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Cela étant précisé, les moments identifiés ne sont pas à penser séparément.

Ils constituent des étapes que facilite la régularité des rassemblements. Les acteurs du dispositif sont inscrits dans une organisation collective qui conduit chacun vers une formalisation finale partagée, écrite et publiée. Ces moments tissent des liens entre expériences individuelles, partage de ces expériences et mobilisation des connaissances, à des fins d’anticipation pour d’autres situations comparables. Ils accompagnent un processus de verbalisation, réflexivité, régulation (Nonnon, 2017 ; Vanhulle, Balslev, & Buysse, 2012).

Les enseignants engagés dans cette formation sont volontaires et moti-vés. En amont du dispositif, ils ont déjà construit une posture réflexive sur leurs pratiques ou tout du moins souhaitent engager ce travail. Cela peut constituer un « terrain » favorable à l’accueil des propositions qui émanent du dispositif lui-même. Ce dispositif, par l’activité de verbalisation qu’il donne à vivre, pourrait opérer comme un accélérateur du développement profession-nel chez ses participants. Mettre en mots son expérience, dans un contexte spécifique de communication (regroupement départemental ou académique), entre pairs avec ou sans formateur ou médiateur et avec des chercheurs, revient à partager son expérience et à l’inscrire dans divers contextes dis-cursifs. La verbalisation contribue à la construction ou à la consolidation de la communauté discursive (Maingueneau, 2002) des enseignants réunis et devenus partenaires, d’autant plus que chaque regroupement est une nou-velle invitation à présenter les projets en cours. Le renforcement du sentiment d’appartenance au genre enseignant s’élabore donc progressivement. Après écriture des projets, les premières mises en commun orales entre les groupes rassemblés en départements nécessitent, pour chacun, de mettre en mots sa pratique, de la mettre en tension par rapport à un projet commun. Ce partage inscrit les énoncés individuels dans une production discursive plurielle dès lors que sont réunis, autour des médiateurs de Canopé, des enseignants du premier degré et du second degré, mais aussi des CPC et des représentants des corps d’inspection. L’altérité relative des acteurs ainsi regroupés peut favoriser la prise de distance de chacun par rapport à sa pratique. Dans le même temps, la participation à des groupes de réflexion invite leurs partici-pants à se fédérer, notamment dans le cadre du projet d’écriture profession-nelle consistant à la publication d’un ouvrage commun, dont Canopé assure l’institutionnalisation. Lors des échanges verbaux se construit ainsi un dis-cours commun, coupé des réalités vécues dans l’immédiateté des expérimen-tations. C’est ce discours commun qui devient la référence de tous : fédérant le groupe, il y renforce la place de chacun.

Le travail de conception d’une grille d’analyse des indices de développe-ment professionnel dans différents modéveloppe-ments de verbalisation a donné lieu à une première analyse exploratoire des verbalisations de deux enseignantes.

Il montre que les indicateurs choisis permettent réellement de repérer du

développement professionnel chez Jeanne comme chez Catherine. Le cadre construit permet non seulement d’identifier des indices de ce développement professionnel, mais aussi de décrire et de mieux comprendre les processus singuliers dans des phases différentes.

Par ailleurs, dans les réunions de travail observées, plusieurs acteurs de l’enseignement étant rassemblés (enseignants, conseillers pédagogiques, formateurs), nous avons pu repérer qu’ils adoptent des postures énoncia-tives liées à leur statut : les cadres formateurs posent les questions, tandis que les enseignants tendent à limiter leurs interventions à leurs témoi-gnages et à la formulation de réponses aux questions qui leur sont posées sur leurs pratiques. Notre hypothèse est donc que ces moments de verba-lisation se constituent en occasions de repositionnement discursif et, par voie de conséquence, identitaire au sein de groupes professionnels : chaque enseignant se positionne par rapport à son groupe puis par rapport au pro-jet global de formation et d’édition. D’élargissement en élargissement énon-ciatif, les récits et analyses des deux enseignantes observées s’inscrivent dans l’élaboration et le renouvèlement du discours commun, formalisant des manières d’agir, penser, parler partagées au sein du dispositif académique de formation continue.

Pour le chercheur, les types de verbalisation dans différents moments ont un rôle important dans la compréhension du développement profession-nel des enseignants, mais qu’en est-il pour les autres intervenants de l’ac-compagnement pluriel et pour les enseignants eux-mêmes ? Pour répondre à cette question, une piste intéressante serait de considérer ces verbalisa-tions comme des artéfacts et d’analyser les genèses instrumentales au sens de Rabardel (1995) à différents niveaux : celui de l’enseignant, du médiateur, du chercheur. Il s’agit donc de considérer les verbalisations comme des instru-ments construits par chaque individu dans un double processus de construc-tion de schèmes d’usages ou d’appropriaconstruc-tion et de rétroacconstruc-tions de l’artéfact (instrumentation et instrumentalisation). L’instrument est alors constitué de l’artéfact (objet neutre) et des schèmes (sociaux ou individuels) d’usages. La caractérisation de schèmes d’usage nous permettrait alors de mieux com-prendre le rôle de médiation des verbalisations entre l’enseignant et ses connaissances (sur ses pratiques, sur les pratiques en général, théoriques…) dans le processus de développement professionnel. Cela nous permettrait de mieux comprendre les places, les rôles, les fonctions qu’occupent les diffé-rents types de verbalisation dans un dispositif d’accompagnement pluriel à visée développementale. L’exploitation systématique de la grille dont nous venons de présenter le processus de validation à l’ensemble du corpus et l’analyse en termes d’approche instrumentale sont l’objet de la suite de notre travail.

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