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Une réflexion sur la chronologie des évènements historiques

A. Première datation pour Dunhuang

113 av. J.-C. est une date clé pour Dunhuang. On fixera à cette date les premières mises en administration de la commanderie avec, notamment, la fondation d’un de ses districts : celui de Longle (龍勒). Un passage du Hanshu, suivi de son commentaire plus tardif, sera à l’origine de cette hypothèse. La valeur historique de ce texte et son impact dans le corps scientifique nécessitent donc que nous nous y intéressions dès à présent344. Voici le passage en question, extrait de la biographie de l’empereur Wu, au chapitre VI du Hanshu :

六月,得寶鼎后土祠旁。秋,馬生渥洼水中。作寶鼎、天馬之歌。345

Le sixième mois [de la quatrième année de l’ère Yuanding]346, un précieux vase tripode a été découvert à côté du temple du souverain terrestre. En automne, un cheval est né au milieu du lac de Wowa. Sont composées les chansons pour « le vase tripode » et « le cheval céleste ». 347

341 Voir SJ : 123/3171 ; Loewe : 1967, p. 52-53 et notes 9 à 11. On compte parfois plus d’une centaine de personne par ambassade chinoise, un système en fonctionnement durant et après la mort de Zhang Qian survenue en 114 av. J.-C.

342 Les routes sous les Han antérieurs ne sont pas exactement celles pratiquées durant les Han postérieurs. À la fin du IIe siècle av. J.-C., l’itinéraire le plus utilisé depuis le Hexi correspond à la route du centre partant de Loulan pour aller vers l’Ouest (SJ : 123/3160 ; HS : 96B/3893). Depuis Dunhuang, il s’agira du parcours emprunté par les armées de Li Guangli lors de la conquête du Dayuan, cf. infra. p.121-136 ; Yu Taishan : 2006, p. 26-42.

343 Loewe, op. cit., p. 52-53.

344 On considère encore aujourd’hui comme historiquement fondé, le déplacement d’une colonisation à Dunhuang à cette date. Voir Li Zhengyu : 1990, p. 16-23 ; Boulnois : 2010 et 1994, p. 18-42 ; Chang, op. cit., p. 204. La récente thèse de Jia Wenli ne remet pas en question cette chronologie (Jia Wenli : 2011, p. 50 et p. 123). On trouvera l’unique questionnement sur la validité de cette date dans Xu Yueyao et Yu Xianjie : 1984, p. 22-26.

345 HS: 6/184. Ce passage est en partie repris une page plus loin, dans le cadre d’un édit impérial prononcé également en 113 av. J.-C. (HS : 6/185).

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Quel étrange passage ! Il n’y a aucune mention ni de Longle ni de Dunhuang. Pourquoi est-il donc si sujet à débats ? « Wowa » est une référence directe à un lac situé dans l’oasis de Nanhu (南湖), là où sera situé la « Passe du Soleil » (Yangguan 陽關) ainsi que la capitale du district de Longle 348 . C’est aussi le nom antique donné au lac de Shouchang (Shouchang shui 壽昌水), tel qu’il est nommé durant l’époque médiévale349. En citant donc ce passage du Hanshu, les chercheurs chinois ont établi le lien entre le lac Wowa et le district de Longle, et par extension avec Dunhuang. Cette hypothèse est renforcée par la note de Li Pei (李斐)350, rédigée au IIIe siècle de notre ère, adjointe à la mention au lac Wowa dans le précédent extrait du Hanshu :

« Li Pei fait le commentaire suivant : ‘‘Au [district de] Xinye [de la commanderie] de Nanyang351, il y avait un homme nommé Bao Lizhang. Au temps de l’empereur Wu, en punition d’un délit, il fut exilé aux marges de Dunhuang pour travailler les terres. Au bord de ce lac [Wowa], il remarqua plusieurs fois au sein de la horde de chevaux sauvages, un cheval extraordinaire qui venait avec les autres chevaux boire dans ce lac. Lizhang commença d’abord par pétrir un mannequin d’argile tenant un lasso et une bride qu’il plaça au bord de l’eau. Ensuite, une fois que le cheval se fut accoutumé à cette silhouette, Lizhang se substitua au mannequin d’argile puis, tenant lasso et bride en main, attrapa le cheval et le présenta à [l’empereur]. Espérant en faire un cheval hors du commun, il racontât qu’il était né des eaux de ce lac’’. » 352.

Une colonie militaire agricole aurait donc déjà été installée « […] aux marges de Dunhuang », au sein de l’oasis de Nanhu, en 113 av. J.-C. Qu’en est-il de la réalité historique ? Sommes-nous en mesure de confirmer cette présence Han dès cette période ?

347 Cette traduction s’appuie sur celle de Dubs : 1969, vol. 2, p. 73.

348 Voir XTS : 43/1151 ; Xiang Da : 1957, p. 440 ; Li Zhengyu : 1986, p. 275-289 et 1993, p. 42-45 ; Li Bingcheng : 1998, p. 131-134 ; Hou Renzhi : 2005, p. 152.

349 Li Bingcheng, op. cit., p. 132.

350 Commentateur du Hanshu au début du IIIe siècle.

351 La commanderie de Nanyang (située dans la région du Henan actuel), fut fondée sous les Qin en l’an 272, puis insérée en 205 dans l’empire des Han (HS : 28A/1563 ; Xiaorong : 2009, p. 266-278 ; Loewe : 1995, p. 797). Depuis ce territoire central de l’empire – actuel canton du Nanyang dans la province de Henan –, plusieurs générations de soldats sont engagées à la frontière du nord-ouest. On compte 23 fiches sur bois dans la région de Juyan (voir Zhang Xiaodong : 2006, p. 172–173). À Xuanquan, les 3 seules fiches avec des occurrences à cette commanderie sont datées de la période fixée entre 61 et 54 av. J.-C. (DHHJSC : 2001, n°18: II011(4) : 33, n°23: II 0314(2) : 302, n° 40: I0309(3): 237).

352 HS: 6/184. Ce passage est en partie reprit une page plus loin, dans le cadre d’un édit impérial prononcé également en 113av. J.-C. (HS : 6/185). Cette traduction de l’auteur s’appuit sur celle de Dubs : 1944, vol. 2, p. 75. Voir aussi Boulnois : 2010, p. 68-69. Pour les recherches récentes portant sur ce passage, voir Li Zhengyu : 2011, p. 23-29 ; Li Zhengyu : 2008b, p. 156-157.

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À cette date, deux années se sont écoulées depuis la dernière mission diplomatique de Zhang Qian qui l’a conduit à négocier avec les Wusun353. On peut supposer que se poursuivent et se développent les échanges commerciaux entre l’Empire Han et les Contrées occidentales, bien que ce ne soit pas attesté dans les sources historiques et archéologiques. Dunhuang est un important lieu de passage. Depuis les dernières conquêtes de 119 av. J.-C., en considération d’une violente famine ayant profondément affaibli les commanderies et les royaumes Han en 114 av. J.-C.354, rien ne semble avoir beaucoup changé dans l’avancée de l’occupation militaire Han. Mais cela ne signifie pas pour autant une absence complète de travaux défensifs et de sécurisation du Hexi. Ce corridor est toujours menacé par des peuples ennemis. Les Qiang dominent la plus grande partie des Nanshan, formant au sud une barrière très périlleuse pour l’empire chinois. Au nord, les Xiongnu dominent encore les territoires du nord du Gobi et une grande partie des cités-états du Taklamakan355 :

« Lorsque Wudi lança la conquête des quatre barbares, il étendit le territoire et repoussa la frontière, repoussant au nord les Xiongnu tandis qu’à l’ouest il poursuivit les Qiang. Ainsi, il franchit le fleuve [jaune] et la Huang [Huangshui]356, construisit une ligne défensive à Lingju ; ouvrit l’accès au Hexi, fonda les quatre commanderies. Il raccorda les routes jusqu’à Yumen, s’interposant entre les Qiang et les « barbares »357 [Xiongnu] et les empêchant de communiquer entre eux. Subséquemment, des forteresses, postes frontaliers et des tours de de communications furent implantés à plusieurs milliers de li de la Grande Muraille »358.

Ce dernier extrait du Hou Hanshu est rédigé près de six siècles après le déroulement des événements. C’est donc une évolution générale de l’occupation du Hexi qui est proposée, raison pour laquelle aucune date n’est mentionnée. Malgré cela, il reprend grosso modo les données du Hanshu :

« De Wuwei vers l’Ouest, [le territoire était] autrefois occupé par les rois Hunxie et Xiutu. En représailles [menées] par l’empereur Wu, on commença par installer les quatre commanderies afin d’avoir accès aux Contrées occidentales et de couper le bras des Xiongnu et des Qiang »359.

353 SJ: 123/ 3994-3997 ; Loewe : 1967, p. 50 ; Yu Taishan : 2006, p. 13-15 ; Zhu Shoujue : 2009, p. 51-67. 354 ZZTJ : 20. Il est dit que la situation était telle que la population s’entretuait pour pouvoir manger. 355 Jushi (車師) est identifié à l’oasis actuelle de Turfan.

356 Rivière prenant sa source depuis le plateau du Qinghai, traverse Xining (西寧) et rejoint le fleuve jaune à l’ouest de la ville moderne de Lanzhou.

357 Note sur barbare. Ne réflète pas un avis personnel mais vue des chinois de cette époque. 358 HHS : 87/2876.

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Il importe par conséquent de comprendre les motivations qui auraient conduits les Han

à former les quatre commanderies360 et à prolonger les installations défensives dans le Hexi. Afin de faire obstacle à toute communication possible entre les Qiang et les Xiongnu, les Han sont contraints de prolonger leur surveillance le long de la route centrale, celle menant jusqu’à Yumen361. C’était l’unique choix à faire pour prévenir les Qiang et les Xiongnu de se rejoindre et de lancer une attaque simultanée sur les défenses Han, cela pourraient conduire à un revirement de situation dans l’occupation du Hexi. C’est exactement ce qui se passera à l’automne de l’année 112 av. J.-C.

Discrète depuis plusieurs années362, la puissance Xiongnu n’est pas complètement épuisée, malgré ses revers de fortune dans l’occupation du nord-ouest. Outre sa situation dans le nord du Hexi, au-delà des montagnes du nord, elle domine très largement une partie importante de l’économie des oasis du Tarim. Les Xiongnu sont donc encore capable de violemment contester la présence Han dans ce corridor. Mais cette fois-ci, ils ne prennent aucun risque. Une nouvelle défaite signerait littéralement la fin de la menace Xiongnu dans le Hexi. Wuwei 烏維 (r.114-105 av. J.-C.), le sixième Shanyu, forme une alliance avec les Qiang pour surprendre les Han en attaquant sur deux fronts. Depuis le sud, les raids Qiang frappent la commanderie de Longxi avec, entre autres, les villes de Lingju (臨沮) et Angu (安 固 ). Depuis le nord, les Xiongnu attaquent la commanderie de Wu Yuan, tuant son gouverneur. L’objectif était de s’emparer de Jincheng, principal point de ralliement défensif chinois, situé à l’intersection entre les rives occidentale et orientale du fleuve jaune363.