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Méthodologies pour l’étude de la commanderie Han de Dunhuang

B. Les travaux de synthèse depuis les années 1990

Sur les pas d’Aurel Stein, mentionnons tout d’abord l’enquête exhaustive menée par Yue Banghu ( 岳 邦 胡 ) et Zhong Shengzu ( 鐘 聖 祖 ) le long des structures défensives construites au nord de Dunhuang et de Guazhou235. C’est une analyse qui complète très largement les rapports des précédentes missions archéologiques. Les deux archéologues sont plus intéressés par la forme de la frontière et la cartographie de la ligne défensive que par la nécessité de mettre au jour de nouvelles documentations Han. Il résulte de cette première synthèse, une analyse systématique des forteresses antiques découvertes dans cette partie du Gansu incluant la publication de nombreux plans au sol, de cartes et de photographies. Elle sera suivie, quelques années plus tard, par une seconde, effectuée par l’historien et l’archéologue Wu Rengxiang 吳礽驤 (1934-2004), du « Kaogusuo » (考古所) de Lanzhou où il travailla de 1961 à 1995. Une année avant son décès, il publia une étude des fortifications Han construites dans l’ensemble du Hexi236. C’est de loin la synthèse la plus aboutie sur le sujet. Le travail publié est la somme de près de trente années de travail et de collaboration avec les archéologues, géographes et historiens du Gansu. Analysant systématiquement l’ensemble des fortifications découvertes depuis le début du siècle dernier, Wu Rengxiang couvre en réalité le territoire autrefois divisé par les commanderies de Zhangye, Jiuquan et Dunhuang. Puis en 2005, fut publié à titre posthume un ouvrage consacré aux études inédites sur l’histoire de la commanderie de Dunhuang et dont il fut l’éditeur en chef jusqu’à ce Li Zhengyu 李征宇 n’accomplisse ce travail237.

Si les études menées dans la région de Dunhuang sont particulièrement bien connues, celles de la région de Guazhou restent généralement marginales. Il faut pourtant prendre en compte les deux régions afin d’approcher avec justesse l’ensemble de la commanderie Han de Dunhuang. Li Chunyuan (李春元), archéologue membre de l’Institut d’archéologie de la province du Gansu et directeur jusqu’à 2013 du musée d’histoire de Guazhou a participé depuis les années 1960 à de très nombreuses campagnes de fouilles sur les grandes murailles Han dans cette région. En 2006, il a publié avec Li Zhangying (李長纓) et Li Zhangqing (李 長請) un premier rapport de ces missions de terrain avant de publier un second ouvrage deux

235 Yue Banghu et Zhong Shengzu : 2001. 236 Wu Rengxiang : 2003.

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années plus tard. Dans ce dernier, ce sont plus de 300 km de muraille, 70 tours de signaux et plus d’une vingtaine de forteresses qui sont précisément étudiées238.

Il n’est pas possible de terminer cette première partie sans mentionner l’incontounable apport des travaux de deux éminents spécialistes de Dunhuang : Li Zhengyu et de Li Bingcheng 李并成. Le premier, mentionné plus haut, est spécialiste de la géographie et de l’histoire de Dunhuang aux périodes historiques. Il confronte les vestiges fortifiés du Hexi aux sources transmises, aux textes exhumés et aux manuscrits de Dunhuang. Ses principaux travaux portent sur la structure territoriale de cette zone des Han aux Tang, il ne cesse de revoir ces hypothèses comme en témoignent la publication en 1986 d’une première synhtèse sur la géographie antique de Dunhuang qui fut revue et améliorée en 1996. Observant une méthodologie d’analyse sensiblement proche que ce dernier, Li Bingcheng publia en 1998 une étude fondamentale sur l’histoire du Hexi sous les Han. Ses nombreux articles paraissant encore à ce jour sont basés sur les nouvelles publications de Xuanquan, de Jianshui jinguan et de bien d’autres sites239. Nous ferons très souvent l’emploi de ces différents travaux dans le cadre de cette thèse.

Ces publications complètent les travaux menés dans la région de Dunhuang et forment ainsi, avec les découvertes de fiches Han, un tout indissociable pour approcher de la meilleure des manières l’histoire antique de la commanderie240.

Conclusion

Au terme de plus d’un siècle d’études de terrain, nous constatons le creusement d’un fossé entre études textuelles et études archéologiques.

Alors que jusqu’à la fin des années 1970, étaient combinés les sources dynastiques, les documents Han et les analyses de terrain pour affiner la connaissance de l’expansion chinoise dans le grand-ouest, la méthodologie s’est peu à peu modifiée au sein des centres de recherche. Il suffit pour cela de chiffrer, depuis les années 1980, le nombre de travaux (articles, ouvrages)

238 Li Chunyuan : 2006 et 2008

239 Sur Li Zhengyu et Li Bingcheng, on trouvera dans la bibliographie la liste exhaustive des publications retenues pour cette étude.

240 Il est étonnant de constater que ces publications sont souvent ignorées des travaux actuels et notamment des récentes thèses de troisième cycle dont le sujet porte justement sur l’expansion des Han dans le nord-ouest de l’Empire. On pense par exemples aux thèses de : Jia Wenli en 2011 « Handai hexi junshi dili yanjiu 漢代河西軍 事地理研究 [Recherches sur l'expansion militaire du Hexi sous les Han] » et celle de Bai Junpeng en 2014 « "Dunhuang Hanjian" zhengli yu yanjiu "敦煌漢簡"整理與研究 [Organisation et analyse des documents Han édités dans l'ouvrage "Dunhuang hanjian"] ».

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portant sur les documents Han et ceux traitant du mobilier archéologique (objets de la vie courante, architecture, tombes). L’écart est immense. Incontestablement, la plus grande majorité des recherches actuelles portent sur les fiches Han.

Cela s’explique tout simplement par l’accumulation de fiches Han. Près de 45 000 documents, détaillent la vie quotidienne des militaires et fonctionnaires Han affectés au sein de la commanderie. Une telle source nécessite d’ailleurs une grande connaissance de l’écrit de cette époque doublée d’un savoir aiguisé sur l’administration antique. Un corps de spécialistes des hanjian prend donc peu à peu essor depuis les travaux de Stein. Pour chaque fiche, on décortique le vocabulaire utilisé, on tente de rassembler les fiches pour obtenir un courrier complet.

Pourtant les études de terrain chinoises menées depuis 1980 le long des installations militaires Han ont apporté quantités d’informations sur le fonctionnement des installations civiles et militaires. On pourrait ajouter qu’elles ont largement contribuées à enrichir les travaux de Stein en produisant des cartes historiques de qualité, et en cherchant à comprendre les processus de sécurisation de l’ensemble du territoire. Mais ce travail reste secondaire par rapport aux sites qui ont délivrés un matériel épigraphique, tels que Maquanwan ou Xuanquan. Le site de Tianshuijing, entre autres, n’est pratiquement jamais mentionné dans les travaux actuels. Tel est le biais que nous constatons dans notre discipline. Les travaux d’archéologie ne mentionnent que sporadiquement les travaux menés sur tel ou tel document et réciproquement. Le fossé ainsi creusé pose un problème conséquent dans l’histoire de la commanderie. Au département d’archéologie du centre de recherche de Mogao, on préfère ainsi travailler sur des périodes médiévales. De même, au centre archéologique de Lanzhou, la publication des fiches de Xuanquan requiert l’attention de la grande majorité des spécialistes de la Chine des Han.

La hiérarchisation des données mène irrémédiablement à considérer que les missions de terrain n’ont d’intérêt que si elles apportent des nouveaux documents. Sinon, on considérera qu’une tour de signaux Han n’est qu’une parmi tant d’autres ou qu’un nouveau tronçon de muraille ne bouleverse pas les cartes déjà établies depuis tant d’années. C’est en suivant ce raisonnement actuel que nous constatons un ralentissement des travaux de terrain menés dans les régions de Dunhuang et de Guazhou depuis une dizaine d’années.

En dissociant les deux sources, textuelles et archéologiques, nous dissocions alors l’histoire de la commanderie. Les histoires trop simplifiées de la commanderie de Dunhuang,

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qu’elles soient asiatiques ou occidentales241 , ne prennent que rarement en compte l’emplacement exact des installations Han préférant se reposer sur les quantités de documents Han qui sont généralement complétées par les histoires impériales. L’archéologie, ou plutôt, les liens entre le site archéologique et les documents n’est pas prise en compte dans ces synthèses.

C’est justement pour cette raison que nous cherchons encore aujourd’hui à dater la fondation de la commanderie de Dunhuang. Ce n’est pas en raison d’un manque de données archéologiques mais plutôt un problème de méthodologie : celle de faire confiance au caractère chinois plutôt qu’à la brique crue.

241 On pense par exemple au récent chapitre d’ouvrage d’Edmund Lien sur les routes administratives dans la région de Dunhuang. Ce dernier a une évidente méconnaissance du terrain ce qui ne l’empêche pas de réaliser des cartes à partir de l’imagerie satellite sans avoir pris en compte les données factuelles publiées dans les travaux de terrains chinois (Lien : 2015, p. 17-53).

PARTIE II – Fondation de la commanderie de