans / dort / s’endort et rendort […]

153. M. Émilie tu le vois/ fatigué il s’endort/ vous le voyez il s’endort 154. EE oui (une enfant vient le montrer)

155. M. fatigué il s’endort (elle entoure avec sa baguette le verbe s’endort)/ et ici (elle revient au texte du jour) nous avons dit Adrien qui a hum hum se Rendort/

regardez bien qu’est-ce qui change/ qu’est-ce qui remplace quoi/ dort et rendort qu’est-ce qui change/ oui alors Mathieu

156. Mat. dans celui qui est dans le 16 y a pas de R et dans celui qui est dans le 18 il y en a un

157. M. alors celui où il n’y a pas de R qu’est-ce qu’il y a 158. Mat. un S

159. M. un S et l’on dit SSS’endort/ et celui où il n’y a pas de S mais un R on dit RRendort/ le S a changé/ c’est un R on dit se Rendort/ donc Adrien qui a hum hum se rendort/ […]

Nouvel enrôlement, l’enseignant pointe dans un premier temps (148, 153, 155 « vu », « vous le voyez », « regardez bien ») la forme écrite du mot à lire (s’endort/rendort). Il réduit le champ d’exploration (degré de liberté au sens de Bruner), suscite la description par les élèves (156 et « y a pas de… », « il y

17. L’enseignant désigne l’affiche numérotée d’un texte de l’album lu précédemment.

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en a un ») et l’oriente (157 « qu’est-ce qu’il y a »), puis montre (démonstration pour Bruner) le fonctionnement de la combinatoire à partir de la substitution d’un graphème (159) ce qui légitime la proposition acceptée par le maitre en 146.

Ce format constitue une boucle métalinguistique qui vise à mettre en évi-dence l’importance des connaissances sur le code et à transmettre un savoir-faire propre à la lecture, encore balbutiant au début de l’année. En effet, si les élèves identifient des différences graphiques, ils ne savent pas encore systé-matiser la combinatoire et sont dans une posture scolaire d’observation.

Ces gestes professionnels sont organisés suivant un même schéma, même s’il connait des variantes, ce qui nous permet de parler de format. On constate dans chacun des formats la récurrence de gestes professionnels que l’on peut identifier quel que soit l’apprentissage : pointage, orientation, description, changement de focalisation, tissage, évaluation… Cependant les savoirs convoqués sont spécifiques de la lecture qui met en jeu, de manière récurrente, les formats constitutifs du scénario.

La convocation successive des trois formats complémentaires et leur arti-culation, grâce à des gestes professionnels de tissage (« alors moi je pense »,

« regardez bien », « mais il y a autre chose aussi »…) permet à des élèves apprentis lecteurs, qui ne pourraient pas lire le texte de manière autonome, de lire cette première MUT. De notre point de vue, c’est leur mise en synergie qui constitue le premier scénario, chacun des formats pris isolément ne per-mettant pas de lire.

Le deuxième scénario : ébauche d’intériorisation par