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Une réflexion sur la chronologie des évènements historiques

B. Les premières commanderies du Hexi

La sécurité du Hexi et de l’empire était donc toujours menacée. En conséquence de cette attaque menée de concert par les deux principales forces ennemies du Hexi, les représailles Han sont immédiates. La riposte chinoise se traduit par une offensive de 100 000 fantassins et cavaliers contre les Qiang et un envoi de 25 000 cavaliers contre les Xiongnu sous le commandement des généraux Gongsun He (公孫賀) et Zhao Ponu (趙破奴). Cette avancée était pour ainsi dire obligatoire, au risque de se retrouver très vite face à une situation

360 C’est-à-dire celles (d’est en ouest) de Wuwei, Zhangye, Jiuquan et Dunhuang.

361 Yumen deviendra, au Ier siècle av. J.-C., la capitale du district du même nom. Située à l’ouest de la commanderie de Jiuquan et à l’est de celle de Dunhuang, c’est un point central du Hexi méridional (HS : 96B/3928).

362 Il y a une véritable coupure entre les années 119 et 114 av. J.-C. dans les relations avec les Xiongnu. Voir HS : 96B/ 2911-2912 ; ZZTJ : 20.

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similaire à celle précèdant l’offensive chinoise. Si les forces Han n’avaient pas durablement investi ce nouveau territoire, tout porte à croire, notamment au travers de la lecture du Shiji, que les Xiongnu auraient réoccupé ce corridor.

Considérant le contexte historique de cette époque, l’histoire rapportée par le commentateur Li Pei du IIIe siècle de notre ère au sujet de l’existence de tuntian (屯田) ou d’installations agricoles tenues par des soldats près de Dunhuang, au lac Wowa, dès 113 av. J.-C., semble peu crédible. Ce n’est que deux années plus tard, lorsque Qiang et Xiongnu se coalisent et sont défaits, que les Han avancent au cœur du Hexi. Par extension, affirmer que Longle fut déjà un district en 113 av. J.-C. est fort improbable, si ce n’est impossible. Le district sera le foyer d’accueil des militaires et civils Han, ces derniers provenant du centre de l’Empire selon une politique de migration concertée. Comment imaginer qu’en 113 av. J.-C., alors même que les Han n’avaient pas encore atteint le centre du Hexi, une telle structure administrative aurait pu être érigée sans aucun appui militaire? A fortiori, nous pouvons supposer que l’histoire de Bao Lizhang rapportée par Li Pei est une légende après-coup crée par les soldats Han ayant servi au sein de la commanderie de Dunhuang et qui venaient également de Nanyang. Comme nous le savons au travers des documents excavés du Gansu, Nanyang fut le lieu de résidence de nombreux soldats Han364 . En réalité, ce n’est qu’à partir de 111 av. J.-C. que les Han entreprendront véritablement la conquête militaire de l’ensemble du corridor, comme on peut le constater dans le passage suivant extrait du chapitre six du Hanshu :

« La sixième année de l’ère Yuankang [111 av. J.-C.], à l’automne, [l’empereur] ordonna le général Gongsun He [ayant le titre de] « Fuju » de sortir de Jiuyuan, ainsi que le général Zhao Ponu [ayant le titre de] « Xionghe » de sortir de Lingju. Ils marchèrent sur plus de 2000li [environ 834 km] sans rencontrer d’ennemis puis revinrent. Conséquemment, [l’empereur] divisa le territoire de Wuwei et de Jiuquan pour former les commanderies de Zhangye et de Dunhuang. [L’empereur] déplaça des populations pour occuper ces [nouvelles terres]»365.

C’est alors que l’occupation Han du Hexi prend une autre dimension. D’une conquête timide cantonnée aux bords du fleuve jaune, l’armée chinoise se déploie sur ce vaste territoire. Les victoires eurent comme conséquence directe l’envoi de 600 000 soldats dans le Hexi. Ils se sont déployés tout le long avec pour objectif de sécuriser les zones sensibles (formations de lignes défensives, de postes de surveillance…) et d’aménager le territoire en développant les

364 Pour les documents se référant aux soldats venant de Nanyang, voir an particulier les documents suivant : JHYJ : 28.14, 49.32, 101.34. Cf. infra. p. 540, note 1697.

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ressources agricoles 366. Aussi en 111 av. J.-C., un « Protectorat des Qiang » est installé dans le Hexi. Ce bureau, tel que le Hanshu, est responsable de la gestion de ce peuple ; autrement dit de son contrôle, son intégration dans le Hexi...367

Quant aux fondations des quatre commanderies, il convient de se méfier encore une fois des risques d’anachronisme avec ce passage tiré du Hanshu. Nous verrons par la suite qu’il existe des datations bien différentes pour les fondations des quatre commanderies du Hexi. Rien de cela n’est apparemment très évident. Homer Dubs s’exprime des complexités de ces datations. Selon lui, une date de fondation pour une commanderie n’est qu’une représentation symbolique du pouvoir administratif Han mais ne reflète pas la mise en œuvre d’une administration capable de diviser un territoire conquis en district368. Nous pouvons dire qu’en 111 av. J.-C., les Han n’ont plus le choix. Ils doivent installer une administration chinoise pérenne sur ce territoire. Dès lors, ils pourront contrôler les communications avec le Xiyu, cible principale des prochaines confrontations entre Han et Xiongnu.

On ne peut donc plus nier qu’à partir de 111 av. J.-C., les Han installent dans le Hexi une première forme d’administration impériale369. Nous savons que ce territoire sera, entre 111 et le Ier siècle av. J.-C., divisé en quatre commanderies (d’est en ouest) : Wuwei, Zhangye, Jiuquan et Dunhuang, mais les dates de fondation sont très imprécises. Pour Jiuquan on trouve – dans le même ouvrage du Hanshu – tantôt 111 av. J.-C.370, tantôt 104 av. J.-C.371. C’est également le cas pour Wuwei, daté entre 111 et 74 av. J.-C.372. Comment donc connaitre le véritable processus de développement ? Il convient, à mon sens, de repartir du discours de Sima Qian, contemporain des événements :

« […] plusieurs dizaines de milliers d’hommes traversent le fleuve [jaune] pour élever (des fortifications) à Lingju. On fonda d’abord les commanderies de Zhangye et de Jiuquan […] »373.

366 Zhao Chongliang : 2012, p. 94-100.

367 HS : 29/2997-2998. Voir sur ce sujet, Yu Yingshih : 1990, p. 427-428.

368 Voir Dubs : 1944, vol. 2, p. 83.Cette observation est également exprimée par Loewe quelques années plus tard (Loewe : 1967, vol.I, p. 59-60).

369 Une constation qui fut déjà avancée dans un article de Zhang Weihua datant de 1942 (Zhang Weihua : 1942, p. 27-39.

370 HS : 6/189. 371 HS : 28B/1614.

372 Cette dernière date de 70 av. J.-C. est une déduction faite depuis l’étude des documents excavés de Juyan. Voir Lao Gan : Li Bingcheng : 1998, p. 82-85 ; Chang : 2007, vol. 2, p. 23-24. On trouvera une excellente étude de Juyan et de son système administratif dans Jun Jixiang : 2014.

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L’attaque conjointe Xiongnu et Qiang, en 112 av. J.-C. repoussée, les Han étendent leur colonisation dans le cœur du Hexi. Dans ce passage, nous sommes en 111 av. J.-C., au-delà du poste de Lingju, moment où sont déjà fondées deux commanderies, celles de Jiuquan et de Zhangye. Le Shiji nous en dit davantage sur l’ordre de la fondation. Le passage suivant atteste que Jiuquan est la commanderie pionnière à être aménagée dans le Hexi, et ce dans un but bien précis :

« Les Han envoyèrent Yang Xin chez les Xiongnu. À ce moment, les Han s’emparèrent à l’est (des territoires) de Weimo et de Chaoxian et les transformèrent en commanderies374. Et à l’ouest, on établit la commanderie de Jiuquan dans le dessein de couper la communication entre les Qiang et les Xiongnu »375.

De même, sur le chapitre portant sur le Dayuan :

« Ainsi les Han élevérent des fortifications depuis Lingju vers l’ouest, ils commençèrent par fonder la commanderie de Jiuquan afin d’entrer en contact avec les états du Nord-Ouest »376.

Et enfin, dans cet extrait du Hanshu, on constate l’antériorité de Jiuquan sur les trois autres commanderies du Hexi :

« En conséquence, le général de la cavalerie agile377 attaqua les terres de droite des Xiongnu

(à l’ouest du fleuve jaune) et vainquit ceux-ci. Il força les rois Hun Ye et Xiu Tu à se rendre et à évacuer ces territoires [soit en 119 av. J.-C.]. Pour la première fois, [des fortifications] furent élevées à Lingju et plus à l’ouest. Une fois que la commanderie de Jiuquan eut été fondée, les civils furent graduellement déplacés pour occuper ce territoire. Une partie de son territoire fut (ensuite ?) divisé pour y établir les commanderies de Wuwei, de Zhangye et de Dunhuang, en s’appuyant sur les deux passes378 » 379.

Derrière la fondation de Jiuquan se dessinent deux objectifs. Tout d’abord, il faut constituer une ligne de surveillance afin que Qiang et Xiongnu n’aient plus la possibilité de communiquer entre eux. Ceci implique qu’avant 111 av. J.-C., ils pouvaient accéder au cœur

374 Ce sont les commanderies de Xuantu et Lelong, situées en actuel Corée du Nord. Voir Byington : 2013, p. 56-82.

375 Ibid.

376 SJ : 123/3170.

377 Titre donné au général Huo Qubing en 119 av. J.-C.

378 Dans ce contexte, « 據兩關焉 » ne peut désigner les deux passes de Yu et de Yang qui ne seront construites à l’ouest de la commanderie de Dunhuang que dans les années 104-100 av. J.-C. Ici, l’une de ces deux passes devait très probablement être celle érigée à Yumen, au centre du Hexi, au sein de la commanderie de Jiuquan. La seconde pourrait être Jianshui jinguan (au nord-ouest de la commanderie de Zhangye), passe à partir de laquelle il est possible d’étendre la Grande Muraille vers l’ouest.

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du Hexi. Puis, il faut se servir de Jiuquan comme base de lancement pour les missions diplomatiques, commerciales et militaires avec les contrées du Xiyu.

Pour la commanderie de Zhangye, elle est datée dans le Shiji de 111 av. J.-C., tout comme dans le passage du chapitre six du Hanshu, texte postérieur d’un siècle380. Mais dans le « Traité de géographie », à la section présentant la structure de la commanderie de Zhangye, celle-ci est établie en 104 av. J.-C.381. On trouvera également d’autres textes plus tardifs qui fixent une fondation en 102 av. J.-C.382. Qui devons-nous croire ? Comment enquêter pour pour affiner la date ?

La commanderie de Zhangye devait très certainement remplir les mêmes objectifs que Jiuquan, notamment celui de faire barrage aux Xiongnu. Cela peut s’expliquer par la politique d’expansion Han dans les environs du lac de Juyan ( 居 延 ), celle-ci ayant débuté dès 111 av. J.-C. et s’étant développée jusqu’à la fin du IIe siècle av. J.-C.383. Situé à l’extrémité nord de la rivière Ruoshui, le lac marque le point le plus septentrional de la région de Juyan. Il s’agit de la zone de passage la plus aisée pour les Xiongnu venus du nord afin d’accéder au centre du Hexi. Les Xiongnu pouvaient aisément suivre la rivière Ruoshui pour abreuver et nourrir leurs chevaux afin d’arriver au cœur du corridor et au-delà. Car en suivant ce cours d’eau, on rejoignait les montagnes du sud, là où les Qiang pouvaient prendre contact avec les Xiongnu. Il n’est pas inutile de rappeler le chemin qu’empruntèrent le général Huo Qubing et le marquis Gongsun Ao 公孫敖 en 119 av. J.-C., menant à une sévère défaite Xiongnu. Alors que le Hexi n’était pas encore pacifié et colonisé dans sa majorité, le général emprunte le corridor puis traverse Juyan afin d’atteindre les montagnes du nord :

« Cet été [de l’année 119 av. J.-C.], le général de la cavalerie agile384 et plusieurs dizaines de milliers de cavaliers du Marquis de la cavalerie annexe385 sont conjointement sortis depuis Longxi et Beidi pour traverser deux milles li [de territoire] afin d’attaquer les Xiongnu. Ils passèrent Juyan et lancèrent une attaque sur le Monts Qilian, obtenant un trophée de trente mille têtes de prisionniers barbares, ainsi que soixante dix gens de la noblesse et des rangs inférieurs »386.

380 HS : 6/189. 381 HS : 86B/1613.

382 Sur les textes mentionnant Zhangye, voir Zhu Shoujue : 2009, p. 175-176 ; Jia Wenli : 2011, p. 51. 383 SJ : 123/3176. Voir carte n°3 en annexe.

384 C’est le grade militaire donné à Huo Qubing. 385 Il s’agit de Gongsun Ao.

386 SJ : 110/2908. Dans ce passage du Shiji, l’objectif de cette conquête est d’atteindre les « Qilian », chaîne montagneuse où une très grande partie de l’armée Xiongnu était concentrée. Située au sud du Gansu, cette chaîne

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Dès cette époque, on connaissait suffisamment la géographie de ce territoire pour reconnaitre la porte d’accès vers les campements Xiongnu septentrionaux387. Juyan est donc logiquement intégrée à la commanderie de Zhangye, devenant, dès les dernières années du IIe siècle av. J.-C., l’un des principaux avant-postes fortifiés du Hexi388. En effet, la commanderie de Zhangye est centrée le long de la rivière Ruo, celle-là même qu’empruntèrent les militaires Han pour atteindre au nord la région de Juyan. Plus précisément, le centre de la commanderie est installé à l’endroit où le corridor est le plus étroit, lorsque seulement 13 km de plaine sépare les Nanshan et la rivière. C’est un point stratégique aisé à défendre et primordial à surveiller.

La situation est donc la suivante. Entre 111 av. J.-C. et 104 av. J.-C. – soit avant la mission vers le Dayuan – le Hexi est partagé en deux principaux centres administratifs : la partie orientale du territoire, entre le fleuve jaune et la Ruo, est administrée par Zhangye. Plus tard, la commanderie de Wuwei récupérera, entre 101 et 72 av. J.-C., le flanc oriental de cet immense territoire389. La partie occidentale, entre l’ouest des monts Heli (合梨) et les déserts de l’ouest, est dominée par la commanderie de Jiuquan.

Quand à Dunhuang390 :

La commanderie de Dunhuang, est le résultat d’une division du territoire de Jiuquan, opérée au cours de l’ère Houyuan sous Wudi [88-87 av. J.-C.] 391.

En faisant abstraction de la date mentionnée dans ce passage – nous y reviendrons plus tard – il est primordial de s’intéresser à la relation entre Jiuquan et Dunhuang. Plusieurs témoignages permettent de comprendre ce lien et ainsi de suivre l’évolution de l’occupation de Dunhuang.

est située à l’opposé de la région de Juyan, le chemin parcouru ne fait donc aucun sens. À cette époque, les « Qilian » désignent en réalité les chaines montagneuses du nord, celle des Tienshan et des Baishan notamment (SJ : 110/2909 ; Wang Zongwei : 1983, p. 32-36 et 1983, p. 43-48).

387 Zhang Qian, lors de son périple mené entre 135 et 127 av. J.-C., avait sans doute largement renseigné sur cette partie du Gansu (SJ : 123/3157 et suiv.). On consultera sur ce point Enoki : 1982, p. 16-21.

388 HS : 28B/1613.

389 Pei Wen: 1997, p. 51-52 ; Chang : 2007, vol. 1, p. 190. 390 Wu Rengxiang : 1982, p. 24-32.

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IV. Dunhuang : un poste frontalier de Jiuquan (111-87 av. J.-C.)