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Chapitre 4 : Dimensions phonologique, morphologique, syntaxique et lecture : perspective

4. Analyse critique

Un des points critiques émergeant des études sur ces diverses connaissances, étudiées dans différentes langues est de nature méthodologique :

Premièrement, dans une perspective comparative, l’utilisation de multiples modes d’évaluation, administrés à des enfants de niveaux différents, complexifie la possibilité d’établir des comparaisons entre les résultats obtenus en arabe et en portugais. Il est ainsi difficile d’appréhender les différences fines dans l’apprentissage de la lecture entre ces deux langues, de même qu’entre ces langues et les autres langues étudiées dans la littérature.

Deuxièmement, les investigations sur les connaissances impliquées lors de la lecture sont systématiquement confrontées à la difficulté de distinguer sans ambiguïté, la nature implicite ou explicite des connaissances. Les commentaires, présentés dans l’encart 2, sur l’évaluation des connaissances implicites et explicites, proposent un bref aperçu du coût cognitif qu’entraînent certaines tâches et invitent à conclure que le caractère implicite ou explicite des épreuves est souvent déterminé par le domaine ou le type d’unité étudiés. Ainsi, dans la réalité expérimentale, la distinction est complexe et il est possible que le foisonnement des instruments de mesure soit, en partie, lié à cette difficulté. Or, bien que les choix des tâches proposées aux enfants soient d’une grande importance, il est rare d’obtenir un outil d’évaluation exempt de toute critique méthodologique. En outre, l’évaluation des connaissances morphologiques et syntaxiques se heurte également au risque de confusion avec la prise en compte des aspects strictement sémantiques. Une analyse sommaire de quelques paradigmes souvent employés permettra d’en illustrer les problèmes récurrents et de définir, à terme, les choix les plus pertinents pour évaluer ces connaissances auprès d’élèves de différents niveaux scolaires.

L’évaluation des connaissances à l’aide des épreuves de jugement ou d’identification de similitude ou de détection d’intrus nous semble assez équivoque. Ces épreuves, qu’elles évaluent les connaissances phonologiques ou morphologiques, sont souvent considérées comme implicites car la production de la réponse est en effet peu coûteuse. Il semble toutefois difficile de s’en assurer car la réponse peut être issue d’une analyse contrôlée surtout lorsque la consigne précise de quelle nature est la similitude ou la différence. En effet, en parlant des épreuves de jugement de relation morphologique Colé et al. (2003) précisent que ces dernières « ne

nécessitent pas une mobilisation consciente dans la mesure où la consigne ne focalise pas explicitement l’enfant sur la structure morphologique des mots » (p 716). Pourtant, les consignes

employées par la plupart des chercheurs utilisent la notion de famille de mots. De la même façon, pour évaluer les connaissances phonologiques, la demande porte sur les mots « qui

97 commencent ou terminent pareil ou par le même son ». De telles consignes peuvent, à notre avis orienter, les réponses des enfants. Le choix de Goswami et al. (2005) et Vidigal de Paula (2007) est plus clair puisque la consigne des épreuves de détection implicite d’intrus est beaucoup plus vague (détecter le mot qui est différent entre X, Y et Z ou qui va le moins avec X, Y ou Z). L’aspect heuristique des tâches exigeant une manipulation des éléments linguistiques et donc un contrôle cognitif important n’est pas à remettre en cause. L’épreuve de suppression de phonème a largement fait ses preuves mais dans le domaine morphologique, la suppression ou même l’ajout d’un morphème s’apparente parfois à retrouver un mot à partir d’un autre, ce qui ne nécessite pas forcément une analyse en morphème mais s’apparente davantage à une application des connaissances lexicales. Bien souvent, la tâche du chercheur qui s’intéresse à la morphologie est justement d’éviter que les épreuves proposées ne soient exclusivement résolues sur la base des aspects sémantiques ou phonologiques Kuo & Anderson (2006) Par exemple, les réponses à la tâche de choix d’image représentant des mots de la même famille (e.g. rouler, dérouler, enrouler, rouleau), ou construit de façon identique (e.g. brûlure, chevelure, blessure, pelure) utilisée par Casalis et Louis-Alexandre (2000) dépendent autant de l’ampleur du lexique des enfants que de leur capacité à repérer la construction morphologique des mots. De même, les simples épreuves où l’enfant doit déterminer si deux mots appartiennent à la même famille (Ben- Dror et al., 1995; Carlisle & Nomanbhoy, 1993) peuvent être résolues en se fondant sur la signification des mots connus, et sans prendre nécessairement en compte le lien morphologique. Enfin, dans les épreuves plus complexes de jugement de lien morphologique, présentant des mots de la même famille et un distracteur soit phonologique soit sémantique (e.g. cuisine- cousine-cuisinier ; fermer-refermer-ouvrir), souvent employées en arabe (Abu-Rabia, 2007; Abu- Rabia et al., 2003; Belajouza, 2003), les réponses peuvent être fournies en éliminant les mots qui ne partagent pas les mêmes caractéristiques sémantiques ou phonologiques et non en discriminant simultanément ces deux aspects. Les performances à ce genre de tâches plafonnent d’ailleurs aux alentours de la 2e année (Abu-Rabia et al., 2003; Marec-Breton, 2003). Les épreuves de production de mots dérivés (sans ou en contexte de phrases) ou de néologismes font plus clairement intervenir une connaissance des règles de construction, même si là encore, les productions sont généralement spontanées.

L’évaluation des compétences métasyntaxiques est tout aussi délicate. Le risque d’amalgamer les réponses de nature syntaxique avec celles relevant de la sémantique est en effet important (Layton, Robinson, & Lawson, 1998) et s’ajoute à celui de confondre la nature implicite ou explicite des réponses.

98 Par exemple les épreuves de closure ou de complètement de phrases par le mot syntaxiquement adéquat, relèvent tout autant de la gestion des contraintes syntaxiques que sémantiques.

Par ailleurs, il est difficile de savoir exactement de quelle façon sont résolues les tâches de jugement de grammaticalité de phrases. Les résultats obtenus dans la littérature semblent démontrer que les jugements des enfants s’effectuent la plupart du temps sur la base d’indices sémantiques. Cette interprétation est en effet cohérente avec les meilleurs performances lorsqu’il s’agit de rejeter des phrases dont les erreurs affectent beaucoup le sens (i.e. les erreurs sur l'ordre, Demont & Gombert, 1996; Nocus & Gombert, 1997). Au contraire, la correction d’agrammaticalité apparaît, en particulier en début d’apprentissage, plus coûteuse lorsque le sens est affecté. Cela démontre, là encore, la forte intrication entre les aspects sémantiques et syntaxiques.

De plus, le problème du coût cognitif engagé dans les tâches de jugement et de correction n’est pas plus facile à résoudre que dans les autres tâches précédemment citées. Le démontre les différences d’interprétation entre Mota et Sousa à propos de la morphologie flexionnelles en portugais. Les jugements, de même que les corrections d’agrammaticalité peuvent en effet être effectués tout autant à partir d’une connaissance implicite activée à force de rencontrer les formes correctes récurrentes qu’à partir d’une réflexion consciente (Bialystok, 1986; Gaux & Gombert, 1999ab; Gombert, Gaux, & Demont, 1994). L’épreuve de réplication d’erreur apparaît en revanche suffisamment complexe pour exiger la mobilisation de connaissances contrôlées (Gaux et Gombert, 1999ab).

Il paraît donc extrêmement difficile d’identifier le mode d’évaluation le plus pertinent de ces différentes connaissances. Par ailleurs, les épreuves se situant sur le mode réceptif et productif impliquent des processus trop différents pour être comparables. Cependant, à l’instar de ces multiples remarques, l’usage du paradigme de détection d’intrus semble bien approprié pour trois raisons :

1) Il permet d’évaluer les choix spontanés des enfants lorsque ceux-ci ne sont pas dirigés par une consigne, mais également les réponses plus contrôlées lorsque l’expérimentateur explique les règles sous-jacentes à l’exercice.

2) Il peut s’appliquer à tous les domaines (phonologique, morphologiques et syntaxique). 3) Il a l’avantage d’être peu coûteux en termes de mise en place dans les classes.

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