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CHAPITRE 4...... DÉMARCHE DE L’ENSEMBLE DU TRAVAIL ET COHÉRENCE DES

5.1 Les pratiques de conception

5.1.1 Les pratiques de légalisation

Les pratiques de légalisation correspondent à ce qu’un acteur évoque lorsqu’il réfère, d’une manière ou d’une autre, à une forme quelconque de préjudice. Par exemple, payer ce qui ne devrait pas être payé se présente aux yeux d’un acteur comme un préjudice (Table 8.2). « Je ne paye pas le voyage. Je considère que c’est inclus dans leur tarif horaire. Les frais reliés à la formation sont inclus dans ce tarif, donc moi je te paye pas ce voyage ». Dans une telle situation, où l’on juge que les frais sont inclus, il convient et il est légitime de ne pas payer.

En fait, peu importe l’objectif particulier que l’acteur vise, du point de vue général de cette pratique type, celui-ci se rapporte à la légalisation d’une situation. Les pratiques de légalisation sont constituées d’actes par lesquels les acteurs tentent de préserver un droit ou de recouvrer un droit. Les pratiques de légalisation entraînent à agir de manière conforme ou à souhaiter ce qui est juste en fonction de la légalité ou de la non légalité d’un comportement. Peu importe que le préjudice soit avéré ou potentiel, le discours inhérent à cette pratique met en jeu, soit explicitement soit implicitement, un acteur ou une partie prenante qui cause une forme de préjudice (ou est en voie de le faire) et un autre acteur contre lequel ce tort a été causé (ou s’apprête à l’être). « Si vous voulez vous assurer d’une marque de qualité pour la quincaillerie, je suggère d’inscrire cette marque dans le devis. »

Ce dernier extrait, dans lequel l’acteur cherche à prévenir un préjudice potentiel relié à la qualité de certaines composantes du projet, permet de décrire la nature tripartite des pratiques. Ici, la métaphore du contexte juridique (qui n’est évidemment pas sans lien avec le choix de l’étiquette de cette catégorie) est tout à fait appropriée afin d’expliciter cette nature tripartite des pratiques de légalisation. En effet, on doit comprendre que par celles-ci, un acteur se défend ou accuse, se protège de menace éventuelle ou entame des procédures lui permettant de retrouver ce qu’il aurait injustement perdu. C’est à l’égard d’un intérêt, d’un privilège ou d’un bien et du rapport des différents acteurs à ce bien qu’opère l’ensemble de pratiques relié à la légalisation. Les situations de projet mettent ainsi en évidence un acteur qui serait pour ainsi dire coupable, c’est- à-dire celui qui, injustement, s’intercale entre une chose ou un bien et le droit d’un autre acteur – la victime– à cette chose. Dans tous les cas, les pratiques de légalisation sont susceptibles

d’évoquer, de manière analogue au contexte judiciaire, une victime, un coupable et une règle. L’acteur est donc un acteur à la fois séparé et protégé par une règle contre les empiètements possibles d’autres acteurs ou parties prenantes du projet. Cet acteur qui demande davantage que ce qui lui est dû, qui reçoit davantage ou prend plus que sa part, est susceptible d’être critiqué et donc de subir les torts d’un acte qui puiserait son sens dans ce que nous pourrions appeler, en accord avec ce type de pratique, un critère de légalisation.

Pour schématiser la pratique de la légalisation, on articule ainsi deux acteurs et une chose au sujet de laquelle un conflit survient ou peut survenir. Insistons sur le fait que la fonction de ce type de pratique ne consiste pas uniquement à rétablir entre les acteurs l’égalité rompue à la suite d’un avantage illicite mais aussi, dans la mesure où cette pratique peut être dite punitive, à prévenir certains écarts de conduite. On obtient alors les relations [A1-(E1, E2, E3,…)-A2] ou A1 et A2 sont les acteurs ou les parties prenantes en présence et E un élément caractéristique d’une situation pour lequel un différend se présente.

E1, E2, E3,…

A1 A2

Figure 5–1 Relations types propres aux pratiques de la légalisation

Cette caractérisation générale des pratiques de légalisation étant faite, considérons maintenant avec plus de détails ce qui les compose. Nous avons souligné que la relation [A1-E-A2] se rapporte en fait à des règles diverses ou à des normes. De quelles règles, normes ou structures parlons-nous ici? Le premier extrait que nous avons évoqué précédemment en faisait déjà implicitement mention à travers la notion de tarif horaire. Ces règles relèvent en fait de diverses ententes entre les acteurs. Par celles-ci, les acteurs fixent, par exemple, les modalités d’un salaire. Les pratiques de légalisation mettent ainsi en jeu un ensemble de structures relativement formelles qui suggèrent une voie pour l’action. Ces pratiques attestent, authentifient, certifient,

confirment, enregistrent, officialisent, reconnaissent, assument, protègent, réclament, défendent, attaquent, accusent, etc.

Les échanges entre les acteurs se trouvent normalisés par des objets qui dictent les rapports entre les acteurs. Ces objets, qui prennent habituellement la forme de divers documents officiels, statuent sur les droits, les rôles, les responsabilités, les devoirs et les obligations des différents acteurs et parties prenantes. On pense par exemple aux ententes contractuelles ainsi qu’aux conventions établies ou consenties entre les acteurs. La volonté propre à une partie prenante ou à un acteur se trouve alors subordonnée à la volonté générale telle qu’elle se trouve définie par une règle ou un ensemble de règles que les documents explicitent et structurent en un tout. Comme le met en évidence le Tableau 5–2, plusieurs objets de ce type ont été observés. Ces objets ont en quelque sorte la tâche de représenter et de rendre disponibles les règles. Pour en faire une énumération, mentionnons : les contrats, les conventions collectives, les ententes cadres, les partenariats, les mandats, les attestations, les certifications, les constats, les organigrammes, la commande, le tarif horaire, le programme, les offres de service, etc.

Ces objets ont la particularité d’être négociés par les acteurs. L’action repose alors sur le formalisme d’un document quelconque par lequel les acteurs sont liés dans le projet. Les termes du document agissent comme des règles en fixant les modalités des rapports des acteurs entre eux et des acteurs avec différentes dimensions et obligations qui se rapportent au projet. La présence de plus en plus fréquente des avocats dans l’arène des projets, dont la spécialisation consiste précisément à scruter et structurer la constellation d’objets associée à la logique de la légalité, l’élargissement de leur rôle en contexte de projet et l’enjeu capital désormais rattaché à la qualité des documents contractuels et leur gestion sont d’autres indicateurs de l’importance de ce type de pratique.

Notons qu’ici les pratiques rapportées à la légalisation ne se limitent pas à un cadre juridique strict. Les pratiques de la légalisation prennent aussi en considération les structures hiérarchiques de commandement et l’ensemble des éléments qui sont réglementés, officiels, autorisés et dont les détails sont convenus et forment des procédures devant normalement être suivies. Ainsi, les acteurs doivent respecter les structures et les commandements sous peine de réprimande. « Là, là,

si y s’y fait pas au projet sans église, c’est moi le client, j’ai beaucoup de respect pour lui, eh bien je vais le mettre dehors ». Les titres qui permettent l’identification des acteurs sont donc importants, car ils permettent aux uns et aux autres de se situer dans la structure. Ici, l’acteur est titulaire, client, patron, délégué ou représentant d’une autorité, d’une organisation ou d’un groupe qui lui confère certains droits lui permettant d’exercer un certain pouvoir sur les choses et les acteurs.

Du point de vue des pratiques de légalisation, les différentes actions doivent ainsi être validées et officialisées tout en respectant les contrats et les ententes sur lesquelles les acteurs ont statué. Les actions entreprises par les acteurs doivent suivre « le cours normal des choses » de sorte que le processus soit juste. Un acte qui ne respecterait pas ce cours normal est susceptible d’être critiqué, attaqué, blâmé et, en exagérant, qualifié d’illégal. Pour ce type de pratique, un acte est considéré comme suspect précisément dans la mesure où il enfreint une règle. S’il devient suspect, il n’est probablement pas impartial, équitable ou transparent et véhicule fort probablement des conflits d’intérêts que l’on chercherait à dissimuler. Ainsi, avant le dépôt de toutes études dans une base de données, le sceau du directeur doit avoir été apposé parce que « c’est la façon de faire ». C’est par ce critère que les passe-droits sont dénoncés et les déviations aux ententes susceptibles d’être réprimandées.

Les formes légales considérées dans un sens large concernent donc non seulement les lois, les droits, les législations et les contrats par lesquels les acteurs sont reliés aux choses, mais aussi ces autres objets qui cherchent à stabiliser les conduites : les décrets ministériels, les ordres, les ordonnances, les formalités, les procès-verbaux, les mandats, les protocoles d’accord, les lettres officielles, les accusés de réception ainsi que les comptes rendus de toutes sortes qui s’assurent de mettre par écrit le contenu des réunions d’équipes, des assemblés générales, des rencontres au sommet, des conseils d’administration, des « lacs à l’épaule », des sessions et des concertations publiques. Ces objets inscrivent les pratiques de légalisation dans une matérialité et donnent aux divers acteurs des références ainsi que des informations qui se présentent comme de véritables instruments permettant les échanges, les délibérations et les décisions relatives aux pratiques de légalisation.

En résumé, les pratiques de légalisation permettent d’initier des actes par lesquels les acteurs attestent, authentifient, certifient, confirment, constatent, enregistrent, légitiment, officialisent et reconnaissent. Par l’entremise de divers objets et en se référant à ceux-ci, les acteurs assurent la légitimité de leur conduite ou la remise en question des conduites d’autres acteurs. Lorsque les obligations relatives à la légalité des choses ne sont pas respectées par un ou des acteurs, l’assujettissement à ces objets autorise et légitime un acteur à initier une démarche ou une procédure capable de redresser la situation. La Tableau 5–2 qui suit résume, à partir de quelques extraits d’interactions, les éléments à partir desquels se sont esquissées les pratiques de légalisation.

Tableau 5–2 Les pratiques de légalisation

Termes de référence Actes auxquels renvoient les

discours Quelques extraits d’interactions verbales

Les choses sont conformes, légales Contrats

Négociation des contrats Réouverture des contrats Protéger (se protéger) Attestation Authentification Certification, certificat Confirmation Constat Enregistrement Dispositions légales Formalités Conformité Légitimité Normalité

Conforme aux règlements En bonne et due forme En règle, réglementaire Ententes cadres Conseil d’administration Processus de sélection Partenariat (public-privé) Mandat Tarifs horaires Taux

Description des rôles Description des tâches

Remplir ses rôles

On atteste (attestation)

On authentifie (authentification) On certifie (certification, certificat) On confirme (confirmation) On constate (constat) On enregistre (enregistrement) On légitime On officialise On reconnaît

On fait valoir son droit On use de son autorité

On assume (ses responsabilités) On se conforme On se plie On respecte On négocie On protége Vers la régularisation On réglemente On ordonne On normalise On régularise Vers la personnalisation On se montre droit On est intègre

On est égale, juste, neutre, objectif, équitable

On reconnaît (les autres) On respecte (les droits de la personne)

- Je ne paye pas le voyage. Je considère que c’est inclus dans leur tarif horaire. Les frais

reliés à la formation sont inclus dans ce tarif, donc moi je te paye ce voyage.

- Là là, ils ont fait des maquettes numériques 3D avec l’église. L’architecte, c’est pas à lui

de décider ça. Il a monté les tours de 80 à 100m ou 110m pour la placer son église parce qu’il voulait la garder son église. Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il a monté les tours pour le faire. Là, là, si y s’y fait pas au projet sans église, c’est moi le client, j’ai beaucoup de

respect pour lui, eh bien je vais le mettre dehors.

- C’est à notre équipe de faire la description de ce qu’on a de besoin. C’est à nous de faire

le programme fonctionnel.

- Alors donc, les contrats des professionnels et du gestionnaire, rouvrir les contrats des

professionnels, il était prévu en 4 phases sur un conventionnel avec des options ppp dedans. Mais il y a une dichotomie entre les contrats de nos professionnels, autant au niveau du contenu, que sur l'échéancier. Il y a du overlap entre les deux sur des rôles et responsabilités. Il faut changer leur mandat pour la réalisation. Il risque d'avoir des coupures et du monde mécontent.

- Tous les besoins doivent être présents, indiqués et bien précisés, parce que vous n’aurez

pas indiqué, eh bien eux ne vous le donneront pas.

- Là il y a des factures que je vais pas payer. Je vois pas pourquoi je paierai pour du travail

que j’ai pas commandé!

- Mais pour le devis de performance, il faut qu’on donne de la latitude aux professionnels.

De fait, on pense qu’on a raison - alors de leur laisser toute cette marge là, ça vient nous chercher dans nos entrailles en? Et c’est là qu’on voudrait être prescriptif et leur dire quoi faire. Par contre, après, si la salle opératoire ne marche parce que la porte est pas assez large ou ci ou ça, c’est nous qui avons le problème. Si on leur laisse plus de marge, c’est eux qui auront à gérer le problème, pas nous autres.

- Je pense qu’on devrait définir certains types de portes.

- Tu vas te faire avoir là-dessus. On va te donner de la quincaillerie de mauvaise

S’acquitter de ses tâches Responsabilités

Assumer ses responsabilités Autorité

Organigramme (on respecte l’organigramme)

Hiérarchie (on respecte la hiérarchie) Relation hiérarchique (patron, client, professionnel, patient)

Respect des plans, des devis Respect des collègues

Vers l’opportunisation On use de son droit On abuse de son autorité On officialise

Vers la fonctionnalisation On protège

On se protège On sécurise

- Si vous voulez avoir une bonne marque, je pense qu’il faut peut-être penser dire une

marque précise. Il faut peut-être prescrire.