• Aucun résultat trouvé

4.1 Le constat du changement discursif

4.1.1 Les prémisses de l’enseignement du portugais à l’étranger sous Salazar

A partir des années 1950 déjà, le gouvernement portugais semblait se préoccuper des questions en lien avec la diffusion de la langue portugaise. Il est intéressant de relever que les prémisses de l’enseignement du portugais à l’étranger sont à relier avec la politique culturelle de l’époque. En effet, c’est à l’institut de la haute culture (Instituto da Alta Cultura) que l’on doit les premières missions pour l’enseignement du portugais à l’étranger. Ainsi, dans le décret-loi 36/680 du 11 mars 1952, on retrouve à l’alinéa b de l’article 4, l’objectif suivant :

Fomentar o estudo e conhecimento da língua e da cultura portuguesas no estrangeiro como elemento de valorização nacional, pela oficialização do respectivo ensino e especialmente pela criação ou manutenção de leitorados junto das Universidades e escolas estrangeiras, divulgando deste modo nos outros países, a nossa literatura, a nossa arte, o conhecimento da nossa história e outros elementos da nossa cultura.

Encourager l’étude et la connaissance de la langue et la culture portugaise à l’étranger comme élément de valorisation nationale, pour l’officialisation de cet enseignement et spécialement pour la création ou la manutention de lectorats au sein des universités ou écoles étrangères, pour diffuser ainsi, dans d’autres pays, notre littérature, notre art, la connaissance de notre histoire et les autres éléments de notre culture.

116 Il semble donc que les premières attributions propres à la diffusion de la langue portugaise à l’étranger soit du ressort de la culture (bien que l’institut pour la Haute culture soit lui- même dépendant du ministère de l’éducation) et que le moyen privilégié soit celui des lectorats au sein des universités étrangères. En ce sens, le programme se rapproche d’une forme de programme de propagande nationale. Cet argument apparait de manière plus évidente à la lecture du préambule du décret-loi (décret-loi 36/680 du 11 mars 1952), dont voici un extrait :

Uma obra andava empreendida e essa foi profundamente prejudicada com a guerra : a expansão da língua nas comunidades portuguesas do estrangeiro. Se foi possível manter nas Universidades Estrangeiras a cultura portuguesa, já não foi fácil lançar no ambiente das colónias portuguesas a semente da renacionalização. Mais que nenhuma outra se impõe agora essa imprescíndivel tarefa de reconstrução.

Une œuvre reste inachevée et profondemment préjudicée par la guerre : l’expansion de la langue portugaise dans les communautés portugaises de l’étranger. S’il a été possible de maintenir la culture portugaise dans les universités étrangères, cela n’a pas été facile de semer les graines de la renationalisation dans les colonies. Plus que tout autre, s’impose cette tâche imprescriptible de reconstruction.

Si dans ces lignes ont perçoit très clairement le projet nationaliste associé à la diffusion de la langue et de la culture, l’utilisation du terme communautés portugaises de l’étranger se révèle ici des plus intéressant. Dans le contexte colonial et dictatorial des années 50, l’expression communautés portugaises de l’étranger semble faire référence aux colons portugais installés sur les terres conquises et dont le but semble – comme il est mentionné dans ce texte – de diffuser la langue et la culture au sein des territoires possédés par le Portugal. Dans ce contexte, tout porte à croire que schématiquement parlant, il y a d’un côté : les communautés portugaises de l’étranger, dignes représentantes de langue et culture de la nation colonisatrice et de l’autre : les émigrés, traîtres fuyant le pays à destination d’autres nations européennes. Car rappelons que durant le règne de Salazar et jusqu’à la fin des années 60, l’émigration était soumise à des restrictions strictes et toute tentative de quitter le pays de manière clandestine était sévèrement punie. Toutefois et malgré cette politique hautement répressive, le régime n’a jamais réussi à contrôler l’émigration clandestine, conduisant le gouvernement à adopter une posture ambivalente face à l’émigration de ces citoyens. Conscient de l’ampleur de l’émigration clandestine, Salazar a toutefois toujours

117 conservé un discours ferme sur ce sujet, tout en s’assurant que les conditions de vie des émigrés (clandestins et réguliers) les forcent à maintenir un lien social et économique avec leur pays (Perreira, 2002 ; Santos, 2004). Comme le relève Perreira (2002), Salazar a par ailleurs la plupart du temps soigneusement évité d’aborder directement cette thématique tant lors de ces apparitions publiques que dans ces différents discours. L’arrivée au pouvoir de Marcello Caetano (en 1968) va conduire à un léger assouplissement de la question de l’émigration. Celui-ci tente en effet de combattre l’émigration clandestine en facilitant l’accès à l’émigration par les voies légales, notamment à travers la création du secrétariat d’État à l’émigration en 1970. L’idée est de mieux informer les citoyens dans ce domaine, de faciliter les démarches administratives tout en essayant clairement d’orienter ceux-ci vers une émigration dans les provinces d’outre-mer plutôt que vers l’Europe. S’il y a donc un assouplissement, il n’en reste pas moins stratégique.

Par ailleurs, le gouvernement de Caetano va également mettre en place différents accords avec les pays européens de la migration (notamment la France et la République fédérale allemande) afin d’améliorer les conditions de vie des émigrés. Malgré cette tendance à l’assouplissement vis-à-vis de l’émigration, l’État Portugais utilise la politique du regroupement familial pour contrôler le lien qu’entretiennent les émigrés avec la nation d’origine. En effet, en compliquant les démarches administratives permettant le regroupement familial, l’État cherche à décourager les familles restées au pays de rejoindre un membre (souvent le père de famille) parti travailler à l’étranger. Cette mesure prise par l’État Portugais vise à garantir l’envoi de devises au pays par les travailleurs émigrés (Santos, 2004).

Néanmoins et en dépit de ces mesures luttant contre l’émigration, l’éducation nationale va poser, à cette période, les bases d’une réforme globale de la structure et des services du ministère de l’éducation nationale (décret-loi 408/71 du 27 septembre 1971). Réforme au sein de laquelle, l’enseignement du portugais à l’étranger au niveau primaire et secondaire apparaît désormais en tant que tâche officiellement attribuée au ministère de l’éducation. La promotion de l’enseignement primaire est attribuée à la direction générale de l’enseignement primaire (Direcção Geral do Ensino Básico), le secondaire à la direction générale de l’enseignement secondaire (Direcção Geral do Ensino Secondário), tandis que la promotion de la langue portugaise au niveau universitaire est réservée à l’institut de la Haute culture

118 (sous-service du ministère de l’éducation nationale, au même titre que la direction générale de l’enseignement primaire et secondaire).

Le décret-loi de 1971 va rapidement être complété par un second texte dont le but est de clarifier certains points liés à l’enseignement du portugais à l’étranger et notamment en ce qui concerne celui destiné aux émigrés. En effet, le décret-loi 45/73 du 12 février 1973 (soit une année avant la révolution), se base sur celui de 1971 et a pour but principal de restructurer la direction de l’enseignement général en l’allégeant de ses missions administratives. Dès le chapitre premier, il est répété que conformément au décret de 1971, le service de l’enseignement a pour mission de gérer l’enseignement du portugais à l’étranger :

Compete ao Serviço do Ensino Basico Português no Estrangeiro assegurar, em colaboração com os serviços competentes do Ministerio dos Negocios Estrangeiros e do Secretariado National da Emigração, o financiamento de cursos ou escolas do ensino básico portugues no estrangeiro e proceder a sua orientação.

Le service de l’enseignement à l’étranger a comme mission d’assurer, en collaboration avec le ministère des affaires étrangères et le secrétariat national à l’émigration, le financement des cours ou des écoles d’enseignement du portugais à l’étranger et de procéder à leur orientation.

Cette fois-ci, l’application et la mise en œuvre de cet enseignement semblent plus précises, puisqu’il incombe au ministère de l’éducation, en collaboration avec le ministère des affaires étrangère (Ministerio dos Negocios Estrangeiros) et le secrétariat national à l’émigration (Secretariado National da Emigração), de mettre en place et de gérer le financement de ce domaine particulier de l’enseignement. A partir de 1971 donc, et plus particulièrement de 1973, on assiste à une distinction claire entre diffusion de la langue et culture portugaise au niveau des lectorats universitaires et diffusion et promotion de la langue portugaise à travers l’enseignement primaire. Ce dernier étant assuré par un service au sein même de la direction de l’enseignement primaire.

Aux vues du contexte social et politique précité, il apparait que la priorité du gouvernement de Salazar soit avant tout la diffusion de la langue portugaise et du nationalisme portugais au sein des colonies. Parallèlement et notamment avec l’arrivée au pouvoir de Caetano, l’ État ne semble plus pouvoir ignorer la réalité de l’émigration. En ce sens, l’enseignement du

119 portugais à l’étranger est employé comme un outil supplémentaire pour maintenir un lien avec la nation d’origine (autant dans les colonies qu’en Europe) et éviter, comme le souligne Marcello Caetano, la dénationalisation des citoyens émigrés (Santos, 2004).