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Chapitre 4. Le processus d’élaboration du projet de loi C-33

4.3. Les consultations approfondies en vue d’un projet de loi (2012-2013)

4.3.1. Première étape des consultations en vue d’un projet de loi (décembre 2012 à mai 2013)

De décembre 2012 à mai 2013, les personnes et organisations intéressées peuvent faire connaître leurs points de vue de différentes façons : en visitant le site web de l’AADNC, en envoyant des commentaires par la poste, en participant en personne aux séances de consultation régionales et en organisant des séances de vidéoconférences ou téléconférences pour les personnes ne pouvant assister aux séances en personne (les séances en personne et par vidéo/téléconférences ne semblent toutefois pas être ouvertes à tous). Le gouvernement dit vouloir offrir des moyens de consultation souples comme la consultation en ligne afin de permettre la participation du plus grand nombre au développement du projet de loi. Les huit séances de consultation régionales ont lieu dans de grandes villes - Halifax, Saskatoon, Vancouver, Winnipeg, Québec, Thunder Bay, Kenora et Calgary - et sont menées par des fonctionnaires du ministère (Canada, AADNC 2012; 2013c; 2013d; Valcourt 2013a)93.

Contrairement à celui de l’Accord de Kelowna, le processus d’élaboration ne se fait pas directement avec les hauts représentants de l’État. La structure de consultation davantage bureaucratique ne semble pas être empreinte d’une volonté politique et ne parvient pas à transmettre l’importance que revêt une réforme du système d’éducation pour les Premières Nations et le renouvèlement des relations.

Ce processus de consultation est vivement critiqué, pour des raisons semblables à celles soulevées durant le Panel. Certains points reviennent à plusieurs reprises durant les huit séances de consultation régionales:

• Le niveau de consultation inadéquat et la faible autorité des participants. Le processus ne constitue pas une véritable consultation et ne respecte ni l’obligation de consulter du gouvernement ni l’honneur de la Couronne. Les Premières Nations veulent prendre part à un dialogue continu au sein duquel leurs points de vue auraient au minimum un

93 Duncan aurait fait un discours d’ouverture à la consultation en Saskatchewan le 8 février, et Valcourt à celle en

Alberta le 16 avril (Valcourt a fait son discours par vidéoconférence, mais il n’est pas indiqué si ce fut aussi le cas pour Duncan) (Overview 2013).

poids égal à ceux du gouvernement et demandent à corédiger la loi, plutôt que réviser une loi déjà élaborée;

• L’absence d’entente préalable et le manque de transparence du processus : les Premières Nations estiment avoir droit au consentement préalable, éclairé et informé; • L’échéancier trop court : les représentants n’ont pas suffisamment de temps pour

consulter adéquatement les Premières Nations, analyser les documents et se préparer; • La consultation ouverte au public : la consultation en ligne permet à n’importe qui de

donner son opinion, même à des Allochtones n’ayant aucune connaissance des enjeux; • La conception unilatérale par le gouvernement du guide de discussion qui oriente les

consultations;

• Le gouvernement choisit les représentants des Premières Nations qu’il désire consulter : bien que les organisations aient un rôle à jouer, ce ne sont pas elles qui possèdent le droit à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale. Il est nécessaire de reconnaître le statut distinct des Premières Nations et d’établir une relation en conséquence. De plus, des ressources doivent leur être fournies afin de soutenir leur participation et les rencontres ne doivent pas se faire uniquement dans les grands centres urbains;

• Les représentants du gouvernement : la consultation doit se faire face à face avec des individus hautement placés, pas seulement avec des fonctionnaires;

• L’approche paternaliste du gouvernement (Overview 2013; CEPN et Hutchins Legal Inc 2013; APNQL 2013; Bastien 2013; CEPN 2014a ; APNQL et CEPN 2014a); Il est également important de noter quelques éléments qui se sont produits lors des consultations régionales et qui témoignent, en plus des critiques précédentes, de l’opposition de plusieurs Premières Nations au processus :

• Atlantique (23 janvier 2013) : les participants «left the meeting frustrated, angry and puzzled» (Overview 2013). De plus, les Premières Nations faisant partie de Mi’kmaw Kina’matnewey en Nouvelle-Écosse, une organisation qui a conclu avec le fédéral une entente d’autonomie gouvernementale en matière d’éducation, ont refusé de prendre part aux consultations car celles-ci ne respectent pas l’entente que les deux parties avaient convenu sur la façon dont les communautés doivent être consultées;

• Saskatchewan (8 février 2013) : il y a une manifestation pour dénoncer la séance; • Manitoba (12-13 mars 2013) : Assembly of Manitoba Chiefs (AMC) et Manitoba First

Nations Education Resource Center (MFNERC) décident de ne pas participer au processus. Dans une lettre adressée au directeur général d’AADNC, le grand chef d’AMC explique qu’en faisant fi des mécanismes de consultation voulus par les chefs des Premières Nations à travers le pays, le fédéral participe à la dégradation de la relation de traité. Il ajoute que le gouvernement en place ne cherche pas à gagner la confiance et le respect des Premières Nations, ce qui est pourtant nécessaire à une discussion qui repose sur les traités. De plus, certains participants indiquent qu’ils ne considèrent pas ce processus comme en étant un de consultation et qu’ils assistent aux séances en tant qu’observateurs et non en tant que participants;

• Québec (27 mars 2013) : la séance ne dure que 40 minutes. Le chef régional de l’APNQL, soutenu par tous les chefs présents, fait une déclaration et fournit des documents à l’AADNC, pour ensuite annoncer que la rencontre est terminée (Overview 2013). Les chefs de l’APNQL font savoir qu’ils ne rejettent «pas complètement un projet de loi, mais bien le processus» (Bastien 2013). Aussi, l’APNQL (soutenue par d’autres organisations nationales qui ont signé une déclaration commune) amènera cet enjeu devant le UN Permanent Forum on Indigenous Issues (UNPFII) et rencontra le rapporteur spécial;

• Ontario – Thunder Bay (11 avril 2013) : Chiefs of Ontario coordonne une manifestation en même temps que la séance de consultation;

• Alberta (16 avril 2013) : les chefs ont pris la parole pour dénoncer plusieurs éléments et ont refusé que les fonctionnaires d’AADNC poursuivent la séance. Tous les participants ont quitté la salle.

À ces critiques, le gouvernement répond qu’il adopte une approche diversifiée semblable à celle du Panel qui favorise la participation de tous et qu’il est toujours possible d’organiser des vidéoconférences. Il ajoute que rien n’a encore été écrit et que, de toute façon, une fois un brouillon rédigé, il sera de nouveau possible pour les Premières Nations de donner leurs avis. Il rappelle que le système proposé vise à retirer le gouvernement de l’éducation, ce qui devrait réjouir les Premières Nations (Overview 2013).

À la lumière de notre grille d’analyse, bien qu’une certaine structure de participation soit mise en place, il est évident que ni le critère de justification ni le critère de consentement ne sont respectés. Le processus que le gouvernement instaure ne parvient pas à se détacher de la logique paternaliste et à incarner une volonté de changement. Il n’est pas non plus pensé pour des partenaires égaux puisqu’il n’accorde aucun véritable pouvoir aux participants et leurs savoirs et compétences sont subordonnés à celle du gouvernement. De plus, malgré les nombreuses critiques, le fédéral refuse de repenser son approche et persiste avec une façon de faire qui, de toute évidence, ne correspond pas à la conception qu’ont les Premières Nations relativement d’un processus décisionnel égalitaire. Le gouvernement conservateur reproduit la structure de consultation du Panel national malgré le haut niveau de mécontentement qu’elle avait engendré. Cette attitude, que Schön et Rein qualifieraient de conversation politique non réflexive, frôle l’acharnement et contribue à dégrader les relations déjà fragiles qui unissent le gouvernement conservateur à de nombreux chefs des Premières Nations. Bien qu’il y existe une certaine ambigüité relativement à la compréhension exacte qu’il a du statut de ses interlocuteurs autochtones, le gouvernement met en place un processus qui ne s’approche en rien d’une relation de nation à nation. Il conserve le contrôle sur toutes les facettes du processus, ce que refusent plusieurs membres des Premières Nations, qui expriment par différents moyens et de façon non équivoque leur opposition. Il reste toutefois la seconde partie des consultations approfondies pour permettre au gouvernement conservateur de se réajuster en fonction des commentaires reçus.