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1.2. Jean Bazaine

1.2.3. Liens entre Leduc et Bazaine

1.2.3.2. Leur pratique artistique

A quelques reprises, Leduc mentionne 1'existence d'un lien entre son travail de peintre et sa relation avec Bazaine. Il a accès à 1'atelier du peintre français, rue Monsieur. Cet aménagement favorise le développement de sa peinture. Il le confirme à Rodolphe de Repentigny en 1953 : "... en 1951, nous avons déménagé ... C'était là l'idéal car j'avais 1'atelier de Bazaine, un vaste atelier, avec un splendide éclairage du nord. Voilà, je pouvais enfin peindre dans des conditions idéales - grâce auxquelles ma peinture s'est dégagée, est devenue plus libre."95 96

C'est aussi au début des années cinquante que Leduc peint dans la nature, à 1'île de Ré et dans les Cévennes. Ces séjours donnent naissance à des oeuvres qui se démarquent de son travail précédent. L'influence de Bazaine s'y fait sentir et Leduc en "convient lui-même" à Jean-Pierre Duquette.97 A partir de 1952, Leduc commence à affirmer la profondeur, "par la seule juxtaposition de taches colorées qui construisent plusieurs plans."98 Il assemble ces taches sous forme de stries ou de

95 Leduc, F. p. 141.

96 De Repentigny, Rodolphe. "Importante évolution dans 1'oeuvre de Fernand Leduc", La Presse. Montréal, samedi 7 février 1953.

97 Duquette, J.-P. .71.

treillis à la manière de Bazaine". Cette facture se reconnaît dans "La voie et ses embûches",* 100 une huile de 1952, dans les caséines de l'île de Ré de 1952, dans les gouaches des Cévennes de la même année et dans les huiles intitulées "Signes ignés",

"Les quatre chemins", et "Signes"101.102 Cependant, Leduc intègre d'une manière personnelle ce travail. Dans "La voie et ses embûches" et dans "Signes" par exemple, les taches juxtaposées gardent un contour plus irrégulier et une facture encore marquée par l'automatisme. Chez Leduc, si nous pouvons parler de "treillis", celui-ci reste souple et lié à la simple juxtaposition des taches. Chez Bazaine, dans "Le grand arbre au paysage d'hiver" et dans "L'arbre au plongeur”, le treillis des taches de couleur est davantage resserré et déterminé par des réseaux de lignes noires irrégulières couvrant la surface de la toile comme un filet et créant un effet de prismes de couleurs.

Chez Leduc, entre les oeuvres ci-haut mentionnées et celles des années précédentes, nous assistons à un glissement vers une organisation et une hiérarchisation plus grande des signes sur la surface picturale. Avant 1950, la gestualité automatique, les tons sombres, les textures plus épaisses dominent. A partir de 1950, un mouvement s'opère vers une plus grande construction au moyen de lignes verticales, horizontales, obliques ou courbes ("île de Ré")103. Les couleurs s'éclaircissent, la lumière jaillit

" Pour illustrer la manière des "treillis" ou des "stries" de Bazaine, nous présentons à l'annexe 2, page 153, deux photocopies d'oeuvres de Jean Bazaine, "Le grand arbre au paysage d'hiver" de 1948 (Illustration A) et "L'arbre au plongeur" de 1949 (111. B).

100 Annexe 2, ill.C. p.154 101 Ann.2, ill.D. p. 155 102 Duquette, J.-P. p.71 103 Ann.2, ill.E. p.155

("île de Ré"). Les taches avancent vers 1'avant-plan et annihilent tout effet de profondeur ("Cévennes") ou elles se regroupent ("La voie et ses embûches").

En 1950, Leduc est engagé dans un processus de recherche d'ordre et de hiérarchie. Il définit ainsi sa production:"Le reflet de l'eau, le passage du vent, voilà pour l'apparence. Pour moi un dépouillement de plus en plus grand orienté vers la plénitude du signe.1,104 L'utilisation du "treillis" de taches à la façon de Bazaine appuie sa recherche intérieure, dont les oeuvres sont la manifestation artistique. Leduc a souhaité "des oeuvres libérantes, harmonieuses, ordonnées, reflet de la liberté, de l'harmonie, de l'ordre intérieurs conquis de haute lutte dans l'aspiration à la liberté, à l'harmonie et à l'ordre universels.1,105 C'est une orientation esthétique qu'il affirme en 1950 et qui le guidera par la suite.

Lorsque Fernand Leduc rencontre Jean Bazaine, il trouve chez cet artiste une pensée, une exigence et une sensibilité correspondant à la sienne. Ce rapprochement nourrit sa réflexion et son engagement envers sa propre recherche d'un ordre universel. L'esthétique de ce peintre marque également son oeuvre au niveau de 1'organisation du plan pictural vers un art plus formel.

1.3. Conclusion

La correspondance de Fernand Leduc à Paul-Émile Borduas durant les quatre années précédant sa rentrée à Montréal en 1953 et l'étude du vocabulaire, des concepts ainsi que la pensée qu'il y développe, nous ont permis de proposer une compréhension de sa démarche d'homme et d'artiste. Au fil des différentes lettres

im Gauvreau, Claude. "Interview transatlantique du peintre Fernand Leduc", in Beaudet, A. p.264 n.275.

qu'il a écrites, dont certaines constituent des temps forts, Leduc dévoile les moments de sa recherche intérieure et artistique à la fin des années quarante et du début des années cinquante. Parti de 1 'automatisme qui lui a permis d'aller puiser aux sources de sa créativité et de se libérer des contraintes d'une société étouffante, Leduc s'en est éloigné pour adhérer à une conception du monde où l'homme vit "en relation harmonieuse avec l'univers".106 Sa pensée esthétique a évolué d'un "art informe" à un "art de formes". Les écrits que nous avons abordés témoignent du rôle marquant de Raymond Abellio et de 1'influence de Jean Bazaine dans ce cheminement unique d'un artiste québécois qui est resté longtemps occulté en histoire de l'art québécois et canadien.

LA PENSÉE ESTHÉTIQUE DE FERNAND LEDUC ET SON ACTION DANS LE