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LA DÉMARCHE PLASTIQUE DE FERNAND LEDUC DE 1953 À

3.1. L'évolution plastique entre 1'automatisme et l'art abstrait construit

3.2.2. Analyse syntaxique

"Portes rouges" marque un moment décisif dans la trajectoire de Fernand Leduc. Cette oeuvre fait partie d'une série de tableaux appelés les "Pavés", dernières manifestations d'un art non- figuratif mais formel, juste avant le passage à 1'abstraction construite. La description que nous venons de réaliser met en lumière les éléments formels de sa composition. Dans ce tableau, il est question de formes, de couleurs, de rapports, de surface. Les formes simples prennent plus ou moins 1'aspect de figures géométriques rectangulaires, certaines définies, d'autres beaucoup plus indéterminées. Chaque forme, peinte d'une seule tonalité, devient un objet autonome à 1'intérieur du tableau. Les tonalités/formes existent en elles-mêmes, pour elles-mêmes. Par leur juxtaposition, elles affirment la planéité de la surface. Aucun objet, aucun effet de perspective euclidienne, ne souligne le centre du plan pictural. L'orientation des formes/tonalités selon les axes vertical, horizontal, même si ces axes demeurent parfois légèrement obliques, renvoie à la bi-dimensionalité du plan pictural. Ces formes/tonalités, par leurs caractéristiques formelle, colorématique, de frontières et d'emplacement sur le plan pictural, engendrent des relations entre elles et avec le plan originel. Les traits plastiques de "Portes rouges"

appartiennent à cet "art où la couleur, le rythme et la forme s'exhaussent en symbole".50

Autrement dit, dans cet art, les éléments établissent entre eux des rapports puissants, ainsi qu'avec le lieu où ils sont implantés sur le plan pictural. Ils interviennent aussi en relation avec le plan originel, "plan physique préalable qui doit recevoir l'oeuvre", et qui constitue "un champ de forces encore plus fondamental."51

Figure 2: Le plan originel: axialités verticales et horizontales ; angles de rencontre des vecteurs ; diagonales harmonique (du coin inférieur gauche vers le coin supérieur droit) et disharmonique (du coin inférieur droit vers le coin supérieur gauche).

50 Leduc, F. "Borduas plaide pour un art international: le sien", op.cit. p.154.

51 Saint-Martin, Fernande. Sémiologie du langage visuel. Sillery: Presses de l'Université du Québec, 1988. p.102.

Si nous reprenons la lecture sous cet angle, nous voyons d'entrée de jeu que les deux formes allongées le long du bord supérieur réitèrent l'axe horizontal du plan pictural. Chacune de ces sous- régions, par sa tonalité, ocre foncé ou rouge sombre, établit un rapport de liaison avec les sous-régions qui les côtoient et avec les autres régions de tonalités semblables sur le plan pictural. Par la faible dimension de leurs formes, ces régions se rapprochent aussi des formes analogues de la deuxième grande région. Cependant leur vectorialité horizontale les oppose à 1'orientation verticale des régions qui leur sont apposées. Cette opposition est accentuée par la frontière qui les entoure sur leurs côtés inférieur et droit. Cette frontière constituée par une ligne irrégulière, texturée, de couleurs rabattues, axée horizontalement, forme un espace ou un interstice entre cette première région et la région suivante. Si la première région se situe plutôt sur une perspective frontale, 1 ' interstice qui entoure sa partie inférieure crée une profondeur illusoire qui semble s'enfoncer plus profondément derrière, dans un espace indéfini.

Figure 3: Rapports de voisinage et de séparation entre la région la) et lb) et les autres régions.

Voisinage Séparation

la) 2d, 2h, 3c, 2a, 2b, 2c,

4d, lb 2d, 2e, 2 f

lb) 2g, 2c, la, 2h, 2f

3d, 2a, 3b

Dans la seconde super région, les formes rectangulaires, bien que semblables par la simplicité de leur figure, diffèrent toutes par leurs dimensions, par leurs proportions, par leurs tonalités, ainsi que par leurs frontières. Leurs caractéristiques

particulières engendrent un rythme puissant à partir de ces jeux de ressemblance et de dissemblance ainsi que par les effets de profondeur optique qu'elles produisent. Ce rythme s'établit, entre autres, par le rapport de succession qui s'instaure par l'alternance régulière des formes/tonalités rouges et des formes/tonalités ocres. Cette répétition en quatre temps ponctue le plan pictural de gauche à droite et confère à sa partie supérieure une densité plus grande que n'en a la partie inférieure. Les effets de profondeur optique produits par cet enchaînement varient en proximité et en éloignement selon la densité des tonalités ou des couleurs, de leur voisinage, de leur séparation ou de leur positionnement dans le plan pictural. Un phénomène de pulsation lumineuse intense agit donc constamment. Ainsi, de façon générale, les régions rouges peuvent sembler

avancer sur les régions ocres avoisinantes. Cependant, lorsque nous les regardons les unes après les autres, nous pouvons noter des changements. Selon cet examen, la région jaune insérée entre les deux premières régions rouges peut sembler avancer sur ses voisines, alors que lorsque nous regardons l'ensemble de la série, cet effet optique change. L'effet de profondeur indéfinie apporté par les interstices qui séparent cette grande région de la première et de la troisième, donne à l'ensemble de cette région une perspective frontale.

Figure 4: Rapports de succession selon la tonalité dans la 2e grande région.

2a, 2c, 2e, 2g 2b, 2d, 2f, 2h,

Figure 5: Exemples de profondeur optique de la 2e grande région illustrés par 4 graphes, de très profond à très rapproché.

profond

intermédiaire profond intermédiaire rapproché rapproché

Les rapports qui s'instaurent au sein d'une région ne coupent pas celle-ci de ses voisines. Chaque région établit des relations avec toutes les autres régions de l'oeuvre. Nous ne mentionnerons que quelques-uns de ces rapports engendrés dans le tableau, dans le seul but d'illustrer le caractère dynamique et achevé de "Portes rouges". Ainsi, un autre rapport de succession s'établit entre les régions 2a, 2b et les régions 3b, 3d dans une alternance de couleurs et de profondeurs, rouge, ocre, rouge, jaune, rouge,jaune, rouge, mais cette fois-ci selon un axe oblique, créant une autre rythmique.

Figure 6: Rapport de succession selon la tonalité ou selon la profondeur entre la 2e et la 3e grande région.

2a, 2c, 3b, 3d, 2b, 3a, 3a

Lzexistence de ce lien entre la deuxième et la troisième région met en évidence d'autres types de lecture dans la troisième grande région. Celle-ci comprend la forme la plus vaste de toute la composition en même temps que la plus claire. Cette forme qui occupe le centre du plan pictural et s'étend vers la partie inférieure droite du tableau, enveloppe presque sur les trois quarts de son périmètre une forme rectangulaire rouge axée verticalement. Cet effet d'enveloppement unit fortement ces deux régions. L'enveloppement est complété par les deux sous-régions 4c et 4d de tonalité ocre beige rose, et ocre rosé; un lien est ainsi créé entre ces régions. Cependant un rapport de séparation s'établit par les contrastes de leurs couleurs respectives et surtout par le contour très texturé aux tons assombris qui entoure sur trois côtés la région rouge. Entre ce rouge et l'ocre jaune-rose qui l'enveloppe, un jeu de

push and pull

puissant s'établit. Le centre du plan pictural, sans être spécifiquement connoté comme tel, est quand même occupé par un champ de forces particulièrement fort. Quant aux deux petites régions ocre et rouge foncé, 3c et 3d, qui cernent la grande région centrale 3a, tout en fermant celle-ci, elles servent de lien avec la région supérieure. La région 3d marque l'angle inférieur droit et répond aux formes la et 2a de même tonalité de l'angle supérieur gauche, soulignant ainsi la diagonale disharmonique du plan originel.

Figure 7: Rapport d'enveloppement dans la 3e région et avec la 4e région.

3a) 3a) 3b) 3a) 4c) 4d)

A la force de la troisième grande région succède une dernière région où chague sous-région établit avec ses voisines des rapports très étroits de voisinage par les dégradations de faible intensité entre leurs tonalités. Les deux premières régions à partir de la gauche, 4a,4b, sont cependant séparées des régions supérieures 2a, 2b, 2c, par un fort trait gris-ocre qui s'insinue entre les formes qu'il ceint, créant un espace qui semble s'enfoncer de façon indéterminée. Nous pouvons constater que ces interstices tout en semblant séparer les régions, les unissent aussi, car leurs tons et leurs textures pénètrent dans les formes qu'ils séparent. Leurs tons rabattus sont obtenus par le mélange de ces différentes couleurs. Les sous-régions de cette super région occupent une profondeur intermédiaire par rapport à celle engendrée par les forts contrastes entre les rouges et les ocres partout présents dans les autres régions de l'oeuvre. La figure qui souligne l'angle inférieur gauche établit un lien avec celle qui couvre l'angle supérieur droit à la fois par sa forme, sa dimension, sa tonalité et son contour. La diagonale harmonique du plan originel est ainsi mise en valeur.

3.2.3. Analyse sémantique

Cette oeuvre se situe au coeur de ce passage à un ordre que Leduc décrit dans son texte, "Évolution: de 1'expressionnisme non- figuratif à l'art abstrait":

"...je fus amené progressivement à étendre le signe à la dimension du tableau. Un revirement nouveau se produit, 1'envahissement du signe chasse 1'élément expressionniste du tableau en même temps qu'il s'en dépouille lui-même. Nous sommes au seuil de l'art abstrait, où formes et couleurs s'édifient en qualités relationnelles dans un espace strictement pictural respectant la surface du tableau. L'intensité du tableau résulte du dynamisme plan-couleur.1,52 52

52 Leduc, F. "Évolution: de 1'expressionnisme non-figuratif à l'art abstrait", op.cit. p.157.

Le signe abstrait constitué par les formes rectangulaires dotées chacune d'une tonalité déterminée, occupe presque toute la surface du tableau en, et sur un plan frontal. Ces taches, peintes côte à côte, selon un ordre, créent des rythmes et des relations dynamiques sur tout le plan pictural. Si une observation attentive de ces taches révèle les coups de pinceau, ceux-ci semblent dénoter davantage le travail du peintre qu'une forme d'expressionnisme. Nous ne pouvons pas encore parler d'application en aplat comme dans l'art abstrait, mais la maîtrise du médium remplace la texture et les empâtements propres à 1'automatisme. L'élément expressionniste persiste néanmoins dans ce que nous avons appelé les interstices. Dans ces régions, 1'expressionnisme est véhiculé par les tonalités rabattues, obtenues par des mélanges de couleurs qui s'interpénétrent, par le mode d'application de ces dernières, par les formes très indéterminées, par 1'espace illusoire transmis. Mais les éléments formels s'imposent par leur importance et par leur dynamisme sur 1'élément gestuel, les formes colorées ne permettant aux interstices de surgir et de s'infiltrer que de place en place. La cohabitation d'éléments formels et gestuels à 1'intérieur du tableau, 1'emploi majeur de tonalités, les contours

soft edge,

parlent encore d'un art non-figuratif. Par contre, 1'élément formel se stabilise aux dépens de 1'élément expressionniste. Les relations des formes et des couleurs entre elles et avec la surface du tableau, la création d'un espace strictement pictural par la perspective optique, posent par contre des problématiques liées à l'art abstrait. "Portes rouges" se situe bien ainsi au "seuil de l'art abstrait".

Nous comprenons mieux cette affirmation quand nous replaçons cette oeuvre dans la trajectoire de Leduc à ce moment en la mettant en rapport avec des oeuvres de la même période. "Portes rouges" fait d'abord partie de la série des "Pavés" aussi nommés les "Portes" et à cet égard appartient à un ensemble. Ce groupe d'oeuvres précède les premiers tableaux qualifiés d'abstraits par

l'artiste. Ils suivent les huiles de 1954 peintes au Québec et présentant de grandes agglomérations telles qu'elles apparaissent dans "La dérive des continents"53.

Nous avons choisi de mettre en parallèle à "Portes rouges" "Jardin d'enfance"54, "Quadrature"55 et "Porte d'orient"56 de la série des "Pavés", et finalement "Rayures"57. Ces tableaux sont tous de l'année 1955. Pour servir notre propos, nous ne faisons pas de comparaison exhaustive mais nous mettons plutôt en lumière quelques traits constants ou variables du cheminement plastique de 1'artiste à travers ces oeuvres. Cette mise en évidence d'une filiation d'un tableau à l'autre nous permet d'approcher ce que Leduc a appelé "la rythmique du dépassement" et d'appréhender un des aspects de son passage à l'art abstrait.

Avant de mettre en valeur les traits plastiques eux-mêmes, prêtons d'abord attention aux titres des oeuvres choisies. Alors que le titre "Portes rouges" réfère aux structures et aux couleurs constituant le tableau tout en connotant à notre avis une idée de passage, "Jardin d'enfance" nous renvoie à un espace de nature paysagiste, connoté d'une référence à un moment de la vie. Avec "Quadrature", l'idée d'une forme s'impose. "Porte d'orient" nous ramème comme dans "Portes rouges" à une structure mais aussi à 1'évocation d'un lieu géographique. "Rayures" parle directement des formes du tableau lui-même. On assiste donc entre ces cinq oeuvres d'une même année à une évolution de sens dans les titres. Nous passons d'une évocation d'un lieu à celle de

53 Ann.2, ill.F. p.156. 54 Ann.2, ill.G. p.156. 55 Ann.2, ill.H. p.157. 56 Ann.2, ill.I. p. 157 57 Ann 2, ill.K. p.158.

structures pour en arriver à la référence aux formes picturales.

Une transformation est également perceptible d'une oeuvre à l'autre sur le plan formel. Rappelons que dans "Portes rouges" les formes adoptent des figures rectangulaires plus ou moins régulières de tonalités rouges ou ocres occupant 1'avant-plan du tableau alors que ds interstices de facture expressionniste surgissent autour de ces formes. "Jardin d'enfance" qui le précède ramène aussi des formes à l'avant-plan. Mais ces taches sont beaucoup plus indéterminées. Certaines sont rouges, d'autres bleues, certaines ocres ou noires. A quelques exceptions près, les couleurs et les tonalités s'interpénétrent, les contours se dissolvent les uns dans les autres si bien que seules certaines taches semblent avancer sur un fond indéfinissable. L'élément formel émerge davantage qu'il ne s'affirme dans cette oeuvre, l'élément expressionniste dominant largement.

C'est donc véritablement dans les "Pavés" que la construction formelle du tableau se dessine clairement par le regroupement des formes/couleurs à l'avant-plan, par la mise en valeur de tout le plan pictural grâce à une occupation non-centrée de celui-ci mais de bord à bord, par la régression de 1'expressionnisme sous la seule forme des interstices, par l'affirmation des axes vertical et horizontal et par les effets de profondeur optique. Cependant de l'un à l'autre, l'artiste a créé des jeux différents de relations. Dans "Quadrature" les formes rectangulaires aux contours

soft-edge

mettent en rapport des ocres, des gris et des blancs. Les tons sont pâles, les valeurs davantage rapprochées, leur application plus fluide. Les effets de profondeur optique jouent sur des registres plus ténus que dans "Portes rouges". Les interstices créent aussi des régions linéaires entre les formes, certains texturés tout comme dans "Portes rouges", d'autres prenant 1'aspect d'un encadrement lumineux, ce que nous n'avons pas observé dans l'oeuvre analysée. Dans cette dernière, les tonalités et les couleurs jaunes, rouges et ocres vibrent les

unes par rapport aux autres en restant dans les mêmes gammes de tons chaud. "Porte d'orient" oppose des bleus variés et des ocres de diverses tonalités, jouant sur les forces des complémentaires et créant d'autres effets de profondeur optique comme d'autres rythmes. Les formes rectangulaires ou presque carrées ramenées à l'avant-plan se détachent les unes des autres. Au lieu d'interstices, ce sont surtout de très petites formes, des traits foncés cernant certaines formes ou encore des "espaces" blancs qui véhiculent un effet de profondeur indéterminée. Ces deux oeuvres sur lesquelles nous venons de nous pencher tout comme "Portes rouges" présentent des traits communs et éclairent la recherche de leur créateur. Nous percevons une même thématique sur le plan formel dans 1'emploi des formes rectangulaires, dans 1'organisation et 1'affirmation du plan pictural ainsi que dans les recherches chromatiques comme la présence récurrente des tons ocres, les mises en relation de deux ou trois tonalités de diverses valeurs à 1 'intérieur de chaque oeuvre, 1'affirmation d'une recherche formelle et une persistance de 1'expressionnisme.

Pour terminer cette mise en contexte de "Portes rouges", nous relevons quelques traits du tableau "Rayures", un des quatre premiers tableaux abstraits de Leduc peints à Saint-Hilaire durant l'été 1955. Ce tableau présente de larges lignes de couleurs noire, bleue, jaune, rouge, ocre pâle, blanc, et vert sombre qui affirment l'horizontalité du plan pictural. C'est l'apparition du système orthogonal. Le contour de ces rayures est encore

soft edge

et un mince trait de lumière persiste entre certaines bandes. La profondeur n'est qu'optique. Ce tableau n'existe que par ses formes colorées. "Portes rouges" se situe bien dans la trajectoire de cette conquête de 1'abstraction dont "Rayures" est un des premiers exemples.

"Portes rouges" qui témoigne de passage de Leduc de l'automatisme à l'art abstrait sur le plan plastique, l'affirme aussi sur le plan éthico-esthétique. A ce niveau, cette oeuvre met en lumière

le passage de "l'art de refus" à "l'art d'acceptation". La disparition de l'automatisme gestuel, ici, les régions qualifiées d'interstices, au profit d'éléments strictement formels qui tendent à occuper toute la surface du plan pictural, correspond sur le plan métaphysique, à l'arrêt de la "plongée dans la matérialité"58 pour la reconnaissance d'une transcendance d'un ordre universel. En faisant disparaître ce que Leduc appelle le "multiple"59 pour privilégier les éléments formels qui réfèrent à "1'accomplissement des qualités d'être",60 1'artiste se situe dans la ligne de pensée de Raymond Abellio pour qui 1'évolution spirituelle correspond à 1'involution de la matière. "Portes rouges" qui révèle les "structures" mêmes du langage pictural, les formes, couleurs, rapports et surface, met à jour ces éléments identifiés aux symboles premiers, investit ces derniers d'une qualité objective, d'un objectivisme qui réfère à une vision hiérarchique du monde et qui crée le lien entre l'homme et le cosmos. En affirmant la primauté des faits plastiques sur le champ psychique, l'exaltation de 1'individu rattachée à 1'involution cède le pas à la fonte de la personnalité dans l'unité et conduit à une évolution vers l'Esprit. C'est ce que Leduc a qualifié de "véritable art sacré où l'homme se situe en relation harmonieuse avec l'univers". Cet "art de formes" témoigne "de la présence non pas d'un homme en particulier, mais de l'ordre reconnu des mondes où il se situe."61 Cette conception du monde moins romantique, moins auto-centrée, devient plus apaisée, parce que l'homme prend conscience de son intégration à une structure universelle. Ici, l'art de Leduc rejoint à la façon qui lui est propre, la recherche de Jean Bazaine d'un art porteur

58 --- "Art de refus... Art d ' acceptation", op.cit. p. 144 59 Leduc, F. "A Paul-Émile Borduas. Clamart, Décembre, lundi 13 [19]48, op.cit. p.97.

60 --- "Art de refus...Art d'acceptation", op.cit. p. 147. 61 Ibid, p. 146.

de valeurs universelles. L'artiste se situe sur le plan plastique en parfaite harmonie avec sa pensée esthétique et la voie qu'il a choisie, celle de répondre "aux forces les plus intimes" de lui-même. Il témoigne ainsi de son choix d'une orientation plus spirituelle que matérialiste.

"Portes rouges", comme l'avait déjà décelé Rodolphe de Repentigny en 1955, atteint une grande "densité spirituelle".62 Claude Gauvreau allait bien dans le même sens en signalant que la "démarche intellectuelle" de Leduc "alors qu'elle s'exprime en couleur-lumière", 1'éloigne du "vertige" et devient "sagesse, méditation, accaparement délibéré".63 A la fois méditation sur le monde, mais aussi évocation de la nature par ses formes et par son titre, cette oeuvre semble inspirée d'un paysage urbain, sorte de ville structurelle, impénétrable, brillante de lumière.