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Chapitre 3. Le processus d’élaboration de l’Accord de Kelowna

3.5. Les tables sectorielles (novembre 2004 à janvier 2005)

Les tables rondes sectorielles – ou tables de suivi -, qui constituent un des engagements pris lors de la Table Ronde Canada-Autochtones, visent à continuer les discussions entamées sept mois plus tôt et à explorer de nouvelles idées pour aider la collaboration du fédéral, des provinces, des territoires et des peuples autochtones dans l’amélioration des conditions socio- économiques des Autochtones (Canada, Table Ronde Canada-Autochtones 2005b, 3-4; Patterson 2006, 4). Paul Martin affirme que le gouvernement fédéral ne peut décider pour les Autochtones, ces derniers sachant mieux que quiconque ce dont ils ont besoin. Le gouvernement doit plutôt faire preuve de respect en leur donnant l’occasion de s’exprimer sur les problématiques qui les touchent et d’identifier leurs priorités. À partir des solutions trouvées par les participants autochtones, il sera alors possible de négocier et d’identifier le financement fédéral nécessaire54 : Paul Martin reconnaît ouvertement que le rôle du

gouvernement fédéral – qui possède des capacités financières de loin supérieures à celles des OAN – est de financer les objectifs fixés par les participants (Alcantara et Spicer 2015). Il est significatif que le gouvernement convienne ainsi de la validité de l’expertise autochtone : plutôt que de seulement informer le gouvernement, les solutions autochtones serviront de base aux négociations. Cette croyance en la supériorité du savoir autochtone sur le savoir étatique dans ces domaines témoigne d’une certaine remise en question du rapport de pouvoir relativement au savoir, ce qui contraste radicalement avec l’attitude traditionnellement adoptée par le gouvernement fédéral.

Les tables de suivi ont été précédées par la mise en place d’un comité de planification générale par le Secrétariat des affaires autochtones du Bureau du Conseil privé. Ce comité, formé de représentants des cinq OAN, du fédéral et de provinces et territoires, est chargé de planifier les séances de discussion (Canada, Table Ronde Canada-Autochtones 2005b, 4). On y décide entre autres que l’objectif des tables sectorielles serait d’étudier plusieurs horizons qui informeraient les futurs travaux plutôt que de chercher un consensus sur certaines idées précises (Canada, Table Ronde Canada-Autochtones 2005a, 3). Des sous-comités de planification, également composés de représentants autochtones et gouvernementaux, sont organisés pour chaque séance et ont la responsabilité d’appliquer et d’adapter les lignes directrices développées par le comité de planification de façon à respecter les besoins de chaque domaine. Ensemble, le Comité et les sous-comités ont entre autres le devoir de définir les sujets prioritaires devant orienter les discussions, de sélectionner les participants et d’étudier le rapport que les facilitateurs écriront sur chaque séance (Canada, Table Ronde Canada-Autochtones 2005b, 4).

Chaque table sectorielle est présidée par le ministre du ministère ou de l’organisme fédéral pertinent55. Des documents d’information sont préparés par le gouvernement fédéral,

par les cinq OAN, par Statistique Canada et parfois par les provinces et territoires (Canada, Table Ronde Canada-Autochtones 2005b, 6) ce qui permet une plus grande diversité et une meilleure qualité de l’information fournie aux participants. Environ 100 personnes sont attendues à chaque table sectorielle : 10 représentants choisis par chacune des cinq OAN (des employés et des dirigeants de leurs organisations et d’autres organisations ainsi que des praticiens et des chercheurs) et environ 50 personnes choisies par l’entité directrice fédérale (en suivant les recommandations du sous-comité). On remarque un souci pour une représentation équilibrée (région, sexe, expertise, etc.). En plus des participants, des représentants (ou observateurs) ont également assisté aux séances afin de soutenir les participants : chaque OAN a droit à un maximum de trois représentants, le fédéral a droit à 15 et les provinces et territoires ont droit à 15 ensemble (Canada, Table Ronde Canada- Autochtones 2005b, 5). Ainsi, en plus d’avoir l’occasion de décider conjointement avec les représentants des gouvernements de la structure des tables sectorielles et des sujets qui y

55Santé Canada, AINC (pour l’éducation et pour les négociations), Société canadienne d’hypothèques et de

seront abordés – ce qui leur permet d’avoir une influence directe sur le déroulement du processus et sur le contenu qui servira éventuellement à l’élaboration de politiques -, les représentants des cinq OAN ont également un mot à dire sur qui y participera et sur qui les représentera. Encore une fois, cela dénote un respect de l’expertise autochtone et contribue par le fait même à une représentation plus juste des différents sous-secteurs.

Chaque séance est de deux jours (il y a sept séances, celle sur l’éducation permanente étant divisée en deux). La majeure partie de chacune des séances est réservée à des discussions séparées pour les Premières Nations, les Métis et les Inuit, car «un élément fondamental du processus consistait à reconnaître les intérêts distincts des Premières Nations, des Inuits et des Métis» (Canada, Table Ronde Canada-Autochtones 2005b, 7). Les participants autochtones réitèrent à différentes occasions leur opposition à une approche qui serait pan-autochtone (Canada, Table Ronde Canada-Autochtones 2005b, 6). Il est demandé à chacun des trois groupes de considérer certains enjeux transversaux («optiques d’analyse communes») comme ceux des femmes autochtones et des Autochtones vivant en milieu urbain (Canada, Table Ronde Canada-Autochtones 2005b, 8). Pour chaque sous-groupe, deux facilitateurs - qui ont été choisis dans une liste élaborée par les OAN – aident à animer les discussions thématiques. De plus, à la fin de chaque journée, une séance plénière a lieu pour leur permettre de présenter aux participants leurs résumés des discussions de la journée (Canada, Table Ronde Canada- Autochtones 2005a, 3-6; 2005b, 7). Les facilitateurs invitent à lire leurs rapports parallèlement aux autres rapports élaborés par les organisations autochtones afin d’avoir une meilleure idée de tous les points de vue, puisqu’ils admettent ne pas avoir pu retranscrire l’entièreté des idées discutées (Canada, Table Ronde Canada-Autochtones 2005b, 3-4, 25). Il n’y a donc pas de prétention à la supériorité des conclusions allochtones.

Les tables sectorielles ont permis l’échange d’information, la discussion et la production de documents de travail et de rapports, mais n’ont pas abouti à des engagements précis (Patterson 2006, 5). Le rapport final des facilitateurs souligne certains thèmes qui ont été abordés dans chacun des trois groupes de discussions : une approche distincte propre aux Premières Nations, Inuits et Métis plutôt qu’une approche pan-autochtone; la reconnaissance effective des droits et compétences autochtones; le transfert du contrôle des processus, politiques, programmes et du financement aux Autochtones; et le soutien de la capacité de tous les participants autochtones et non autochtones à inclure les Autochtones peu importe leur

statut et lieu de résidence (Canada, Table Ronde Canada-Autochtones 2005b, 26). Quelques critiques sont faites, entre autres par l’APN qui juge que le temps accordé aux tables sectorielles n’est pas suffisant et que les Premières Nations y ont été sous-représentées (Patterson 2006, 17). Malgré certaines lacunes, les tables de suivi ont permis au gouvernement fédéral d’approfondir sa compréhension des positions, attentes et besoins des participants autochtones et d’identifier avec ces derniers les pistes à considérer dans l’élaboration des ententes bilatérales et trilatérales qui seront éventuellement conclues. Encore une fois, les participants autochtones se sont vus accorder une place centrale lors de ces rencontres, et ont eu l’occasion de décider par eux-mêmes, autant dans l’identification des priorités et des solutions à considérer que dans la sélection des participants. Ainsi, non seulement le fait que le contenu qui servira de base aux négociations ait été décidé par les participants autochtones est- il important sur le plan du respect et de la reconnaissance des compétences et savoirs autochtones, mais il l’est également sur le plan du degré d’autorité qui leur est accordé, puisqu’ils ont une influence directe sur ce contenu. Cela est en fait fondamental dans une perspective d’autodétermination. Bref, tout comme la Table Ronde du 19 avril, les tables sectorielles continuent de s’inscrire dans une logique de dialogue et d’égalité.