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Méthodologies pour l’étude de la commanderie Han de Dunhuang

A. Les histoires dynastiques

1. L’importance des textes de géographie

La géographie historique étant au cœur de cette recherche, il importe de pouvoir s’équiper d’un ensemble de textes proposant une description de cette commanderie sous les Han, à commencer par le Hanshu.

Bien qu’épousant la même trame que le Shiji, Ban Gu développe dans le Hanshu des variantes importantes avec notamment l’ajout d’un « Traité de géographie (Dilizhi 地理志)»94. Ce « traité » (zhi 志) est moins une description qu’une vision très concrète de l’organisation spatiale de l’Empire. L’inclusion d’un tel texte sera prévue dans la plupart des histoires officielles des dynasties suivantes 95 . Au travers d’une géographie administrative et économique, on peut considérer ce traité comme une géographie humaine, naturelle et culturelle de l’ensemble du territoire impérial96. Le corps principal est consacré à un catalogue toponymique de la distribution spatiale des différentes circonscriptions administratives de l’Empire97. Les données démographiques correspondent aux chiffres recueillis lors du recensement de l’an 2, et reflètent la répartition démographique de la population98.

Dunhuang, l’une des quatre commanderies fondées à l’ouest du fleuve jaune dans le Hexi, est donc intégrée à ce traité. On y trouve la présentation la plus complète et la plus ancienne parmi les sources officielles99. Le Hou Hanshu, contient également « un traité sur les

commanderies impériales » (Hanjunguo 漢郡國) avec également une note sur Dunhuang100.

Ces deux notices rédigées à plus de quatre siècles d’intervalle, sont alors des données incontournables afin de connaitre l’évolution de la commanderie de la dynastie des Han. En effet, chacune fournit un recensement, des précisions sur la répartition des centres administratifs (nombre de districts) et quelques données diverses sur la géographie.

Dès la dynastie des Han, les histoires officielles furent interprétés au travers de commentaires qui ont eu un impact immense sur notre compréhension de ces textes. Sorte de

94 HS : 28A et 28B. Voir Zhou Zhenhe : 2006 pour l’édition critique de référence à ce chapitre. Pour l’authentification des données indiquées dans cette géographie administrative, voir Quan Zuwang : 2001. 95 Reprenant les propos de Alexis Lycas (CRCAO) au chapitre III de sa thèse « […] il convient toutefois de préciser que Ban Gu attribue l’origine de ce traité (notamment en ce qu’il traite des coutumes) à Liu Xiang (劉向) et au commentaire de Zhu Gan (朱贛), dont il aurait inclus les matériaux et informations ultérieurement dans son traité (HS : 28B/1639-1640) ».

96 Communication personnelle d’Alexis Lycas que je remercie pour l’étude de ce traité.

97 Pour la division administrative du territoire des Han, on renverra à Bielenstein : 1990, p. 90-109. 98 Sur ce recensement, cf. supra p.9, note n°3.

99 Le texte est présenté p.136-137.

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dialogue interne à chaque réédition du Shiji, du Hanshu et du Hou Hanshu, le commentaire explique ce qui ne semble pas aller de soi en clarifiant le sens d’un mot, le nom d’une

personne, l’emplacement d’un toponyme101. Nous ne citerons qu’un ouvrage daté des Qing,

rédigé par Wang Xianqian (王先謙) et intitulé : « Notes sur le Hanshu (Hanshu buzhu 漢書補 注) ». L’auteur de cet ouvrage – basé sur une version de la « Bibliothèque antique (jigu 汲古) des Qing - reprend l’ensemble des commentaires de Yan Shigu (顔師固) ainsi que les 22 commentaires plus anciens insérés dans le Hanshu en y rajoutant ses propres analyses. Il dresse donc un bilan de tout ce qui a été dit sur cette histoire dynastique et éclaircit de nombreux sens. C’est notamment le cas du « Traité de géographie » sur lequel Wang Xianqian apporte les plus importantes précisions. Nous y ferons fréquemment référence102.

De nombreux autres textes intégrés à la section des géographies (dili 地理)103 dans le « Bibliothèque complète en quatre sections » (Siku quanshu 四 庫 全 書 )104, ont leur importance pour l’étude de la commanderie de Dunhuang. Cette oeuvre magistrale détaille l’ensemble des ouvrages dignes d’être recensés par les bibliographes impériaux105. Ce sont des ouvrages de géographie, une discipline technique subordonnée à l’histoire (shibu 史部) dans la plupart des classements bibliographiques. Les éditeurs de cette encyclopédie ont divisés cette bibliothèque en une dizaine de catégories. Celle des « Traités compréhensifs de géographie impériale (zongzhi 總志) », regroupe une série de sept textes consacrés à l’étude des différentes régions de la Chine. Allant des Jin aux Qing, les auteurs répondent à un besoin de la Cour Central : celui de décrire avec précision les commanderies et préfectures de l’Empire, un écoumène en quelque sorte, ou plutôt une étude des milieux humains106. Les auteurs doivent présenter pour chacune d’entre elles une analyse de la topographie, les principaux développements historiques de la région, les biographies de gens illustres y ayant vécu, les produits locaux…

101 Standaert : 2016, p. 165-167.

102 Wang Xianqian : 1983 ; Wu Zhuoxin : 2001.

103 Terme traduit par « Linéaments de la terre » (Despeux : 2003, p. 536 ; Kalinowski : 2003, p. 557) ou par « organisation de la terre » (Lycas : 2015, p. 12-13. Thèse de troisième cycle non publiée).

104 Le Siku Quanshu fut compilé durant le règne de Qianlong (乾隆) (1711-1799) de la dynastie des Qing (1644-1911). Le comité de rédaction dirigé par Ji Yun (紀昀) et Lu Xixiong (陸錫熊) est composé de 361 lettrés. Entre 1773 et 1782, les éditeurs collectent et annotent plus de 10 000 manuscrits provenant des collections impériales et intégrant dans leurs corpus 3461 titres ou travaux provenant de chez des particuliers ou des librairies diverses. Le catalogue est divisé en quatre sections : classique, anecdotes, références, et belles-lettres. (Hong : 1939, 47-58 ; Wilkinson : 2000, p. 273-277).

105 On renverra, sur les encyclopédies chinoises de ce type, à Drège : 2007, p. 27 ; Bussotti : 378-382. 106 Berque : 2000.

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Se basant sur des sources pour la plupart ayant disparu, ces textes forment alors des compilations de savoirs provenant d’origines diverses : histoires et géographies locales, inscriptions funéraires, poésies, documents religieux, faits oraux… Les sites de la dynastie des Han deviennent, plusieurs siècles après, des lieux anciens (guji 古蹟). C’est pourquoi une place importante dans ces textes est dédiée aux tentatives de localisations de sites, aux changements de toponymes et à la description de vestiges antiques. Avec une extrême minutie pour chacune des notices, les auteurs parviennent à affiner la géographie historique de chacune des zones géographiques de l’Empire. Certains de ces textes deviennent alors indispensables pour comprendre l’évolution d’une région en Chine.

Il ne semble pas inutile ici de présenter les quatre principaux textes que nous utiliserons souvent dans le cadre de ce travail :

¾ Le « Traité des commanderies et districts du règne de Yuanhe » (Yuanhe junxian zhi 元和 郡縣志)107 est un traité de géographie rédigé par Li Jifu (李吉甫) sous la dynastie des Tang composé de 42 juan 卷108 et terminé en 813. Le texte est divisé en dix sections, chacune concernant un circuit, au sein duquel est détaillé la structure des commandements militaires (zhen 鎮 ) avant que ne soient présentées l’histoire, la topographie et les folklores des préfectures (zhou 州109) et des districts associés110. ¾ La « Géographie impériale durant l’ère Taiping » (Taiping huanyu ji 太平寰宇記), dont

le texte est présenté en 980 par Yue Shi (樂史) (930-1007), est une étude complète des territoires. Réalisé à la demande de l’empereur Taizong (régnant de 976 à 997) de la dynastie des Song du nord (960-1126), ce texte - composé de 200 rouleaux - dresse une description d’une Chine divisée en 13 circuits impériaux eux-mêmes subdivisés en commanderies et en districts111.

¾ Le « Traité géographique du grand Empire Qing » (Da Qing yi tong zhi 大清一統志) (1644-1911), fut initié par Xu Qianxue (徐乾學) (1631-1694). Il est composé de 342 juan dans sa première version publiée en 1744, de 424 dans sa seconde version en 1784 et

107 Texte auparavant intitulé : « Traité illustré des commanderies et districts du règne de Yuanhe » (Yuanhe junxian tuzhi 元和郡縣圖志).

108 Unité de mesure pour les ouvrage et manuscrits sur papier, Le juan est un « fasicule » ou un « rouleau » dépendant de la période durant laquelle ce terme est employé.

109 Sous les Tang, l’ancienne appellation pour la commanderie « jun 郡 » est remplacée par « zhou 州 ». 110 Zhao Shouyan : 1992, vol. 3, 1455.

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de 560 dans sa dernière version parue en 1842. Débutant avec la capitale de l’Empire, Pékin, cette géographie humaine dresse une description minutieuse de l’ensemble des commanderies et districts de l’Empire avec de nombreuses informations concernant les anciens centres administratifs de la commanderie Han de Dunhuang112.

¾ Les « Notes importantes sur la lecture des traités de géographie dans les Histoires

Dynastiques » (Du shi fangyu jiyao 讀 史 方 輿 紀 要 )113

,

est un commentaire sur

l’ensemble des livres de géographie rédigé par Gu Zuyu (顧祖禹), dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Le texte est constitué de 130 juan incluant 36 cartes et 35 tables. Gu Zuyu propose de dresser en première partie une histoire sur l’étendue des empires précédents (incluant des réflexions sur l’administration locale). C’est dans cette partie que l’on trouvera des données de seconde main sur la Dunhuang des Han, notamment sur la position des anciennes forteresses Han. En effet, Gu Zuyu oriente sa géographie humaine sur des questions de stratégie militaire (attaque/défense). Il applique une méthode couramment usitée dans les ouvrages de stratégies militaires antiques et actuels : déterminer les choix d’emplacement des infrastructures militaires par rapport à la topographie.

Ainsi, l’histoire de la commanderie au temps des Han (et aux périodes postérieures) était déjà richement détaillée par cette littérature historique et géographique. Bien avant que les premiers archéologues ne foulent le sable de Dunhuang, les commentateurs, historiens et « géographes » s’efforcaient de reconstituer au plus prêt de la réalité les événements passés et les emplacements des anciens centres du pouvoir.