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Analyse de la narration de recherche de trois élèves travaillant ensemble à la résolution du problème

Nous analysons maintenant la narration de recherche rédigée par les trois élèves à la suite de leur recherche.

Dans leur narration, les élèves commencent par reformuler le problème, en redonnant le principe d’ouverture et de fermeture des portes (figure 5). Ils montrent ainsi qu’ils se sont bien approprié le problème et qu’ils ont identifié les contraintes et les données de l’énoncé. Ils ne reprennent cependant pas l’objectif du problème.

Figure 5 : Narration de recherche du groupe, annotée en rouge par l’enseignant

Malgré la discussion avec l’enseignant qui a amené les élèves à chan-ger leur système de représentation des portes, ils indiquent avoir au début

« écrit les chiffres de 1 à 250 ». Ils ne rendent donc pas compte du premier système utilisé (les points) et de la raison les ayant conduits à l’abandonner.

Ils ne donnent pas non plus à voir le deuxième système de représentation finalement retenu. Il semble donc que le choix et le recours à un système

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de représentation, pourtant central dans la résolution de ce problème, ne soient pas considérés par les élèves comme des étapes significatives de leur recherche. Il se peut aussi que le dispositif même de la narration de recherche incite les élèves à ne donner à voir qu’un texte, dépourvu de traces d’autres systèmes sémiotiques que le langage verbal.

Le texte rédigé par les élèves relate une seule des étapes intermédiaires de leur raisonnement. Il s’agit de la stratégie consistant à raisonner au cas par cas qu’ils ont mise en œuvre au début de la recherche. Cependant, les deux conjectures erronées proposées par Nassim et qui ont fait l’objet d’une remise en cause et d’une invalidation par les deux autres membres ne sont pas pré-sentées. La piste investiguée par Enzo et Adrien quant au rôle joué par les nombres premiers et qui a fait l’objet de nombreux échanges dans le groupe n’est pas non plus mentionnée. Les élèves mettent donc en mots seulement une petite partie du raisonnement mis en œuvre. On peut alors se demander s’il s’agit d’un oubli ou si les élèves ne considèrent pas ces éléments comme pertinents dans leur recherche.

Les élèves formulent finalement la conjecture retenue par le groupe comme étant la solution correcte du problème. Ils expliquent ensuite les rai-sons qui les ont amenés à énoncer cette conjecture. Ils terminent en donnant les raisons mathématiques qui permettent de la valider, et répondent ainsi au problème.

Ces trois élèves ont travaillé de manière collaborative sur le problème étudié. Ils ont abouti à un résultat commun, utilisé les mêmes représenta-tions schématiques, ont formulé et invalidé ensemble des conjectures, inves-tigué plusieurs pistes, avant d’arriver à une solution qu’ils ont pu prouver par des arguments liés aux propriétés des objets mathématiques étudiés. Pour autant, la narration de leur recherche qu’ils donnent à l’enseignant ne rend compte que d’une petite partie de leur processus de recherche. Ils passent sous silence, volontairement ou non, plusieurs étapes intermédiaires de leur recherche, et en particulier les étapes qui ont été invalidées ou abandon-nées. Les analyses menées pour les autres groupes d’élèves mettent aussi en avant le faible nombre d’éléments dont les élèves rendent compte dans leur narration de recherche au regard de la richesse de leurs échanges oraux informels. Soulignons cependant que Adrien, Enzo et Nassim accordent une grande importance au fait d’établir la preuve de la justesse de la solution qu’ils proposent.

Conclusion

Nous avons étudié des échanges verbaux impliquant un groupe d’élèves lors de la résolution d’un problème et la narration de recherche rédigée suite à cette recherche. Les éléments que nous avons mis en évidence montrent

que, si la verbalisation joue un rôle important dans l’activité mathématique des élèves, c’est principalement le cas lorsqu’elle intervient en cours d’ac-tivité, à travers les interactions verbales impliquant les élèves et parfois l’enseignant.

Dans le cadre du travail en groupe, la verbalisation orale permet aux élèves d’échanger, de confronter leurs points de vue et d’avancer dans la réso-lution du problème. Ils sont contraints d’expliquer leur raisonnement afin que les autres membres du groupe comprennent leur cheminement. Ils doivent aussi tenter de convaincre, de prouver la véracité de leur raisonnement et/ou de leur solution, en particulier lorsque tous les membres du groupe ne sont pas d’accord ou ne suivent pas le même raisonnement. Les interactions ver-bales permettent aussi aux élèves de discuter de l’efficacité des systèmes de représentation utilisés, et de mobiliser et discuter des modes de raisonne-ment et de preuve mobilisés. En ce sens, la verbalisation orale contribue donc, de manière centrale, à l’activité mathématique des élèves en résolution de problèmes.

Nous soulignions précédemment qu’un des objectifs du cours de DMS était que les élèves ne restreignent plus la recherche au seul caractère privé de leur travail mais qu’ils la fassent apparaitre dans la trace publique qu’ils rédigent par écrit. L’analyse de la narration de recherche des élèves, choisie comme dispositif devant inciter les élèves à rendre compte de leur proces-sus de recherche, montre que peu d’éléments de leur recherche y sont narrés en comparaison de ce que donne à voir l’analyse de leurs échanges verbaux informels. Cette reconstitution à postériori de leur recherche est bien moins riche que les éléments discutés et mobilisés lors du travail en groupe, la nar-ration de recherche ne semblant induire qu’une verbalisation écrite à minima du processus de recherche. La narration de recherche ne semble en particu-lier pas contribuer de manière significative à l’articulation du langage avec les autres registres de représentation sémiotique mobilisés par les élèves pen-dant leur recherche.

Les difficultés des élèves à rendre compte de l’intégralité de leur recherche nous conduisent à émettre différentes hypothèses : Le fait de trouver la solu-tion du problème et d’être sûr de son caractère correct démotive-t-il à narrer l’intégralité des étapes de la recherche ? Cela est-il imputable au fait que l’en-seignant suit régulièrement l’avancée de la recherche des élèves ? Le proces-sus de recherche laisse-t-il davantage en mémoire les réussites que les erreurs commises ou les fausses pistes empruntées ? Existe-t-il des compétences langagières spécifiques à la narration de recherche en mathématiques ? Des recherches complémentaires seraient nécessaires pour investiguer ces ques-tions et tenter de mieux comprendre le rôle joué par la verbalisation écrite dans l’activité de résolution de problèmes en mathématiques.

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Notice biographique

Maud Chanudet est assistante dans l’équipe de didactique des mathématiques de l’Université de Genève (DiMaGe). Anciennement enseignante de mathématiques au secondaire en France, elle rédige une thèse de doctorat portant sur l’étude des pratiques évaluatives des enseignants dans le cadre d’un enseignement centré sur la résolution de problèmes en mathématiques. Sa recherche s’appuie sur des travaux issus de la didactique des mathématiques et du champ de l’évaluation des apprentissages des élèves.

ADRESSE Univ. de Genève, FPSE, bd du pont d’Arve 40, 1211 Genève 4 COURRIEL maud.chanudet@unige.ch

Le scénario langagier didactique,