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Célébrer de la diversité linguistique et les langues premières des migrants

5.5 Production de savoir et légitimation du statu quo

5.5.1 Célébrer de la diversité linguistique et les langues premières des migrants

La première partie du rapport tente de clarifier le contexte éducatif et politique dans lequel le débat sur l’enseignement LCO intervient. En commençant par établir la corrélation entre migration et échec scolaire, les auteures relèvent que le système éducatif suisse s’avère être fortement inégalitaire, notamment en ce qui concerne les élèves issus de culture et de langue étrangères. Ces derniers rencontrent en effet davantage de difficultés durant leur scolarité et tendent à être sous-représentés dans les filières scolaires les plus prestigieuse (notamment au secondaire I et II). Après avoir dressé ce constat, le rapport présente les différents axes de promotion du plurilinguisme et des langues d’origine des élèves (tant au niveau européen qu’au niveau suisse).

Dans le cadre de la promotion du plurilinguisme, l’extrait suivant est particulièrement intéressant :

La Suisse est fière de sa diversité culturelle et linguistique. Si elle se reconnaît quatre langues officielles, sa société est depuis longtemps en réalité multilingue, et alors que les acteurs étatiques considèrent que leur rôle est notamment de veiller

180 à l’acquisition des langues locales de l’administration et de l’enseignement et à

celle des langues étrangères (en particulier des langues nationales et de l’anglais), les communautés de migrants s’investissent dans la transmission et la préservation de leurs langues d’origine. Ces dernières constituent une richesse pour la société et pour l’économie : nous exprimons notre reconnaissance envers les personnes qui contribuent ainsi à la diversité linguistique et culturelle de la Suisse.

(Rapport 36b. CDIP, 2014, p. 11)

Dans cet extrait, on observe une volonté de célébrer le plurilinguisme de la Confédération, incluant ici tant les langues nationales que les langues de la migration. Il est par ailleurs mentionné que les autorités étatiques s’efforcent de promouvoir les langues nationales et l’anglais dans le système éducatif, alors que les migrants, s’investissent pour la transmission de leur langue d’origine. Si la diversité linguistique semble être une richesse pour la société et l’économie (comme souligné dans le texte), il est surprenant que ce soit aux migrants eux- mêmes de s’investir pour perpétuer cette richesse [nous exprimons notre reconnaissance envers les personnes qui contribuent ainsi à la diversité linguistique et culturelle de la Suisse]. En d’autres termes, le texte cherche à montrer une posture d’ouverture face à la diversité [nous sommes fiers de la diversité linguistique et culturelle] tout en se soustrayant à la responsabilité des autorités suisses pour le soutien à cette diversité linguistique, puisque cette tâche semble l’apanage des migrants [les communautés de migrants s’investissent dans la transmission et la préservation de leurs langues d’origine]. Cette volonté discursive de capitaliser sur la diversité culturelle et linguistique helvétique tout en évitant explicitement de clarifier la manière dont les autorités s’investissent pour favoriser la diversité linguistique des migrants, a été relevée par Del Percio (2013). Dans son analyse des textes de « promotion » de la Suisse à l’étranger, il met brillamment en lumière la manière dont les discours produits tendent à instrumentaliser la diversité culturelle et linguistique de la Suisse afin de faire l’éloge d’une Suisse humaniste et ouverte à la diversité, tout en restant très vague sur les questions de la migration : « If we can generally observe a strong capitalization on multilingualism and cultural diversity, at the same time we also can observe an avoidance of explicitness in naming what these capitalized diversities consists of. ». (Del Percio, 2013, p. 241). En ce qui concerne le rapport de 2014, on observe à travers l’extrait présenté que la manière dont la diversité culturelle doit être encouragée est ici explicite : les langues nationales et l’anglais doivent être encouragées à travers les dispositifs étatiques alors que

181 les langues de la migration doivent être soutenues par les migrants. En ce sens, cet extrait reproduit les formes établies de structuration sociale et de hiérarchisation qui se façonnent à travers et sur le terrain de la langue en Suisse.

Le rapport s’intéresse ensuite aux différentes lois et mesures cantonales visant à reconnaitre et soutenir l’enseignement LCO (je ne reviendrai pas sur cette partie, puisque j’ai proposé une même analyse dans les sections précédentes). Avec une perspective comparative, la dernière partie de ce chapitre « contextuel » porte sur les différentes politiques européennes en termes de prise en charge et de soutien à l’enseignement LCO au sein de l’école ordinaire. En exposant plus en détails la situation de l’Allemagne, de la France et de l’Autriche, le rapport pointe sur différentes manières d’articuler l’enseignement LCO à l’école régulière. Les systèmes intégratifs à l’œuvre en France et en Autriche, montrent que dans les pays voisins à la Suisse, la totalité ou presque de la charge organisationnelle et financière est assumée par le pays d’accueil. L’Autriche, en particuliers, est présentée comme le pays voisin le plus intégratif. En effet, les enseignants LCO sont sélectionnés, choisis et rétribués par les autorités autrichiennes (Rapport 36b, CDIP, 2014). De surcroit, deux périodes hebdomadaires d’enseignement LCO sont intégrées dans la grille horaire des élèves. Concrètement, les cours LCO sont soit donnés en parallèle à un enseignement facultatif (notamment les cours de religion catholique), soit en parallèle à d’autres cours et dont le contenu est le même que celui donné en classe régulière au même moment (exemple : mathématique en allemand versus mathématiques en portugais).Si le rapport mentionne que ce modèle intégratif rencontre passablement de succès et se fait l’écho des partisans pour une plus grande prise en charge étatique de ce type d’enseignement, la conclusion de ce comparatif européen et surtout autrichien se veut explicite :

Quant à la CDIP, elle n’est pas favorable à ce modèle, puisqu’il n’offrirait un soutien étatique qu’aux communautés linguistiques d’une certaine importance, ce qui serait synonyme d’inégalité de traitement et ne s’avérerait de ce fait pas approprié pour la Suisse, où des cours LCO sont proposés dans plus de 40 langues différentes (enquête auprès des cantons, CDIP, 2012). Par ailleurs, la CDIP fait remarquer que les propositions allant dans le sens du modèle autrichien seraient pour le moment plutôt mal reçues, étant donné la situation financière dans laquelle se trouvent les cantons actuellement (ibid.).

182 Il est particulièrement intéressant d’observer que la CDIP n’est pas favorable à ce type de modèle intégratif, quand bien même, dans les dernières recommandations elle formulait le souhait de voir les cours LCO intégrés à la grille horaire des élèves31 . Deux arguments

centraux apparaissent ici. Le premier est celui de « l’équité »: la Suisse ne souhaite pas intervenir davantage pour le soutien étatique à cet enseignement dans la mesure où cela induirait nécessairement une sélection des langues à intégrer et donc de facto une inégalité de traitement. Le deuxième argument est « économique ».

Aux vues de la situation financière des cantons, de telles mesures de soutien financier seraient mal perçues. Ces deux arguments apparaissent ici pour la première fois dans le rapport, toutefois je m’attèlerai à montrer dans la section qui va suivre, la manière avec laquelle tant l’argument « économique » que celui « d’équité » vont être instrumentalisés afin de justifier la posture politique de la Suisse en regard des langues de la migration.