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Chapitre 4 : Dimensions phonologique, morphologique, syntaxique et lecture : perspective

1. Phonologie et lecture

1.1 Préliminaire

Pour apprendre à lire, il faut avoir compris le principe alphabétique, compréhension qui suppose la capacité à se représenter et à segmenter la structure phonologique de la parole. C’est en cela qu’intervient la conscience phonologique (phonological awareness en anglais) ou compétence métaphonologique, définie comme « la capacité à identifier les composants phonologiques des

unités linguistiques et à les manipuler de manière délibérée » (Demont & Gombert, 2007 p. 51;

Gombert, 1990 p. 112). Sans cette conscience, la connaissance totale du code graphophonologique ne peut s’élaborer. Il n’est alors pas étonnant de constater la richesse de la littérature consacrée à ces compétences segmentales, plus particulièrement à la segmentation en phonèmes. Toutefois, l’avancée de la recherche dans ce domaine ne s’est pas faite sans s.

Le premier point ayant donné lieu à discussion est la nature même de la relation entre lecture et conscience phonologique. Il vient d’être affirmé que la conscience phonologique est un prérequis de l’apprentissage de la lecture mais il faut souligner qu’elle peut également être considérée comme une de ses conséquences (pour une revue sur la question voir Demont & Gombert, 2007 ou Gombert, 1990,1992). L’argument supportant le mieux cette position est que la segmentation phonémique n’aurait aucune utilité avant que l’enfant ne soit confronté à l’écrit (Morais, Alegria, & Content, 1987)52. Toutefois, à l’instar des nombreuses études longitudinales (e.g. Demont & Gombert, 1996; Duncan, Seymour, & Hill, 1997) ou d’entraînements phonologiques (e.g. Byrne, Fielding-Barnsley & Ashley, 2000 ; Kjeldsen, Niemi & Olofsson, 2003)53, le rôle facilitateur de ces compétences ne peut être nié. Le lien entre développement des compétences métaphonologiques et apprentissage de la lecture s’apparenterait donc davantage à une relation circulaire (Demont & Gombert, 2007).

52 Cet argument a notamment été confirmé par des recherches, menées chez les adultes analphabètes et les enfants prélecteurs, montrant leur difficultés, par exemple lors de tâche de suppression de phonème ou de segmentation libre (e.g. Alegria & Morais, 1979 ; Morais, Cary, Alegria & Bertelson, 1979, Lukatela, Carello, Shankweiler & Liberman, 1995 ; Martinot & Gombert, 1996).

64 Le second point, à l’origine de débats plus récents mais non sans relation avec la précédente question, concerne la taille de l’unité phonologique prise en compte au cours de l’apprentissage de la reconnaissance des mots écrits. En se fondant sur la structure hiérarchique de la syllabe54, Goswami (1993, 2000, 2002) avance qu’une sensibilité aux unités de grandes tailles, telles que la syllabe, l’attaque et la rime, précède la conscience des unités plus petites comme le phonème et s’avère être un bon prédicteur des habiletés ultérieures en lecture. L’autre conception s’appuie sur les résultats de plusieurs recherches qui ont échoué à faire apparaître le rôle de la rime mais soutiennent que la conscience phonémique est le meilleur prédicteur en début d’apprentissage (e.g. Duncan et al., 1997; Hulme, Hatcher, Nation, Brown, Adams, & Stuart, 2002; Hulme, Muter, & Snowling, 1998; Muter, Hulme, Snowling, & Taylor, 1997). Cette conception affirme ainsi que la progression part du phonème pour atteindre des unités de plus en plus larges (cf. le modèle de la double fondation de Seymour paragraphe 1.1.2 du chapitre 1). L’instruction des correspondances graphème-phonème permet l’apparition de la conscience phonémique. Au bout d’un ou deux ans, l’évolution dans la maîtrise du système écrit favorise l’émergence de la conscience à des unités plus larges, de façon à traiter des régularités plus composites mais aussi pertinentes pour prononcer les mots (Duncan, Seymour, & Hill, 2000; Seymour & Duncan, 1997).

Ces points de vue ne sont en fait pas contradictoires si l’on tient compte de la distinction entre apprentissage implicite et explicite (cf. paragraphe 1.3 du chapitre 1). La progression des larges unités vers les plus petites témoigne de l’évolution de la sensibilité implicite à traiter d’abord les unités les plus saillantes (la syllabe et la rime) puis les plus difficiles à isoler comme le phonème. La progression inverse, des unités minimales vers des unités plus composites, relève des apprentissages explicites, s’orientant vers une analyse de plus en plus complexe des séquences graphophonologiques (la rime, la syllabe ou les morphèmes) (Demont & Gombert, 2007 ;Gombert et al., 1997).

Si beaucoup de recherches ont surtout étudié le rôle du phonème et de la rime, d’autres se sont également intéressées à la syllabe, justement car le lexique se compose également de mots plurisyllabiques et que cette unité, naturellement perceptible à l’oral, est un constituant articulatoire simple. Certaines études ont ainsi, d’une part confirmé qu’il est plus facile de manipuler les syllabes que les rimes et les phonèmes (Duncan, Colé, Seymour, & Magnan, 2006; Treiman & Zukowski, 1996) et d’autre part constaté que cette capacité peut également intervenir

54 Les psycholinguistiques envisagent en effet plusieurs niveaux de décomposition syllabique : une décomposition minimale en phonèmes, et des niveaux intermédiaires en attaque / noyau vocalique / coda (e.g. [κρ/ι/πτ] ) et en body /

rime (e.g. [κρι/ιπτ] ). A la conjonction entre ces deux derniers niveaux, la syllabe peut se segmenter en deux parties

65 comme une unité de traitement lors de la reconnaissance (Colé, Magnan, & Grainger, 1999; Doignon & Zagar, 2006). Cependant, le rôle de la syllabe a souvent été controversé (e.g. Mann, 1984). Ainsi, certains auteurs considèrent que son rôle est limité (Castles & Coltheart, 2004) cette unité ne semblant pas supplanter l’importance du phonème, tout au moins en début d’apprentissage (voir Castles & Coltheart, 2004 pour une revue ; Aidinis & Nunes, 2001 en grec ; Demont & Gombert, 1996 en français; Gonzalez & Ortiz Gonzalez, 2000 en espagnol ; etc.).

Ainsi, sans forcément parler de compétition, il s’avère possible que plusieurs unités soient prises en compte lors des traitements phonologiques du langage écrit.