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CHAPITRE 3. PARTI MÉTHODOLOGIQUE

3.2 Analyse des données par catégories conceptualisantes : une démarche de

3.2.4 La collecte des données par observation participante

Comme l’ont noté Argyris et Schön (1974), les théories d’usage (theories-in-use) diffèrent en général des théories de référence (espoused theories). Comme ce sont les théories d’usage qui rendent compte de l’action humaine et du comportement des acteurs en situation de projet, ce sont ces dernières qui nous intéressent ici. Les méthodes de recueil de données par entrevue dirigée ou semi-dirigée et par questionnaire n’accèdent bien souvent qu’aux théories de référence.

1 « The basic criterion governing the selection of comparison groups for discovering theory is their theoretical relevance for furthering the development of emerging categories. The researcher chooses any groups that will help generate, to the fullest extent, as many properties of the categories as possible, and that will help relate categories to each other and to their properties. » (Glaser et Strauss, 1967, p. 49.)

En effet, ce que les acteurs rapportent par l’entremise de ces méthodes renvoie moins à ce que les acteurs font véritablement en action qu’à ce qu’ils croient ou souhaitent faire en action.

When someone is asked how he would behave under certain circumstances, the answer he usually gives is his espoused theory of action for that situation. This is the theory of action to which he gives allegiance, and which upon request, he communicates to others. However, the theory that actually governs his action is his theory-in-use, which may or may not be compatible with his espoused theory. (Argyris et Schön, 1974, p.7.)

Ainsi, les pratiques inhérentes au processus d’enquête ne peuvent pas être induites uniquement en demandant aux acteurs de les révéler. « We must construct his theory-in-use from observations of his behavior. » (Argyris et Schön, 1974, p. 7, souligné par nous.) L'observation in situ des acteurs fonde ainsi notre méthode qui emprunte ses principaux outils de recherche à l’ethnographie. En management de projet, on rappelle que Cicmil et al. (2006) ont récemment fait valoir l’importance de constituer de riches études de type ethnographique; l’objectif étant de produire des analyses empiriques concrètes et d’approfondir notre compréhension de l’action telle qu’elle se déroule dans les situations de projets. Du point de vue du design, cette recherche se rapporte aux études observationnelles telles que préconisées par Visser (2006). Comme nous l’avons précisé, notre démarche s’appuie sur l’immersion dans différents terrains.

Le chercheur avait accès au calendrier des rencontres, était inscrit dans les listes officielles des équipes et les procès-verbaux des réunions lui étaient communiqués dans les heures suivant la fin des rencontres. Dans la mesure où il recevait les documents travail, à savoir les versions préliminaires des plans ou des devis auxquelles les rencontres se rapportaient, il était traité comme participant aux rencontres. En fait, selon le modèle de Junker (1960) sur les rôles de l’observateur1, les approches employées sur les différents terrains (voir tableau 3–1) s’apparentent aux rôles d’observateur-comme-participant (observer-as-participant) et de participant-comme-observateur (participant-as-observer). Selon Junker (1960), le chercheur (fieldworker) peut adopter quatre rôles distincts, allant du participant complet (complete participant) à l’observateur complet (complete observer). Entre ces deux rôles situés aux extrêmes du continuum d’immersion se trouvent les rôles du participant-comme-observateur

(participant-as-observer) et de l’observateur-comme-participant (observer-as-participant). On peut représenter schématiquement cette situation comme suit :

Participant-comme-

observateur Observateur-comme -participant Observateur complet Participant complet

Figure 3–3 Les différents rôles de l’observateur dans l’observation des terrains

Le rôle du participant complet se distingue par le fait que l’identité véritable et les intentions du chercheur ne sont pas connues de ceux qui sont observés1. Le rôle du participant-comme- observateur est similaire au précédent, mais s’en distingue par le fait que l’identité du chercheur est connue de ceux qu’il observe. Ce rôle se caractérise par le fait 1) que le chercheur développe des relations étroites avec ceux qu’il observe, 2) qu’il tisse souvent ces relations sur de longues périodes de temps et 3) qu’il consacre plus de temps et d’énergie à participer aux activités quotidiennes qu’à observer. Ceci permet de cibler la distinction majeure entre le participant- comme-observateur de l’observateur-comme-participant puisque ce dernier consacre davantage de temps à observer et moins à participer. Conséquemment, le chercheur conserve plus d’autonomie et peut quitter plus facilement le terrain afin de reprendre son statut de chercheur. Ces avantages ont évidemment leur contrepartie. D’une part, comme les contacts sont plus brefs, ce rôle implique parfois une perte sur le plan de la profondeur interprétative. D’autre part, ce rôle place souvent le chercheur dans une position délicate. Ce dernier n’étant pas totalement engagé, les acteurs observés peuvent se méfier de lui et créer des barrières sur le plan de la communication. Finalement, le rôle de l’observateur complet se caractérise par une coupure entre le chercheur et les interactions sociales. Dans ce rôle, le chercheur se contente d’observer un milieu sans interagir avec celui-ci. Il demeure à l’écart de ceux qu’il observe, il est détaché du terrain et n’interagit avec personne.

Lorsque la situation le permettait, selon les acteurs en présence et les sujets traités, les interactions ont pu être enregistrées (audio et vidéo). Dans le cadre de notre étude, le chercheur a

1 « The complete participant realizes that he, and he alone, knows that he is in reality other than the person he pretends to be. » (Gold, 1969, p.33.)

pu filmer l’Équipe 2. Il n’a pas été possible d’enregistrer les Équipes 1 et 3, essentiellement pour des raisons de confidentialité et de sensibilité du contenu des interactions. Ensuite, des notes libres ont été prises de manière soutenue tout au long des immersions. Notons que si l’analyse du discours en interaction favorise les enregistrements de type audio et vidéo (ceux-ci constituent la meilleure façon de fixer les données), on peut également recourir au relevé de faits observés et simplement notés (Kerbat-Orecchioni, 2005). Dans les cas où le chercheur ne pouvait pas utiliser les méthodes d’enregistrement, les sujets des discussions étaient identifiés et le chercheur s’appliquait à inclure le plus grand nombre possible de citations (verbatim quotes)1. De plus, les observations ont été augmentées des sources de données secondaires suivantes : 1) entrevues informelles in situ avec les acteurs, 2) documents administratifs et techniques auxquels le chercheur avait accès (plans, schémas, maquette, modélisation 3D, comptes-rendus, notes techniques, etc.) et 3) collecte de la couverture médiatique par les principaux quotidiens du projet mené par l’Équipe 3.

La mise en chantier de notre parti méthodologique permet de réaliser une forme de triangulation que Patton (2002) et Lincoln et Guba (1985) nomment la triangulation par les données. Selon ces auteurs, chaque type de données comporte des forces et des faiblesses. Dès lors, la combinaison de différentes sources de données ou types de données accroît la validité des résultats et contribue à la crédibilité générale des recherches. Pour le dire autrement, une source de données permet de compenser les faiblesses d’une autre et vice versa. Par exemple, les biais habituellement liés à la prise de notes sont susceptibles d’être limités par la réalisation d’enregistrements de type vidéo.

Avant le début officiel de la collecte de donnée, le chercheur s’est familiarisé avec les différents milieux ainsi qu’avec les différents membres des équipes de projet. Dans cette période tampon, le chercheur se limitait à l’observation des équipes et discutait librement avec les acteurs. Lentement, ces échanges ont permis la création de liens de confiance. Le chercheur a ainsi pu multiplier les échanges informels avant et après les rencontres. S’immergeant progressivement, il a pu s’impliquer avec les groupes en dehors du contexte spécifique des projets. À titre d’exemple, le chercheur a été invité aux lacs à l’épaule d’une équipe, il a assisté à des dîners de groupes dont

1 Dans le champ de la stratégie, les travaux récents de Jarzabkowski et Seidl (2008) se sont construits à partir d’une prise de notes détaillées de citations.

l’objectif consistait essentiellement à « faire descendre la pression » et « à garder le monde ensemble », à des 5 à 7 « juste pour prendre un verre avec nous autres » et il a partagé des repas avec plusieurs acteurs individuellement. Chaque occasion permettait au chercheur de se familiariser avec les différents membres d’une équipe, leur langage, leur histoire, les « running gags » et les surnoms que se donnaient les acteurs.

De concert avec la construction du climat d’échange et de confiance, le chercheur a tranquillement entamé la prise de note et l’enregistrement des rencontres. Notons également que le chercheur arrivait avant le début et partait après la fin des rencontres de manière à observer l’arrivée de l’ensemble des membres, leur départ et surtout de pouvoir prendre en note les interactions informelles qui se déroulaient dans ces périodes entourant les rencontres officielles. Par cette présence, le chercheur a pu engager des interactions avec les membres, interroger certains acteurs et détailler davantage sa compréhension des contextes. Cette attitude semble avoir permis, tout long de la collaboration, d’entretenir et de renforcer les liens avec les équipes. Dans le cas de l’Équipe 3, le chercher a d’abord intégré l’équipe A. Il a alors développé des liens avec quelques-uns des acteurs de cette équipe. Ceux-ci étant des responsables d’autres équipes, le chercheur a pu les suivre et ainsi assister aux rencontres des équipes 3B, 3C et 3D.

Les notes d’observations (field notes) constituent la source principale de données et forment un corpus d'environ cinq cent cinquante pages. Relativement à l’effort de théorisation, les notes issues des observations ainsi que les enregistrements audio et vidéo constituent les données les plus importantes. Mentionnons également que les données collectées dans les terrains des Équipes 2 et 3 ont été plus importantes que celles collectées dans le terrain de l’Équipe 1. Ces dernières ont permis d’amorcer le travail de conceptualisation, mais elles ont surtout fait comprendre au chercheur la nécessité d’approfondir le cadre théorique et de préciser son objet d’étude. De la même manière, les données collectées dans le terrain de l’Équipe 3 se sont avérées plus sollicitées que celles de l’Équipe 2. L’importance des terrains d’échantillonnage suit ainsi l’ordre chronologique des immersions. Les données secondaires permettent de supporter le travail d’interprétation réalisé. Les détails concernant les observations, les méthodes employées dans chaque cas, les types de données collectées, le rôle joué par le chercheur ainsi que la nature des équipes sont résumés au Tableau 3–1.

Tableau 3–2Tableau des immersions du chercheur aux différents terrains de recherche Projets/immersions Projet 1 Projet 2 Projet 3

Noms des équipes Équipe 1 Équipe 2 Équipe 3A Équipe 3B Équipe 3C Équipe 3D

Secteurs d’activités Architecture/ projet

de construction Design/ projetd’aménagement, design d’intérieur

Architecture / projet de construction

Rôles des équipes Comité de construction/ suivi du projet Conception et réalisation de projets de design d’intérieur Comité de

direction Comité des opérations Comité de conception Comité de conception (équipe client + équipe professionnelle) Nombre d’acteurs 6-7 3-4 6-14 7-11 3-6 10-16 Disciplines professionnelles Managers Directeurs Directeurs finances Architecte Gestionnaire de projet Entrepreneur général Designers Gestionnaire de projet Artisans/Ébénistes Architecte Avocat Ingénieur (mécanique, électrique, civil) Cadres Directeurs Gestionnaire de projet Professionnels spécialisés Avocat Ingénieurs Cadres Directeurs Professionnels spécialisés Gestionnaire de projet Ingénieur Architecte Professionnels spécialisés Architecte Ingénieur (mécanique, électrique, civil) Cadres Directeurs Professionnels spécialisés

Rôle du chercheur Observateur-

comme-participant Participant-comme-observateur Participant-comme- observateur

Observateur-comme-participant

Types de données Observation

Prise de notes Observation Prise de notes Collecte des documents (techniques et

administratifs) Enregistrement audio et vidéo des rencontres

Observation Prise de notes

Collecte des documents (techniques et administratifs) Collecte des articles de journaux

Séances de collecte de données (durée : 1

à 8 heures)

16 6 12/30 3/30 7/30 8/30

Période d’immersion Automne 2005 Automne 2006 Hiver 2007-Automne 2008

Retombées scientifiques relatives aux différents terrains Étude exploratoire (Lalonde et al. 2007) fondée sur des entrevues semi- dirigées

Premières tentatives de