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Chapitre 5 Apprentissage de la lecture en langue seconde

4. Le rôle des acquisitions en langue première lors de l’apprentissage de la lecture en langue

4.2 Validations empiriques du transfert interlangue

4.2.3 Les recherches sur les langues premières non alphabétiques

Enfin, quelques recherches ont également mis en évidence la possibilité d’un transfert en particulier phonologique entre des langues idéographiques versus alphabétiques (exclusivement l’anglais L2).

Bialystok, MacBride-Chang & Luk (2005b) étudient, au niveau préscolaire et en 1e année, la conscience phonologique (suppression de syllabe et comptage phonémique) et la lecture de mots d’enfants bilingues chinois-anglais vivant au Canada et d’enfants de Hong Kong apprenant l’anglais L2 à l’école. Leurs résultats suggèrent un transfert de la conscience phonologique entre

137 les deux langues pour les deux groupes (r compris entre .52 et .68). En revanche, les performances en lecture de mots dans les deux langues sont corrélées chez les apprenants chinois (r = .57 ou .39) mais pas chez les bilingues canadiens. Leurs compétences en anglais étant bien développées, ces derniers ont déjà pu établir deux approches différentes pour identifier les mots écrits dans des systèmes aussi distants. La relation apparue chez les apprenants chinois, peut être attribuable à l’utilisation de stratégies de mémorisation identique aux deux systèmes écrits parce qu’ils n’ont pas suffisamment développé, en anglais, de compétences analytiques leur permettant de lire de nouveaux mots. Ces interprétations, suggèrent que, tout au moins chez des apprenants dont les principes d’écriture entre L1 et L2 sont éloignés, la référence aux stratégies de la L1 concernerait surtout les stades élémentaires de l’apprentissage de la lecture en L2.

Gottardo, Yan, Siegel et Wade-Woolley (2001) se sont intéressés, pour leur part, aux compétences d’enfants chinois immigrés au Canada anglophone depuis moins de 2 ans et ayant débuté leur scolarité en Chine. Ces enfants sont intégrés dans des classes allant de la 1e à la 8e année. Il apparaît, non seulement que les performances de détection de rime en chinois sont corrélées avec plusieurs autres scores de conscience phonologique en anglais (détection de rime : r = .52 et suppression de phonème : r = .54) mais aussi qu’elles contribuent à la variance en lecture de mots et de pseudo-mots en anglais, même après avoir contrôlé l’effet de la conscience phonémique en anglais (6 % de variance expliquée). Ce « transfert phonologique », même entre des langues qui ne partagent pas les mêmes principes d’écriture, suggère que ces connaissances ne relèvent pas de processus spécifiques mais sont liées à l’habileté générale des enfants à réfléchir sur la phonologie de n’importe quelle langue, à partir d’un minimum d’exposition. Le rôle joué par la détection de rime en chinois sur la lecture en anglais rend compte de l’importance des compétences phonologiques développées en L1 pour décoder une orthographe alphabétique, en dépit des différences de système. L’intervention massive des compétences phonologiques confirme aussi les résultats d’une très grosse majorité de recherche sur la lecture en général. En revanche, il faut noter que dans cette étude, les connaissances syntaxiques évaluées à l’aide de tâche de complètement de phrases, ne sont pas corrélées entre les deux langues et n’apparaissent pas contribuer à la lecture en anglais. Les auteurs estiment que cette mesure n’est pas assez fiable pour faire apparaître des coefficients de corrélation significatifs. Wang, Park et Lee (2006) obtiennent des résultats exactement similaires dans le domaine phonologique auprès de bilingues coréen-anglais en 1e, 2e et 3e année, corroborant ainsi l’universalité des processus phonologiques lors de l’apprentissage de la lecture. Cependant, comme cela avait également été démontré par Gottardo et al. (2001), le transfert des connaissances orthographiques (mesurées à l'aide du même paradigme que celui de Abu-Rabia &

138 Siegel, 2003) semble inexistant entre les deux systèmes. L’absence de corrélation entre ces habiletés orthographiques dans les deux langues et de contribution de celles mesurées en chinois à la lecture de mots en anglais (alors que celles mesurées en anglais interviennent) peut être le reflet des différences visuelles du code et de sa transparence, entre les deux langues. Le système orthographique de l’anglais est linaire et peu transparent alors que celui du coréen est non linéaire mais transparent. Les configurations visuo-spatiales sont donc très contrastées, ce qui peut entraver la possibilité de se référer aux acquisitions orthographiques préalables. L’absence de transfert orthographique peut également provenir du fait que les expériences réalisées dans une L1 transparente n’aident pas à mettre en place les traitements orthographiques dans une langue plus opaque. Quoi qu’il en soit, les auteurs résument leurs résultats en avançant que l’acquisition de la lecture relève de processus phonologiques généraux et universaux et de processus orthographiques spécifiques.

4.2.4 Synthèse et perspectives

Globalement, il semble se dégager de ces étudesdes procédures de reconnaissance de mots écrits communs aux langues en contact chez les apprenants, dès le début de l’apprentissage. Les résultats et réflexions de Bialystok et al. (2005b) permettent toutefois de nuancer cette proposition lorsque les langues en questions ne relèvent pas des mêmes principes orthographiques. Dans ce cas, les stratégies de lecture peuvent être différentes, surtout lorsque les systèmes sont bien maîtrisés.

L’ensemble de ces données conforte aussi l’idée de compétences métaphonologiques transférables d’une langue à l’autre. Il serait toutefois intéressant de s’interroger sur la terminologie la plus pertinente pour rendre compte de ce phénomène. L’aspect universel des capacités à identifier le principe de correspondance entre forme orale et écrite et à l’utiliser pour lire dans de nombreuses langues, nous paraît relativement différent de ce que sous entend le transfert d’une langue à l’autre. La caractéristique principale de ces compétences nous semble plutôt être leur transversalité et leur caractère actualisable.

De plus, si les chercheurs semblent d’accord pour envisager l’existence de processus syntaxiques transversaux, tout au moins entre les langues alphabétiques, nous pensons que les modes d’évaluation de ces compétences pourraient être améliorés et diversifiés. En effet, hormis l’étude de Durgunoğlu et al. (2002) la tâche systématiquement utilisée est celle de complètement de phrases dont nous avons vu les limites dans la partie 4 du chapitre 4. D’ailleurs, les travaux de Geva laissent entendre que la complexité structurale des langues a un impact important sur l’élaboration des traitements des langues secondes écrites. Il reste alors à vérifier si cet impact,

139 de même que celui de la proximité syntaxique entre L1 et L2, ne concernerait pas également la construction de connaissances syntaxiques explicites générales, indépendantes des caractéristiques spécifiques aux langues, dont l’évaluation aura permis de les isoler des aspects sémantiques.

Il est également surprenant de remarquer le peu d’intérêt accordé à la dimension morphologique dans ce domaine de recherche. On connaît pourtant l’importance de ces traitements lors de la lecture dès le début de l’apprentissage (Marec-Breton et al., 2005). Seules les recherches récentes de Kahn-Horwitz et al. (2005) et Schiff et Calif (2007) ont étudié la relation des compétences morpho-dérivationnelles entre L1 et L2 et leur rôle sur la lecture. Néanmoins, les limites méthodologiques qui les caractérisent invitent à multiplier les expérimentations. Dans le domaine morpho-syntaxique l’unique recherche de Durgunoğlu et al. (2002) ne peut être suffisante pour généraliser l’hypothèse d’une interdépendance des compétences morpho- flexionnelles entre des langues différentes, d’autant plus que ces compétences sont ici traitées avec les compétences syntaxiques portant sur l’ordre des mots. Il en est d’ailleurs de même pour les résultats sur le lien unissant les langues en contact sur la dimension de compréhension en lecture, qui restent encore très limités (Van Gelderen et al., 2005).

Nous tenons également à souligner que ces recherches ont toujours envisagé les relations interlangues sur ce qui a trait à une analyse conscience des aspects linguistiques lors de la lecture (tout au moins en théorie) et mettent peu en évidence la façon dont cette relation évolue au cours des apprentissages. L’idée que les connaissances applicables aux langues 1 et 2 doivent être de nature analytiques pour pouvoir être dégagées des aspects formels spécifiques aux langues est, certes, cohérente. Mais il n’en est pas moins intéressant d’examiner d’une part leur évolution, et d’autre part si le lien, entre certaines langues, ne peut absolument pas s’élaborer, à un moment ou à un autre, sur un niveau plus implicite.

Enfin, plusieurs de ces recherches (Abu-Rabia & Siegel, 2003; Gottardo et al., 2001; Wang et

al., 2006) avancent que, contrairement aux processus phonologiques, les traitements

orthographiques sont spécifiques aux langues, notamment lorsque ces dernières n’ont pas le même système alphabétique ou lorsque la L1 est idéographique. Il faut toutefois souligner, là encore, que les instruments de mesure évaluent surtout une sensibilité aux règles de combinaisons orthographiques qui ne peut être que propre aux langues. Quoi qu’il en soit, ces données, de même que celles de Bialystok et al. (2005b) soulèvent le fait que les caractéristiques orthographiques des langues ont un effet important sur les relations que peuvent entretenir, à l’écrit, les L1 et L2. Pourtant, ces caractéristiques, et par conséquent la proximité entre L1 et L2

140 n’est pas toujours au centre des préoccupations. La perspective « cross-linguistique » insufflée en particulier par Koda (1988, 1989, 2005, 2007) s’est développée pour approfondir cette question. L’influence que peut avoir les L1 lors des acquisitions en L2, exclusivement l’anglais, en fonction des caractéristiques des langues, est, dans cette optique, étudiée par le biais de l’analyse comparative interlangue première.

4.3 La perspective cross-linguistique anglo-saxonne : les caractéristiques