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Chapitre 4. Le processus d’élaboration du projet de loi C-33

4.3. Les consultations approfondies en vue d’un projet de loi (2012-2013)

4.3.2. Deuxième étape des consultations en vue d’un projet de loi (juillet à octobre 2013)

En juin 2013, le ministre Bernard Valcourt (qui remplace dorénavant le ministre Duncan au sein d’AADNC) envoie une lettre aux chefs et conseils des Premières Nations afin de présenter les prochaines étapes du processus (Canada, AADNC 2014a; Picard 2013a; Valcourt 2013a). En réponse à cette lettre, Ghislain Picard adresse plusieurs questions au ministre démontrant que de nombreux détails sur le processus restent inconnus pour les Premières Nations et qu’il n’y a pas eu d’entente préalable sur la deuxième partie des consultations (Picard 2013a). Le 12 juillet, AADNC publie le document Plan pour l’ébauche d’une loi et le fait parvenir aux chefs des Premières Nations ainsi qu’aux gouvernements

provinciaux et autres intervenants intéressés (Valcourt 2013a; Canada, AADNC 2013b; 2013e). Cela constitue le début de la deuxième étape du processus des consultations approfondies (Canada, AADNC 2012; 2014b). AADNC affirme s’être inspiré non seulement des consultations de 2012-2013 pour l’élaboration de ce plan, mais également des travaux du Panel national. Il est important de rappeler que, en choisissant de s’inspirer pour la suite du processus des travaux du Panel et des consultations de 2012-2013, le gouvernement persiste avec une façon de faire qui a été expressément dénoncée par les principaux intéressés. De plus, étant donné le nombre important de chefs et membres des Premières Nations qui ont refusé de participer à l’une ou l’autre de ces consultations, il est à se demander quelles informations le gouvernement a pu en retenir.

Le contenu du plan d’ébauche ne se veut ni définitif ni exhaustif : le gouvernement le présente plutôt comme «une réflexion sur la démarche à suivre afin d’incorporer plusieurs points de vue dans la loi proposée» (Canada, AADNC 2013b, 2). Les parties intéressées sont invitées à faire parvenir leurs commentaires - soit en communiquant avec l’AADNC pour organiser des téléconférences et vidéoconférences ou en envoyant leurs commentaires en ligne ou par la poste - afin de continuer ce «dialogue ouvert» (Canada, AADNC 2013b, 2, 8; Valcourt 2013a). Selon Valcourt, la publication du plan témoigne de la transparence et de l’écoute du gouvernement fédéral (Mas 2013). Tout le monde ne partage pas cet avis. D’après le CEPN, le plan d’ébauche de juillet est une étape imprévue : le Conseil est averti une semaine avant et n’a que 14 jours pour faire parvenir ses commentaires. Selon une analyse préparée par le CEPN, bien que le plan soit plus conciliant que le guide de discussion présenté au début des consultations, peu de différences majeures peuvent être identifiées et la proposition de loi demeure paternaliste même après des mois de consultation (CEPN 2013a, 19-20; 2013d, 1). Dans le même ordre d’idée, Morley Googoo, titulaire du portefeuille de l’éducation pour l’APN, estime que le plan présenté par le fédéral est nécessairement imparfait et inadéquat étant donné le processus de consultation unilatéral qui y a mené (APN 2013). Atleo et Googoo écrivent au ministre Valcourt pour lui faire part des préoccupations du CCE. Ils rappellent que le gouvernement ne s’est pas acquitté de son obligation de consulter, car pour cela, il aurait fallu que le processus permette la pleine participation et l’«empowerment» des Premières Nations. Afin que soient respectées les excuses prononcées par le premier ministre Harper en 2008, ils invitent le gouvernement à continuer le dialogue et ajoutent que

«never again should the government proceed to determine solutions for us without us, nor engage in sharp dealing» (Atleo et Googoo 2013).

En octobre 2013, le gouvernement fédéral, comme il s’était engagé à le faire, publie et communique aux chefs des Premières Nations et aux provinces une ébauche du projet de loi, qui se veut une version améliorée du plan d’ébauche (Simeone 2014, 8; Canada, AADNC 2013f). Il est encore possible de commenter cette nouvelle proposition législative en envoyant les commentaires par courriel ou par la poste avant qu’elle ne soit officiellement déposée au Parlement (Valcourt 2013b). Selon une analyse de Michael Mendelson pour la Caledon Institute of Social Policy, rendre publique une ébauche du genre est exceptionnel, et témoigne de la volonté du gouvernement de négocier (Mendelson 2014, 1). Or, nous estimons que ce qui est vrai en contexte allochtone ne l’est pas nécessairement en contexte autochtone. Notre analyse rejoint plutôt celle de Robin V. Sears, selon qui «the government had issued a provocative and certain-to-be rejected draft bill» (Sears 2014). En refusant de mettre en place un processus conjoint de définition de la politique, le gouvernement ne doit pas s’étonner que ce document soit mal reçu.

Cette ébauche ne permet pas de calmer les critiques soulevées durant la première phase des consultations et lors de la publication du plan d’ébauche (CEPN 2013b; 2014a; 2014b). D’après le CEPN, elle représente une nouvelle politique d’assimilation (CEPN 2013b) :

Si quelques membres des Premières Nations seulement contestaient le processus de consultation mis en place et l’avant-projet de loi, il serait permis d’en douter. La réalité est qu’une vaste majorité des Premières Nations contestent ce processus et que le ministre d’AADNC et d’autres représentants du gouvernement fédéral nient cette évidence. Ils persistent à soutenir que les consultations se sont bien déroulées et que les points de vue des Premières Nations ont été pris en considération. Une telle désinformation confirme qu’il s’agit bien d’une fumisterie (CEPN 2013c).

Picard écrit à nouveau au ministre Valcourt pour lui faire part du fait que peu importe l’analyse que l’APNQL fera de l’ébauche, une modification sera tout de même inévitable. Pour permettre à leurs points de vue d’être adéquatement incorporés, les Premières Nations doivent nécessairement avoir aidé à la rédaction de l’ébauche. Il demande la confirmation que les futures ébauches seront corédigées avec les Premières Nations et qu’aucune loi ne leur sera imposée sans leur consentement (Picard 2013b). Atleo écrit à Valcourt concernant la lettre du chef régional, pour l’inviter à écouter les organisations comme l’APQNL qui sont actuellement en train d’analyser l’ébauche et qui demandent un processus d’engagement plus

intensif. Il réitère l’importance pour les Premières Nations de prendre possession de toute action servant à améliorer l’éducation des leurs (Atleo 2013a). Dans une lettre subséquente, Atleo annonce au ministre que les différentes communautés à travers le pays ont convenu que la proposition législative est inadéquate et qu’elle ne respecte pas les cinq conditions idéales de réussite attendues de l’APN (Atleo 2013b)94. Cette lettre représente une expression claire

du refus de consentir.

Un mois après l’envoi de cette lettre, une délégation canadienne à laquelle prennent part Shawn Atleo et Stephen Harper se rend en Afrique du Sud pour rendre hommage à Nelson Mandela. Pendant ce temps, une Assemblée spéciale des chefs est convoquée à Gatineau. Le 11 décembre, les chefs y adoptent la résolution no 21/2013 qui rejette clairement

l’ébauche d’octobre (Atleo 2014b; APN 2013; Mendelson 2014, 1). Cette motion mandate le chef national et l’exécutif de faire respecter par le gouvernement fédéral les cinq conditions identifiées par l’APN (APN 2013; 2014a). Harper et Atleo sont mis au courant durant leur séjour en Afrique de cette résolution et s’accordent pour mettre en place un projet de loi qui sera acceptable pour les deux parties (Mendelson 2014, 2). Cet évènement est considéré comme décisif pour la suite des choses (Canadian Press 2014a; Sears 2014)95.