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Les langues de la migration au sein du renouveau politique pour l’enseignement des

Au niveau cantonal, la prise en charge et la reconnaissance des langues de la migration se sont opérées à travers deux influences concomitantes : celles des politiques linguistiques d’une part, et celles des politiques scolaires d’autre part. Cette double influence témoigne d’un renouveau politique autour de l’enseignement des langues, mais également autour de l’enseignement au sens large en Suisse. J’analyserai en premier lieu une partie du processus et des discours ayant abouti à l’adoption de la loi sur les langues (2007), ainsi que sur l’adoption du Concordat Harmos. Je m’attacherai à montrer la dimension intertextuelle de ces différents écrits ainsi que leurs répercussions pour la reconnaissance des langues d’origine des migrants

La loi sur les langues, arrêtée en 2007, est le fruit d’un long processus législatif au sein duquel le rapport rédigé par la commission de la science, de l’éducation et de la culture du conseil national a eu une influence considérable. Rendu public en septembre 2006, celui-ci stipulait dans son introduction que :

La loi sur les langues est à la fois une nécessité et un mandat constitutionnel clair découlant de l’art. 70 de la constitution fédérale. Elle exprime également dans ce projet sa conviction que la Confédération et les cantons ont pour tâche conjointe de veiller à sauvegarder et à promouvoir la richesse linguistique de notre pays et à en exploiter au mieux les potentialités. Il lui faut également faire face à de nouveaux enjeux de politique linguistique tels que la question des langues minoritaires, l’importance de la politique des langues et de la compréhension pour une Suisse plurilingue, l’utilisation croissante de l’anglais dans le monde du travail et dans les loisirs ou encore la forte présence des langues des migrants. La commission estime que ce projet doit reposer sur une philosophie fondamentale : lorsque la Confédération a une responsabilité culturelle supérieure qui lui permet d’encourager les langues, elle a le devoir de le faire.

165 (Rapport du 15 septembre 2006 de la commission nationale

pour la science, l’éducation et la culture, p. 8506)

C’est bien les enjeux à la fois nationaux et internationaux qui sont présentés dans ces lignes. Nationaux car intimement en lien avec le maintien d’un quadrilinguisme équilibré en Suisse [sauvegarder et à promouvoir la richesse linguistique de notre pays et à en exploiter au mieux les potentialités] et internationaux puisque le texte fait implicitement référence aux enjeux posés par le capitalisme tardif (augmentation des flux migratoire et omniscience de l’anglais comme langue d’échange commerciale et économique). La question spécifique des langes de la migration fait son apparition plus tard dans le rapport. En prenant appui sur les recherches dans le domaine de la sociolinguistique, les experts avancent que :

Le fait de posséder de bonnes aptitudes dans la langue première facilite sensiblement l’apprentissage d’une deuxième langue, augmentant ainsi les chances d’intégration et de réussite scolaire des enfants d’origine étrangère. Les effets positifs de l’enseignement dispensé dans les langues des migrants sont scientifiquement établis. Dans ce domaine également, l’encouragement se limitera à améliorer les conditions de base, p. ex. la post-qualification du personnel enseignant.

(Rapport du 15 septembre 2006 de la commission nationale pour la science, l’éducation et la culture, p. 8526)

L’utilité de soutenir l’enseignement des langues de la migration est ici présentée sous l’angle de l’hypothèse de l’interdépendance des langues (Cummins, 1979) et se situe donc dans les transferts de compétences possibles pour l’apprentissage d’autres langues étrangères. La référence au droit linguistique – stricto sensu – présente dans les recommandations de la CDIP n’est pas reprise ici, au contraire, le droit linguistique fait place à un argument de type « efficience » : le soutien à cet enseignement facilite l’acquisition de la langue du pays d’accueil. Par ailleurs, la question du soutien est évoquée de manière incidente puisqu’on notera l’usage de termes dont la portée se veut volontairement restreinte [l’encouragement se limitera à améliorer les conditions de base].

166 En 2007 et à la suite de ce rapport, la loi fédérale sur les langues nationales et la compréhension entre les communautés linguistiques (LLC) a vu le jour. Le texte de loi propose une mise en œuvre législative du rapport de 2006. Ainsi, l’article 16 consacré aux autres mesures de promotion des langues stipule à l’alinéa 3 que « la Confédération peut accorder des aides financières aux cantons pour favoriser la connaissance par les allophones de leur langue première ». L’octroi de ces aides financières prend concrètement forme à travers l’article 11 de l’Ordonnance sur les langues (Olang, 2010) :

Art. 11 Promotion de l’acquisition par les allophones de leur langue première

(art. 16, let. c, LLC)

Des aides financières destinées à promouvoir l’acquisition par les allophones de leur langue première sont accordées aux cantons pour les mesures suivantes :

- promotion de formules d’enseignement intégrées en langue et culture d’origine;

- formation continue des enseignants; - élaboration de matériel didactique.

Ainsi, grâce à l’entrée en vigueur de l’Ordonnance sur les langues (Olang, 2010), les responsables cantonaux de l’éducation peuvent chaque année, et en collaboration avec des enseignants et/ou des formateurs des institutions de formation des enseignants primaires, soumettre une demande de financement pour un projet répondant à l’un de ces trois axes. C’est la première fois que la Confédération décide d’octroyer un financement pour ce type d’enseignement. En ce sens, cette ordonnance envoie un signal politique positif témoignant d’une plus grande ouverture pour les langues de la migration. Toutefois, le fait que ce financement doit venir de l’institution suisse et ses représentants et non des enseignants LCO eux-mêmes, induit indubitablement à indexer l’octroi d’une aide financière à l’intérêt potentiel que l’institution suisse et ses représentants vont porter à la thématique des langues de la migration. Ce faisant, on observe une volonté marquée de garder le contrôle sur l’attribution des ressources octroyée aux langues de la migration. Premièrement en raison de la restriction des personnes possiblement porteuses du projet, et deuxièmement par le contrôle qui est fait du projet (l’office fédérale de la culture peut en effet se réserver le droit de refuser un projet).

167 A peu près à la même période, c’est au tour du concordat pour l’harmonisation de la scolarité obligatoire (Harmos) d’être publié (son entrée en vigueur date de 2009). Ce concordat est l’aboutissement d’une volonté manifeste d’uniformiser le système de scolarité obligatoire entre les cantons. Composé de 17 articles couvrant de nombreux aspects de la scolarité (début de la scolarité, langues étrangères, programme d’enseignement, etc.), l’article 4 – portant sur « l’enseignement des langues » est celui qui comporte le plus d’intérêt pour les questions soulevées dans ce travail. Le premier alinéa concerne les langues étrangères à enseigner (une langue nationale et l’anglais), le deuxième alinéa précise qu’une troisième langue étrangère mais nationale doit être proposée comme option facultative durant la scolarité obligatoire. L’ordre des langues à enseigner (anglais en premier puis lange nationale ou l’inverse) est précisé à l’alinéa 3 : chaque canton décide de la langue étrangère qu’il souhaite intégrer en premier. Enfin, l’alinéa 4 s’intéresse à la question des cours de langue et culture d’origine. Alors que tous les autres alinéa (de 1 à 3) font référence à la terminologie langue, comme on peut le lire dans ces extraits :

1. La première langue étrangère est enseignée (…)

2. L’une des deux langues étrangères est une deuxième langue nationale (…) l’autre est l’anglais.

3. L’ordre d’enseignement des langues étrangères est coordonné au niveau régional

(Harmos, 2007 p. 3, CDIP)

L’alinéa 4 quant à lui ne nomme pas les langues mais s’adresse exclusivement aux élèves issus de la migration : « En ce qui concerne les élèves issus de la migration, les cantons apportent, par des mesures d’organisation, leur soutien aux cours de langue et de culture d’origine (cours LCO) organisés par les pays d’origine et les différentes communautés linguistiques dans le respect de la neutralité religieuse et politique » (Accord intercantonal sur l’harmonisation de la scolarité obligatoire, 2007 p. 3, CDIP). Ainsi, la construction discursive à l’œuvre ici montrent que les langues de la migration ne sont pas envisagées comme des langues étrangères à part entière, mais qu’au contraire, elles sont considérées comme des langues à part dont l’intérêt pour la société suisse est moindre.

168 De manière générale, on observe que depuis les années 2000, la production discursive dans le domaine des langues s’intensifie et donne naissance à une série de mesures visant à clarifier et promouvoir le cadre politique et éducatif pour les langues nationales et étrangères parmi lesquels les langues de la migration trouvent leur place (alors que le dernier texte faisant référence aux langues de la migration datait de 1991). Dans ce contexte de renouveau, on peut avancer que la loi sur les langues (LLC, 2007), l’ordonnance sur les langues (Olang, 2010) et le concordat Harmos (2009) ont contribué à offrir une visibilité et une légitimité inédites aux langues de la migration dans l’histoire de la politique suisse. Toutefois, on ne peut que constater que ni le concordat Harmos, ni la loi sur les langues et son ordonnance y relative ne matérialisent pleinement les recommandations de la CDIP. D’un point de vue législatif, on peut ainsi avancer que seul l’aspect lié à la mise à disposition des locaux et des infrastructures pour l’enseignement LCO a été réellement concrétisé dans les différents textes de loi. Nous verrons dans la section suivante la manière dont cette reconnaissance juridique nouvelle (mais somme toute relativement restreinte) se matérialise à une échelle plus locale et avec quelles conséquences pour l’enseignement LCO.