• Aucun résultat trouvé

Caractéristiques langagières des scénarios et formats identifiés

84. M. Et puis d’abord y a K

On observe dans cet exemple l’ébauche d’une justification qui, dans les significations portées par le cotexte, ajoute à la connaissance syntaxique implicite de la langue (77) la reconnaissance de la première lettre qui sans aller plus loin dans le déchiffrement, invalide la proposition.

On assiste ainsi en quelques échanges à un mouvement de secondari-sation des discours spontanés, parfois acceptables sur le plan des significa-tions et de la syntaxe (« qui a trop marché » / « qui a très sommeil »), parfois non (« qui campagne » / « qui passaient ») mais qui ne croisent pas les diffé-rents formats constitutifs du scénario nécessaire pour lire. L’évaluation des premières propositions et la justification de leur invalidation conduisent à une mise à distance, à la verbalisation d’une nouvelle proposition plus ajus-tée, ayant fait l’objet d’un travail conscient et volontaire d’articulation des

formats, qui sélectionne de nouveaux traits pour construire un nouvel objet discursif et une nouvelle représentation de la lecture. Ce travail de trans-formation justifiée des propositions langagières, qui s’appuie sur la mise en œuvre de scénarios pour lire, participe de ce fait à l’institution de la classe en communauté discursive scolaire d’apprentis lecteurs de récit en négociant et en s’appropriant progressivement les valeurs en langue et en littérature, un corps de savoirs et des discours spécifiques, des usages efficaces et acceptés par le groupe-classe sous la responsabilité de l’enseignant. Il s’agit en effet, pour les élèves, de devenir acteurs dans une sphère d’échange spécifique, d’agir entre autres par le langage dans une culture, d’apprendre les conditions nécessaires pour être efficaces et légitimes dans la lecture d’albums de litté-rature de jeunesse.

Conclusion

Si la verbalisation joue un rôle dans la construction des savoirs, il ne s’agit pas d’interactions spontanées, déconnectées des savoirs, de leur analyse, de leur mise à distance et de celle de leurs usages. Si le scénario brunérien a une fonction de guidage dans les apprentissages des très jeunes enfants, il nous semble cependant pertinent de pouvoir reprendre la notion pour l’étendre à tout apprentissage scolaire en prenant en compte ses fonctions langagières et les positionnements énonciatifs et points de vue qu’elles contribuent à construire. Pour reprendre Bruner, nous pourrions dire que le scénario apprend aux élèves à faire des choses avec les mots dans une culture donnée en croisant les formats qui le constituent. L’appropriation des rôles délimités dans les formats et scénarios correspond selon nous, dans le cadre scolaire, à l’interchangeabilité qui caractérise le scénario. L’élève, capable de réguler son activité en « rejouant » un scénario, qui croise ses différents formats constitutifs, devient expert pour lui-même, à la mesure de son âge et de ses compétences. Il devient acteur dans la communauté discursive des appren-tis lecteurs. Cette notion de scénario met en scène les processus d’appren-tissage, elle permet aussi de les comprendre et de modéliser des démarches d’enseignement. Penser les gestes professionnels au sein de scénarios et for-mats langagiers met ainsi l’accent sur la nécessité pour les enseignants de penser l’apprentissage des systèmes sémiotiques disciplinaires spécifiques, comme une appropriation, par les élèves, des rôles et des outils sociaux.

De notre point de vue, l’identification des scénarios d’enseignement et apprentissage dans un domaine donné devrait outiller d’une part les ensei-gnants, d’autre part les formateurs, en proposant des possibles langagiers légitimes dans ce contexte.

174

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Adam, J.-M. (2011). La linguistique textuelle. Introduction à l’analyse textuelle des discours. Paris : Armand Colin.

Bakhtine, M. / Volochinov, V.-N. (1984). Esthétique de la création verbale. Paris : Gallimard.

Bernié, J.-P. (2002). L’approche des pratiques langagières scolaires à travers la notion de « communauté discursive » : un apport à la didactique comparée.

Revue français de pédagogie, 141, 77-88.

Bernié, J.-P. (2010). L’Interpellation entre immobilisation et mise en mouve-ment : un genre dialogique et situé de l’activité. CORELA. Repéré à http://

corela.edel.univ-poitiers.fr/index.php?id=732

Bernié, J.-P. (2012). Vers un comparatisme historico-culturel des interactions didactiques. In V. Rivière (Éd.), Spécificités et diversités des interactions didac-tiques (pp. 25-40). Paris : Riveneuve Éditions.

Bernié, J.-P., Jaubert, M., & Rebière, M. (2004). Significations et développe-ment : quelles communautés ? In C. Moro & R. Rickenmann (Éds.), Situation éducative et significations (Raisons éducatives ; pp. 85-104). Bruxelles : De Boeck.

Bernié, J.-P., Jaubert, M., & Rebière, M. (2008). Du contexte à la construction du sujet cognitif : l’hypothèse énonciative. In M. Brossard & J. Fijalkov (Éds.), Vygotski et les recherches en éducation et didactique (pp. 123-141). Bordeaux : Presses universitaires de Bordeaux.

Bronckart, J.-P. (1997). Activité langagière, textes et discours. Pour un interaction-nisme socio-discursif. Lausanne : Delachaux et Niestlé.

Bronckart, J.-P., & Bota, C. (2011). Bakhtine démasqué. Genève : Droz.

Bronckart, J.-P., & Plazaola Giger, I. (1998). La transposition didactique. Histoire et perspectives d’une problématique fondatrice. Pratiques, 97-98, 35-58.

Brossard, M. (1989). Espace discursif et activités cognitives : un apport de la théorie vygotskienne. Enfance, 42, 49-56.

Brossard, M. (1991). Une hypothèse sur le rôle du contexte dans l’apprentis-sage de l’écrit. Les Dossiers de l’Éducation, 18, 185-193

Brossard, M. (2004). Vygotski. Lectures et perspectives de recherche en éducation.

Lille : Presses du Septentrion.

Bruner, J. (1983). Le développement de l’enfant : savoir faire, savoir dire (trad. par M. Deleau, avec la collab. de J. Michel). Paris : Presses universitaires de France.

Bruner, J. [avec la collab. de R. Watson] (1983/1987). Comment les enfants apprennent à parler (trad. par J. Piveteau & J. Chambert). Paris : Retz.

Bucheton, D. (Éd.) (2009). L’agir enseignant, des gestes professionnels ajustés.

Toulouse : Octarès.

Chabanne, J.-C., & Bucheton, D. (Éds.) (2002). Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire. Paris : Presses universitaires de France.

Chervel, A. (1977). Histoire de la grammaire scolaire. Paris : Payot.

François, F. (1990). La communication inégale. Heurs et malheurs de l’interaction verbale. Neuchâtel : Delachaux et Niestlé.

François, F. (1993). Pratiques de l’oral : dialogue, jeu et variations des figures du sens. Paris : Nathan Pédagogie.

Goigoux, R., & Vergnaud, G. (2005). Schèmes professionnels. La lettre de l’AIRDF, 36, 7-10.

Grize, J.-B. (1996). Logique naturelle et communication. Paris : Presses universi-taires de France.

Jakubinskij, L. (1923). O dialogiceskoj reci. Russkaja rec’, 1. [Sur la parole dialo-gale. Langue Russe,1].

Jaubert, M. (2007). Langage et construction de connaissances à l’école : un exemple en sciences. Bordeaux : Presses universitaires de Bordeaux.

Jaubert M., & Rebière, M. (2002). Parler et débattre pour apprendre : comment caractériser un oral réflexif ? In J.-C. Chabanne & D. Bucheton (Éds.), Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire (pp. 163-186). Paris : Presses universitaires de France.

Jaubert, M., & Rebière, M. (2005). Gestes et genres professionnels. La lettre de l’AIRDF, 36, 23-24.

Jaubert, M., & Rebière, M. (2007). Émergence d’un concept en didactique du français : la secondarisation. In A. Rouchier (Éd.), Didactiques, quelles réfé-rences épistémologiques ? Actes sur CD Rom du colloque international de l’AFIRSE – Bordeaux 2 – IUFM, Bordeaux, mai 2005.

Jaubert, M., & Rebière, M. (2008). Former à l’enseignement de la lecture : un genre langagier professionnel et ses gestes afférents, une étude de cas. In D. Bucheton & O. Dezutter (Éds.), Le développement des gestes profession-nels dans l’enseignement du français (pp. 149-169). Bruxelles : De Boeck.

Jaubert, M., & Rebière, M. (2009). Enseigner la lecture au cours préparatoire : des gestes de tissage complexes pour les débutants. In D. Bucheton (Éd.), L’agir enseignant, des gestes professionnels ajustés (pp. 99-112). Toulouse : Octarès.

Jaubert, M., & Rebière, M. (2011). Le genre scolaire « lecture découverte » d’un texte narratif au Cours Préparatoire : un outil pour la formation. In R. Goigoux & M.-C. Pollet (Éds.), Didactiques de la lecture, de la maternelle à l’université (pp. 53-84). Namur : Presses universitaires de Louvain.

Jaubert, M., & Rebière, M., (2012). Communauté discursives disciplinaires scolaires et constructions de savoirs : l’hypothèse énonciative. Repéré à http://www.

leseforum.ch/myUploadData/files/2012_3_Jaubert_Rebiere_Bernie.pdf Jaubert, M., Rebière, M., & Bernié, J.-P. (2009). Forme scolaire et genres

profes-sionnels chez un expert et un débutant : une question pour la formation ; un exemple : La ‘lecture-découverte d’un texte narratif’ au CP. Travail et éduca-tion en formaéduca-tion [En ligne], 5. http://journals.openediéduca-tion.org/tfe/1189 Nonnon, É. (1988). Que voudrait ‘dire aider à comprendre’ ? L’étayage de l’adulte

dans l’aide à la compréhension. Spirale, 1, 25-61.

Piaget, J., & Inhelder, B. (1966). La psychologie de l’enfant. Paris : Presses univer-sitaires de France.

176

Vygotski, L.S. (1934/1985). Pensée et langage (trad. par F. Sève). Paris : Éditions sociales.

Wertsch, J.V. (1985). La médiation sémiotique de la vie mentale ; L.S. Vygotski et M.M. Bakhtine. In B. Schneuwly & J.-P. Bronkart (Éds.), Vygotski aujourd’hui (pp. 139-169). Neuchâtel : Delachaux et Niestlé.

Notices biographiques

Martine Jaubert est professeur de l’Université de Bordeaux en sciences du langage. Elle est formatrice d’enseignants du premier degré à l’École Supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE) d’Aquitaine. Ses recherches menées au sein du Laboratoire d’Épistémologie et de Didactique Des Disciplines (Lab-E3D), portent principalement sur l’enseignement et l’apprentissage du langage oral et écrit, sur le rôle du langage dans la construction des savoirs disciplinaires et sur les gestes professionnels langagiers.

ADRESSE ESPE d’Aquitaine, 160, avenue de Verdun, F-33700 Mérignac COURRIEL martine.jaubert@u-bordeaux.fr

Maryse Rebière est maitre de conférences honoraire de l’Université de Bordeaux en sciences du langage. Elle a été formatrice d’enseignants du premier degré à l’École Supérieure du professorat et de l’éducation d’Aquitaine (ESPE). Ses recherches menées au sein du Laboratoire d’Épistémologie et de Didactique Des Disciplines (Lab-E3D), portent principalement sur l’enseignement et l’apprentissage du langage et de la lecture, sur le rôle du langage dans la construction des savoirs disciplinaires et sur les gestes professionnels langagiers.

ADRESSE ESPE d’Aquitaine, 160, avenue de Verdun, F-33700 Mérignac COURRIEL maryse.rebiere@u-bordeaux.fr

3 partie

Réfléchir par la verbalisation