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Chapitre 4 : Dimensions phonologique, morphologique, syntaxique et lecture : perspective

2. Morphologie et lecture

2.1 Préliminaire

La conscience morphologique ou les compétences métamorphologiques peuvent se définir comme des habiletés à réfléchir (sur) et à manipuler la structure morphémique des mots (Carlisle, 1995). De nombreuses raisons laissent penser que ces connaissances entretiennent des relations soutenues avec l’apprentissage de la lecture (Colé & Fayol, 2000; Kuo & Anderson, 2006).

- Tout d’abord, force est de constater que les systèmes écrits des langues ne se limitent pas à encoder des informations phonologiques mais représentent également la structure morphologique des mots. Cet encodage morphologique (dérivationnel et flexionnel) peut d’ailleurs être en partie responsable de l’absence de correspondances biunivoques entre les graphèmes et les phonèmes. En effet, dans certaines langues, les morphogrammes permettent de coder à l’écrit les relations morphologiques entre les mots (e.g. gras → grasse ; lait → laitage ; acte → action).

- Par ailleurs, les recherches menées chez le lecteur expert affirment l’utilisation des informations morphologiques lors de l’accès aux mots complexes. Ces derniers constituent, une proportion importante du lexique des langues alphabétiques60 même celui acquis à l’âge scolaire61.

- Enfin, les morphèmes ayant des propriétés phonologiques, syntaxiques et sémantiques, la morphologie se trouve intégralement liée aux autres aspects linguistiques. Ainsi, Kuo et Anderson (2006) envisagent que la conscience morphologique peut rendre compte d’une « plus grande capacité métalinguistique générale » que la conscience phonologique ou syntaxique prises isolément.

Pourtant, comparées à la dimension graphophonologique, les recherches sur le développement des connaissances morphologiques et leur contribution à l’apprentissage de la lecture sont relativement moins nombreuses, et ont surtout été développées en anglais. De plus, l’étude des connaissances morpho-dérivationnelles chez l’enfant est plus récente que celle des connaissances morpho-flexionnelles. En fait, le développement et le rôle des connaissances morpho- dérivationnelles dans l’apprentissage de la lecture, ont longtemps été minimisés. De notre point de vue, cela peut encore une fois être rééquilibré, tout au moins en partie, si l’on tient compte du caractère explicite et implicite des connaissances. Enfin, ces dernières années, plusieurs thèses en

60 Par exemple, 80 % du lexique français serait composé selon l’approche générative de Rey-Debove (1984). 61 Nagy et Anderson (1984) estiment que 60 % du vocabulaire anglais appris à l’âge scolaire est morphologiquement composé.

74 français consacrées à la morphologie dérivationnelle ont notamment permis d’améliorer l’investigation scientifique dans ce domaine (Marec-Breton, 2003; Rocher, 2005; Royer, 2004). A la suite des travaux initiateurs de Berko (1958) et de son célèbre test du « wug », il a été observé à plusieurs reprises que les connaissances des règles morpho-dérivationnelles se développent tardivement et plus lentement que les connaissances des règles morpho- flexionnelles (e.g. Carlisle & Nomanbhoy, 1993; Tyler & Nagy, 1989; voir encart 7 pour un exemple). Il faudrait même attendre le lycée pour que le sens de certains suffixes dérivationnels soit maîtrisé (Nagy, Diakidoy, & Anderson, 1993).

Encart 7 : « Ceci est un wug…. »

La tâche de Berko (1958) consiste à demander aux enfants de créer des formes fléchies ou dérivées à partir de pseudo-mots (e.g. ceci est un wug. Maintenant, il y en a un autre, il y a deux __ ? Comment appellerait-on un petit wug, un __ ?). Par exemple, en anglais, les observations de Berko (1958) ont été répliquées auprès d’enfants de 4 à 14 ans par Selby (1972). Si les réponses correctes sont élevées à 4 ans et plafonnent à partir de 12 ans en ce qui concerne la formation d’une majorité de formes fléchies c’est loin d’être le cas pour les formes dérivées dont les productions sont quasi inexistantes avant 8 ans.

Cette différence d’acquisition s’explique généralement par le fait que beaucoup d’affixes dérivationnels sont moins productifs que les affixes flexionnels (Gordon, 1989). Toutefois, cette notion de productivité est souvent confondue avec les possibles altérations phonologiques et sémantiques de la base lors du processus de dérivation (Kuo & Anderson, 2006 ; cf. encart 8 pour plus de détails).

Encart 8 : les facteurs pouvant influencer les résultats aux tests de connaissances morphologiques

Gordon (1989) a élaboré une classification ordonnée des affixes à partir de la facilité des enfants de 5 à 9 ans à résoudre une tâche de décision lexicale :

- le 1e niveau inclut les flexions régulières dont la productivité et l’applicabilité est maximale,

- le 2e niveau inclut les affixes dérivationnels neutres, c’est-à-dire ne provoquant pas d’altération phonologique de la base62

- le niveau 3 inclut les flexions irrégulières et les affixes dérivationnels non neutres, que l’auteur considère comme les moins productifs et les plus difficiles à appliquer.

D’autres recherches menées principalement sur la morphologie dérivationnelle aux mêmes âges ont observé un ordre d’apparition similaire dans l’utilisation des règles morphologiques (Carlisle, 1988, 1995; Tyler & Nagy, 1989; White, Power, & White, 1989).

Ces recherches, ainsi que d’autres ont également souligné deux facteurs pouvant influencer la résolution des tâches morphologiques (voir par exemple Carlisle, 1995; Carlisle & Nomanbhoy, 1993; Lecocq, Casalis, Leuwers, & Watteau, 1996) :

- un effet de la transparence sémantique : la production de mots dérivés où le jugement de relation morphologique serait significativement plus basse lorsque la dérivation apporte une nuance importante au niveau de la signification (e.g. toile → toilette)

- un effet de la transparence phonologique : de la même façon, la réussite aux épreuves morphologiques serait affectée par le fait que le processus de dérivation altère les caractéristiques phonologiques de la base ou de l’affixe (e.g. avion → aviation ; ouvrir → rouvrir)

62 Kuo et Anderson (2006) soulignent que pour ces affixes, la relation sémantique entre la base et le mot dérivé est généralement transparente.

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Le fait que les performances aux épreuves morphologiques ne soient pas indépendantes de la structure formelle et sémantique des mots a engagé certain auteur à considérer que cette connaissance ne pouvait être que secondaire et tardive.

Malgré ce décalage dans l’utilisation de la morphologie dérivationnelle, les jeunes enfants (en général à partir de 2½, 3 ans) produisent spontanément des mots dérivés et en inventent à partir de leur connaissance de certaines bases (Clark & Cohen, 1984; Corbin, 1987). Cette capacité à repérer et appliquer spontanément des règles morphologiques ne serait pas strictement réservée à la morphologie flexionnelle63. Bescond (1999) a ainsi observé, à l’aide d’une épreuve de plausibilité lexicale (choisir entre deux pseudo-mots, dont l’un respecte la structure morphologique affixe + base -préfader- et l’autre non -pradéfer-, lequel ressemble le plus à un mot) que, dès 5 ans, les enfants préfèrent les pseudo-mots préfixés64.

Pour résumer, il existerait précocement une sensibilité aux aspects morphologiques flexionnels et dérivationnels, bien qu’elle soit moins développée que les connaissances phonologiques relevant de mécanismes linguistiques moins complexes et encore loin d’être achevée lorsque les élèves débutent l’apprentissage de la lecture (Carlisle, 1995; Rubin, 1988; Smith-Lock & Rubin, 1993). Néanmoins, ce serait sur la base de cette sensibilité et sous l’effet des apprentissages de l’écrit que les connaissances de nature explicite pourraient se mettre en place. Par exemple, dans le domaine de la morphologie dérivationnelle, Lecocq et al (1996) évaluent, entre autre, les connaissances morpho-dérivationnelles à l’aide d’une épreuve d’identification de mots dérivés. A partir d’un mot cible (e.g. chat) les enfants doivent choisir parmi 3 mots dont 2 distracteurs, lequel en constitue un dérivé (e.g. chaton, chien, château). Les résultats obtenus sont faibles en GSM (48 % de bonnes réponses) mais augmentent en milieu de CP (61 %), sans atteindre une valeur maximale en CE1 (67 %). Cependant cette étude ne concerne que les suffixes. Toujours en français, Casalis et Louis-Alexandre (2000) dans une étude longitudinale de la GSM à la 2e année emploient différents types d’épreuves (implicites vs. explicites en production vs. en réception). Dans une tâche simple (implicite/réceptive) consistant à trouver l’image correspondant au mot dérivé parmi 4 images représentant des mots complexes (trouver enrouler parmi les dessins représentant enrouler, dérouler, rouler, rouleau) les enfants dès la GSM distinguent déjà relativement bien le sens des mots composés (64 % de réponses correctes). De plus, ces habiletés augmentent peu entre la GSM et le CP mais plafonnent dès le CE1. En revanche dans une tâche de synthèse (produire un mot dérivé à l’aide de deux morphèmes

63 L’utilisation des règles morpho-flexionnelles dans les productions enfantines a par exemple été étudiée par Cazden (1968).

64 Cependant, Rocher (2005) n’est pas parvenu à répliquer ces résultats dans une tâche similaire mais présentée à l’écrit. Dans son étude, cette préférence n’apparaît qu’en 2e année de primaire. La modalité écrite peut éventuellement expliquer ces différences.

76 représentés par deux parties d’une poupée : haut = réparer, bas = tion → réparation), les réponses correctes sont de 50 % en GSM et augmentent largement par la suite, au point de plafonner.

Dans le domaine de la morphologie flexionnelle, la distinction implicite/explicite fait apparaître une course développementale similaire. D’une part, Demont et Gombert (1996) ont observé que si en GSM les enfants parvenaient assez bien à juger de l’agrammaticalité de phrases portant des erreurs morpho-flexionnelles (e.g. je mangeons des gâteaux), ils avaient plus de difficultés à les corriger, notamment lorsque les phrases sont sémantiquement étranges. D’autre part, Nocus et Gombert (1997) montrent qu’avant le CP, les enfants ont de grosses difficultés à reproduire une erreur morpho-flexionnelle (e.g. effectuer la même erreur que « je regardons la TV » dans la phrase « je trie des papiers »). Cette capacité à manipuler explicitement les règles morphosyntaxiques augmente toutefois en fin de CP passant à 82 % de réponses correctes puis à 87 % en CE1.

D’autres recherches ont également montré, que les connaissances morphologiques continuaient à se développer jusqu’à un âge avancé (Carlisle, 1988, 2000; Gaux & Gombert, 1999a; Singson, Mahony, & Mann, 2000)

Du fait de la maîtrise plus tardive des règles morphologiques, en particulier dérivationnelles, mais aussi et surtout de la nécessité absolue d’acquérir les règles de conversions graphophonologiques (que sous-tendent les connaissances phonologiques), la contribution de ces connaissances à la lecture a le plus souvent été envisagée tardivement (i.e. pas avant la 3e année) et de préférence sur la compréhension. Or, plusieurs recherches suggèrent leur intervention dès le début de l’apprentissage sur les deux dimensions de la lecture : la reconnaissance de mots écrits et la compréhension. Il y aurait donc un traitement de la structure morphologique des mots lors de la lecture débutante (cf. encart 9).

Encart 9: Les traitements de la structure morphologique lors de la lecture débutante.

Dans une série d’expérience Colé et al., (2003) Marec-Breton et al., (2005), et Marec-Breton et Gombert (soumis) ont clairement montré que dès le CP, les enfants tiennent compte de la structure morpho- dérivationnelle des mots pour les lire65. En effet, et de façon globale, les mots ou pseudo-mots construits (e.g. débouder) sont mieux lus (plus vite et avec moins d’erreur) que les mots non construits ou les pseudo-mots ne faisant apparaître qu’un seul élément morphémique (e.g. débouver, cagarer). Par ailleurs, les expérimentations menées à l’aide du paradigme d’amorçage montrent que la présentation de la base facilite la reconnaissance des mots complexes dès le CP (Colé, 2004; Colé et al., 2003; Royer, 2004).

65 Ces auteurs répliquent ainsi en français ce que Laxon, Rickard et Coltheart (1992) et Burani (2003) avaient observé en anglais et en italien.

77 En langue anglaise, Carlisle et Nomanbhoy (1993) rapportent que les connaissances morphologiques (évaluées par une tâche de production de mots dérivés et fléchis en contexte de phrases66) expliquent une part de variance du niveau de lecture de mots dès la 1e année. Cette contribution est, certes, beaucoup plus faible (4% de variance expliquée) que celle des mesures de conscience phonologique, mais toutefois significative67. Les travaux de Marec-Breton (e.g. Marec-Breton, 2003 Marec-Breton & Gombert, soumis) confirment en français cette intervention précoce des connaissances morphologiques. Par exemple, elle trouve que les performances à une épreuve de création de néologisme (e.g. arrêter de chauffer c’est __ ?) expliquent en CP, encore 15 % de la variance en lecture de mots après l’intervention de la conscience phonémique, dont le rôle est toujours plus important.

Dans leur étude longitudinale en français, Casalis et Louis-Alexandre (2000) s’intéressent simultanément aux connaissances morpho-dérivationnelles, morpho-flexionnelles ainsi qu’à la lecture de mots et la compréhension de phrases écrites en début d’apprentissage68. En CP, le niveau de lecture de mots est surtout lié à la conscience phonémique mesurée au même âge. Cependant, les auteurs notent une contribution significative (5,7 % de variance expliquée) des performances en production de formes fléchies (e.g. produire le féminin de boulanger) mesurée en GSM. Au CE1 les compétences en lecture de mots sont principalement expliquées par la réussite à deux types de tâches morphologiques : celle, implicite, de complètement de phrases à l’aide de pseudo-mots dérivés (celui qui sait plosser est un ___) mesurée au même âge et celle, explicite, de synthèse morpho-dérivationnelle (réparer + tion = réparation) mesurée en GSM. A ce niveau, les connaissances phonologiques n’interviennent plus. Les compétences en compréhension de phrases écrites sont pour leur part expliquées par les habiletés de segmentation morphologique, de nature explicite (réparation = réparer + tion), au même âge, mais aussi par les connaissances morpho-flexionnelles du féminin mesurées en GSM.

A l’issue des résultats de Casalis et Louis-Alexandre (2000), il semble que les connaissances morphologiques d’abord flexionnelles puis dérivationnelles interviennent lors de la reconnaissance des mots écrits, dès le début de l’apprentissage. Sur la compréhension en lecture, ces deux types de connaissances interviennent conjointement, dès la 2e année. Cette étude a par ailleurs souligné l’importance de la distinction implicite/explicite.

66 Par exemple à partir de la base « ferme », l’enfant doit compléter la phrase « mon oncle est un ___ » ; réponse attendue : « fermier ».

67 Dans cette étude, comme dans les recherches présentées par la suite et utilisant les analyses de régressions comme moyen d’investigation, l’influence de variables telles que les capacités intellectuelles non verbales, le vocabulaire ou les capacités mnésiques a été contrôlée.

78 Les recherches menées à des niveaux plus avancés renforcent l’importance des connaissances morpho-dérivationnelles. Ainsi, les études de Shankweiler et al. (1995) de Mahony, Singson et Mann (2000) et de Carlisle (2000) montrent que la contribution des connaissances morphologiques à la lecture de mots augmente de la 3e à la 6e année. Dans le même temps, la contribution des connaissances métaphonologiques décroît et d’après l’étude de Singson et al. (2000), elle cesserait d’être statistiquement significative en 4e année.

Les travaux de Demont et Gombert (1996) et de Nocus et Gombert (1997) confirment la relation entre lecture et compétences morpho-flexionnelles dès le CP. Demont et Gombert (Demont & Gombert, 1996 voir également Demont, 1994) rapportent les résultats d’une étude longitudinale évaluant les compétences en lecture (décodage et compréhension de phrases écrites69) d’enfants suivis de la GSM au début du CE2.

- Sur la dimension de décodage, les connaissances phonologiques et en particulier la conscience phonémique s’avèrent être le meilleur prédicteur tout au long de l’apprentissage. Mais les compétences à corriger les erreurs morphémiques ont un pouvoir explicatif qui est loin d’être négligeable et cela dès la fin du CP (entre 8 et 18 % de variance).

- Sur la dimension de compréhension de phrases écrites, les auteurs retrouvent, là encore, une contribution importante des capacités à corriger les erreurs morphémiques en fin de CE2, bien que ce soient les compétences syntaxiques portant sur l’ordre des mots qui expliquent le mieux des capacités de compréhension. En CE1, l. La compréhension est surtout dépendante des connaissances phonologiques.

Dans une autre étude longitudinale cherchant en particulier à prédire les compétences en lecture en CE1, Nocus et Gombert (1997, voir également Nocus, 1997), complètent ces observations en multipliant les mesures du niveau de lecture. Dans leur étude, après avoir contrôlé le rôle des connaissances phonologiques, les compétences à juger de la grammaticalité de phrases comportant des erreurs morpho-flexionnelles interviennent sur la lecture de mots mais toutefois moins et plus tardivement que les compétences à corriger la violation de l’ordre des mots. Par ailleurs, à l’aide de la même méthode d’analyse, le niveau de compréhension est, pour une part importante, expliqué par les performances en correction d’anomalies morpho-flexionnelles mesurées en GSM.

De même, Gaux et Gombert (1999a) observent que la contribution des connaissances morpho- flexionnelles (par exemple les compétences à répliquer des erreurs morphémiques) à la lecture (en lecture de mots comme en compréhension) est toujours présente en 6e collège.

69 Partant du principe que la compréhension nécessite un minimum d’efficience en décodage, le test de compréhension n’a été administré qu’à partir du CE1.

79 Il ressort donc de ces analyses :

- d’une part, que la conscience morphologique est ultérieure à la sensibilité implicite aux règles morphologiques et procède des apprentissages de l’écrit,

- d’autre part que, sans supplanter le rôle essentiel des compétences phonologiques, ces connaissances morphologiques contribuent précocement et conjointement à la reconnaissance de mots écrits et à la compréhension de phrases écrites. Cette contribution apparaît par ailleurs perdurer tout au long des apprentissages.

2.2 Les recherches interlangues

L’investigation des différences interlangues dans le développement ou l’utilisation des connaissances morphologiques lors de la lecture est particulièrement limitée. Quelques études comparatives existent toutefois, mais s’attachent plus à examiner des phénomènes spécifiques qu’à pointer des différences majeures dans le rôle que peut jouer la morphologie selon les caractéristiques des langues.

L’étude sur le serbe et le turc de Fowler, Feldman, Andjelkovic et Oney (2003), porte sur le développement des connaissances morpho-dérivationnelles et morpho-flexionnelles ainsi que sur les liens que ces connaissances peuvent entretenir avec la phonologie. Leurs résultats appuient la critique précédemment énoncée d’un amalgame entre productivité morphologique et transparence phonologique et/ou sémantique (Kuo & Anderson, 2006): les résultats d’enfants de 7 et 8 ans montrent, en effet, que, même dans les langues comme le Serbe et le Turc dont la morphologie dérivationnelle est tout aussi riche et productive que la morphologie flexionnelle, la supériorité de connaissances morpho-flexionnelles (mesurée à l’aide d’une tâche de complètement de phrases à partir d’une base) est toujours visible. Pour eux, cette différence relève du fait que les relations sémantiques entre formes fléchies sont plus fortes que celles entre formes dérivées. Cet avantage en faveur de la morphologie flexionnelle apparaît ainsi dans plusieurs langues.

Fowler et al. (2003) ont par ailleurs montré des différences entre les deux langues, concernant le lien entre phonologie et morphologie. Seule une corrélation partielle70 entre les performances de suppression de phonème et de complètement de phrases par une forme dérivée apparaît pour le groupe des enfants serbes ; en revanche, pour le groupe des enfants turcs, la suppression de phonème rend compte d’un pourcentage de variance comparable pour les deux types de

80 morphologie (dérivationnelle et flexionnelle). Les auteurs expliquent ces résultats par le fait qu’en serbe, la structure morpho-dérivationnelle est phonologiquement moins prédictible alors qu’en turc, les altérations phonologiques apparaissent sur les formes fléchies comme dérivées. Ils infèrent de ces résultats que la prédictibilité phonologique joue un rôle central dans l’acquisition des règles morphologiques.

Ragnarsdóttir, Simonsen et Plunkett (1999), s’intéressent, pour leur part, à l’acquisition des règles morpho-flexionnelles du passé des verbes en islandais et norvégien. Leur étude consiste à analyser les performances d’enfants de 4, 6 et 8 ans à la tâche de Berko et les erreurs qu’ils commettent en terme de généralisation de formes verbales existantes. Ils retrouvent ainsi, dans les deux langues, plusieurs résultats obtenus dans la littérature notamment sur l’ordre d’acquisition des formes régulières et irrégulières et sur l’effet de fréquence du groupe des verbes et des formes fléchies. Cependant, ils obtiennent deux résultats inédits :

• Le premier est que, quelle que soit la langue, les enfants ne commettent pas seulement des erreurs en généralisant des formes régulières fréquentes mais aussi en appliquant des formes régulières non fréquentes. Selon les auteurs, ce résultat indique que la fréquence du groupe verbal, même si elle se manifeste clairement comme une caractéristique importante dans l’acquisition des règles, ne détermine pas à elle seule la productivité d’une forme flexionnelle donnée. La régularité des règles d’application des flexions peut également être un élément déterminant dans l’utilisation des formes fléchies.

• Le deuxième résultat, particulièrement intéressant dans le cadre de cette étude, concerne une différence interlangue dans le rythme d’acquisition des règles morpho-flexionnelles : à 4 ans, les enfants islandais sont moins performants, en particulier sur les verbes irréguliers, que leurs pairs norvégiens mais rattrapent nettement leur retard dès 6 ans. Les auteurs expliquent ce décalage par la plus grande complexité du système flexionnel islandais.

Enfin, la recherche de Ku et Anderson (2003) s’est attachée à comparer les connaissances des aspects morphologiques (par dérivation et composition) et les relations qu’elles entretiennent avec le vocabulaire et la compréhension en lecture sur des échantillons importants d’enfants