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Était-ce une période très active au Québec, une période qui aurait préparé sur le plan culturel et artistique 1'émergence de

LA DÉMARCHE PLASTIQUE DE FERNAND LEDUC DE 1953 À

Q. Était-ce une période très active au Québec, une période qui aurait préparé sur le plan culturel et artistique 1'émergence de

1960?

Fernand Leduc : Je pense, mais le point de départ a été Refus global. le moment charnière où tout a basculé, où il fallait mettre quelque chose d'autre, où il fallait continuer. Lorsque Refus global est paru, celui qu'on appelait le groupe des Automatistes réunissait non seulement des peintres, mais des écrivains, Thérèse, Claude Gauvreau, des danseuses, Françoise Sullivan, Françoise Riopelle, des musiciens, des comédiens de théâtre. Tout était lié. Refus global a marqué le point. Sur le plan social, cela avait une importance considérable parce qu'il ébranlait les grandes voûtes de la religion et de la politique liées. C'est là que cela a été dur. A partir de ce moment, on a essayé de nous éliminer. Mais on n'élimine pas la pensée. Le mouvement a continué. Il y a eu beaucoup de ruptures. Il y avait tous ceux qui étaient autour de Borduas et de nous et qui étaient des hommes d'affaires, comme les Choquette des pharmacies Choquette, des collectionneurs, les Dumas, des chrétiens de gauche, tout le groupe qui a fondé Cité libre. Ils étaient très liés. Tout a rompu complètement du jour au lendemain. Seulement, je crois que la pensée a fait son chemin. Les activités qui ont

suivi peuvent être analysées autrement. Il faut voir Refus global comme étant la bombe qui a éclaté, le reste constitue les petites étoiles...

Q. Quand en 1955, vous passez à l'art abstrait construit, vous dites que "c'est apparu". Comment cela s'est-il passé?

Fernand Leduc: C'est toujours ce que j'ai dit: "c'est apparu". Comme en 1970, les premières microchromies sont apparues. D'ailleurs, vous avez dû le lire. J'ai écrit un texte que j'ai appelé "Révolution...évolution" qui a été au fond, ma réflexion sur ces apparitions-là... J'ai considéré que ma première révolution a été ma rencontre avec Borduas et l'automatisme parce que j'ai basculé complètement d'un monde dans un autre. Bon, j'ai fait ce cheminement-là, et progressivement j'ai été amené à la recherche d'un ordre à l'intérieur de mon travail alors que d'autres sont allés vers l'éclatement de la tache. Ils ont tout fait éclater alors que moi, j'ai pris tous les accidents qui étaient là, puis je les ai groupés et je les ai mis en formes. Ce n'était pas conscient. C'est une réponse aux forces les plus intimes de soi-même. C'est tout. Dans ce sens-là, il y a eu une sorte d'éloignement avec le groupe initial.

Quand je suis revenu en 1953 et que j'ai travaillé, nous avons loué une maison sur les bords du Richelieu, qu'on disait à Saint- Hilaire, mais qui était à Beloeil, du côté de Beloeil. A ce moment-là, Borduas était de l'autre côté. Il venait en chaloupe. On se rendait visite comme ça. Il venait avec Claude Gauvreau. Alors, j'ai senti, qu'à ce moment-là, il y a eu une forte réticence de la part de Borduas à ce que je faisais. Ce sont des tableaux que j'ai qualifiés de "La dérive des continents", des "Iles". Ce sont de grandes agglomérations alors que Borduas allait dans un tout autre sens. Et maintenant, je le sais par des textes parus récemment, que Borduas, non seulement doutait de mon travail, mais avait dit que c'était bien malheureux pour moi,

mais que c'était fini. "Je ne sais pas dans quel gouffre Leduc s'enfonce." Tout ça avec Claude Gauvreau. Ce sont des choses qui étaient présentes mais qui n'étaient pas dites de façon précise.

Tout ça, pour dire qu'en 1955, j'allais dans cette voie qui était une sorte de recherche de l'ordre, qui, somme toute, m'a été très influencée par Abellio. Influencé...j'ai dû me trouver à l'aise. J'ai dû trouver que ma voie était de ce côté-là dans la recherche d'un ordre. Ça, c'est toujours dangereux parce qu'on peut dire que la recherche d'un ordre vous place à droite ou à 1'extrême droite. C'est à peu près ce qu'on va vous dire. Ça dépend de ce qu'on entend par ordre. En 1955, nous passions les vacances sur le Mont Saint-Hilaire, là où il y a les pommiers, tout à fait en haut dans une petite maison que nous avions louée. Et ... ce sont les premiers tableaux abstraits qui sont apparus, de petits tableaux faits sur bois. Il y avait juste des éléments linéaires et devant ça, je ne savais plus où j'en étais. Quand la chose apparaît, vous vous dites, est-ce que c'est encore de la peinture? Parce qu'on passe quand même d'un monde où il y a un minimum d'éléments perspectifs comme effets. Avant c'était de la non-figuration, mais je dis que la non-figuration est liée à la figuration. Vous avez un monde de volume, un monde d'espace même si ce n'est pas la perspective linéaire, vous avez quand même des plans superposés, de la hauteur, de la pesanteur, vous avez même des volumes qui apparaissent. Alors tout à coup, vous n'avez que des éléments colorés, linéaires qui sont là. Il n'y a plus de volume, il n'y a plus de pesanteur, il n'y a plus perspective. Il n'y a plus rien. Mais est-ce que cela fait un tout? Est-ce que cela se tient? Est-ce que cela fait un ensemble? Est-ce que c'est un objet complet? Ce n'est pas évident quand cela apparaît devant soi. C'est dans ce sens-là que j'ai dit "sont apparus. " J'ai travaillé tout l'été dans ce sens-là. Les premiers tableaux abstraits, pour moi, sont en 1955. Parce qu'on fait toujours une réflexion sur son travail, j'ai pris conscience de ce qui se passait et puis j'ai poursuivi. Au départ, c'était le système

orthogonal, c'est-à-dire l'horizontalité, la verticalité. Et puis bon, toutes sortes de problèmes se sont posés. Il fallait ajouter des obliques la-dedans. Il fallait même essayer d'introduire le cercle s'il ne nous ramenait pas au centre. Alors je me posais constamment des problèmes différents, à partir de ce qui venait d'être fait. Est-ce que je peux pousser davantage? Est-ce que je peux, au lieu de couleurs pures, introduire des couleurs secondaires? Est-ce que je peux même ajouter des qualités de matière? On peut se poser mille questions. C'est comme ça qu'on peut suivre 1'évolution du travail.

Q. Vous entrez donc dans 1'abstraction. Votre action par votre