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Une préhistoire avant les serious games

Dans le document DU JEU VIDÉO AU SERIOUS GAME (Page 65-68)

Définir le serious game

4. Bilan de l’état de l’art des serious games

4.2. Une préhistoire avant les serious games

Si Sawyer postule que 2002 représente l’année de l’avènement du serious game avec la diffusion d’America’s Army (Cf. 3.2.1), nous avons cependant identifié, pour chaque type de serious game, des applications plus anciennes, des ancêtres. Ainsi l’aube des années 70 a vu, ce que nous considérons être l’avènement des edugames. Le début des années 80 marquerait celui des applications liées au regroupement militaro-industriels. La fin de cette décennie voit apparaître des applications informatives et sociales. Le mouvement militant apparaît semble t- il, quant à lui dans la seconde moitié des années 90.

Nous notons également que l’avènement de chaque ancêtre de serious game serait étroitement relié à un contexte d’actualité :

Les premiers edugames, au début des années 70, sont ainsi dus à l’initiative du mouvement universitaire qui est en charge de contribuer à la diffusion de l’informatique dans les établissements scolaires (Cf. 3.5.3).

L’apparition des premières applications militaro-industrielles au début des années 80, semble correspondre au premier boum économique de l’industrie du jeu vidéo. Vedrashko confirme cette observation : "Les annonceurs ont commencé à montrer un réel intérêt pour les jeux vidéo en 1982, lorsque cette industrie a connu son premier véritable boum."(p.41)141

Il précise sources à l’appui : "Cette année-là, le public américain a dépensé $3 milliards en

jeux vidéo. (ce qui équivaut aujourd’hui à plus de $6 milliards), triplant ainsi les dépenses de l’année précédente. L’industrie de l’arcade a été plus importante encore. En 1982, les Américains dépensaient […] $5 milliards par année pour jouer dans les salles d’arcade. Le Time magazine a écrit: “A titre de comparaison, $5 milliards […] c’est presque deux fois les $2.8 milliards bruts de l'industrie du film aux Etats-Unis. […]”142

141"Advertisers began showing real interest in games around 1982 when the gaming industry was enjoying its first true boom"(traduction de l’auteur)

142 That year, the American public bought $3 billion worth of games (over $6 billion in today’s money), tripling the previous year’s amount.113 The arcade industry was even bigger. By 1982, Americans were spending […]

La diffusion de l’une des premières applications informatives et sociales, à la fin des années 80, semble être liée à une actualité forte qui est celle de la lutte contre le Sida (apparu semble

t-il au début de cette même décennie) et à la prise de conscience que le jeu vidéo peut être un moyen de communiquer avec les jeunes ciblés par une telle campagne d’information :

"Statistiquement, cette population est celle des 15-25 ans. C’est l’âge moyen de l’utilisateur de jeux sur micro, aussi, la société Carraz Edition a-t-elle décidé de faire un logiciel sur le sujet." (p.10)143

Actualité qui comme nous l’avons vu par la suite pourrait servir de support à des stratégies de marketing viral144, c’est le cas par exemple de Good Willie Hunting de NVision Design (Cf.

3.4.1) ou des Edumarket game à l’instar de Food Force ou Les p’tits Repères. (Cf. 3.6.3 et 3.6.4).

Enfin, le mouvement militant a connu selon Gonzalo Frasca une véritable envolée avec les évènements du 11 Septembre (Cf. 3.3.2). Notons que l’apparition des jeux en tant que "forme d’expression" semble être liée à la popularisation de logiciels auteurs à l’instar de Flash qui permettent aux particuliers de s’exprimer (Cf. 3.3.2) et que cela entre désormais dans le cadre d’un courant de création identifié par le vocable "Web 2.0" (Cf. 3.3.3). Vocable qui a été décliné en "Jeu 2.0" pour cerner spécifiquement l’univers du jeu vidéo.

L’existence de tous ces ancêtres du serious game, nous permet d’avancer l’idée que l’aspect innovant ne semble pas résider dans l’application d’un point de vue intrinsèque. La nouveauté résiderait plutôt, semble t-il, dans le fait d’avoir attribué le vocable inspiré par Abt à des catégories d’applications dont le point commun serait de combiner avec la composante jeu vidéo, un scénario pédagogique. Point que nous avons tenté d’éprouver tout au long de ce chapitre. Il semblerait à ce stade que ce dernier soit plutôt confirmé.

La question qui en découle serait de savoir dans quel but un tel regroupement a été opéré ? S’agit-il d’une stratégie marketing ? En observant le marché du jeu vidéo au Japon, nous

aurons peut-être une indication. Le choix du Japon, est motivé par le fait que selon Olivier Séguret, journaliste spécialiste des jeux vidéos145 : « Les plus grosses industries du jeu vidéo

sont localisées au Japon et aux Etats-Unis. ». 4.3. L’absence des Japonais ?

Les Japonais ont commencé à jouer un rôle important dans le domaine du jeu vidéo d’arcade dès la sortie de Space Invaders en 1978 (Taito). Les succès consécutifs de Pacman en 1980 (Namco), puis de Donkey Kong en 1981 (Nintendo) le confirment rapidement.

La mise sur le marché de la console de jeu NES de Nintendo aux Etats-Unis en 1986 puis de la console Megadrive/Genesis de Sega en 1989 permet aux nippons de tenir le haut du pavé dans le secteur du jeu vidéo.

L’avènement de la console portable Game Boy (Nintendo) en 1989, puis, le succès commercial de la Playstation (Sony) sortie en 1994 finissent par asseoir cette suprématie. Parallèlement, les personnages proposés par les jeux vidéo japonais, tels Mario Bros, ou Donkey Kong ou encore Sonic, commencent dès le début des années 90 à partager la lumière

$5 billion a year playing video game arcades. In its January 18 cover story, Time wrote: “For comparison, $5 billion […] is almost twice the $2.8 billion gross of the U.S. movie industry.[…]" (traduction de l’auteur) 143 AM-MAG, N° 32, Mars 1988

144 Le marketing viral consiste à diffuser la publicité par le biais des consommateurs via le bouche à oreille. Le

réseau Internet est un support idéal pour ce type d’approche marketing.

145Propos recueillis lors de sa conférence : "jeu vidéo et cinéma" dispensé dans la cadre du stage "Hybridation des images, "Le cinéma en milieu scolaire. Nouvelles technologies, nouvelle pédagogie . L’interdisciplinarité d’une nouvelle forme de cinéma", 4 avril 2005 à Toulouse, Organisé par le Pôle National Ressources cinéma Midi-Pyrénées.

des projecteurs avec les personnages américains, tels ceux issus des studios Walt Disney ou Hanna Barbara.

Ce bref récapitulatif de l’ascension nippone dans l’industrie du jeu vidéo, nous met donc en relief les propos de Séguret : le Japon et les Etats-Unis seraient désormais les deux grands

rivaux sur ce marché au niveau mondial.

Séguret précise : «  L’industrie du jeu vidéo est un formidable moyen d’exporter une influence

culturelle ». Cela signifie que les jeunes qui sont grands consommateurs de jeux vidéo ne

reçoivent à ce jour, par ce biais que de la culture japonaise et américaine. »146

Ces propos et la position actuelle du Japon dans le secteur du jeu vidéo, nous font douter de son absence dans le domaine du serious game. Qu’en est-il ?

D’abord sur le plan médical, nous pouvons évoquer l’application du Programme d’Entraînement Cérébral du Dr Kawashima ou encore Wii Fitness (Cf. 3.6.2)147.

Sur le plan de l’advergaming, rappelons-nous qu’en 1982, Namco a sortie le jeu Pôle Position. Ce titre est sans doute l’un des premiers jeux d’arcade à intégrer de l’associative advergaming. (Cf. 3.4.3)

Puis, en nous référent au reportage " Jeux japonais hors-normes"148 nous apprenons

qu’actuellement 10% des jeux vidéo vendus au Japon sont "des concepts décalés dont la plupart sont estimés invendables en France". Cette créativité des éditeurs nippons serait liée à l’importance du marché vidéoludique au pays du soleil levant. Parmi ces concepts, nous trouvons par exemple des "girls games", des simulations où le but est de courtiser une fille pour se marier avec elle. Tokyo bus guide invite l’utilisateur à conduire un bus mais en respectant les horaires, le code de la route et le confort des passagers. (fig. 33, gauche). RoomMania #203, sorti en 2002, est un simulateur de vie, qui propose quant à lui, de suivre la vie d’un jeune Japonais dans son appartement. (fig. 33, droite).

Figure 33 : A gauche : Tokyo bus guide, Success, 2005 - A droite : RoomMania #203, SEGA, 2002

Ce tour d’horizon rapide nous confirme donc que des applications que nous qualifions de serious game existent bel et bien au Japon. La différence, c’est qu’ici, ces applications sont tout simplement appelés « jeux vidéo ». Le terme serious game ne semble donc pas exister ou

peu diffusé actuellement au pays du soleil levant. Au vue des liens que nous avons identifiés entre les Etats-Unis et l’avènement des différents types de serious game, et en tenant compte des propos de Seguret, nous pouvons penser que le vocable "serious game" représentent probablement une nouvelle "influence culturelle" étasunienne. Cependant, les Etats-Unis ont peut-être besoin aujourd’hui de voir chez le Japon un concurrent direct sur ce secteur. Pourquoi ? Sachant que le Japon et les Etats-Unis représenteraient actuellement les plus

grosses industries du jeux vidéo. Nous pouvons émettre l’hypothèse qu’identifier chez les Nippons le vocable "serious game", signifierait obtenir la légitimité du terme et donc

146 Ibid, Séguret

147 http://ms.nintendo-europe.com/e32007/frFR/wii_wiifit.html

reconnaître cette influence culturelle étasunienne. Sur le plan marketing, cela signifierait sans doute, donner une crédibilité économique au secteur du serious game.

Un point qui semble abonder en faveur de cette hypothèse est le fait que le Serious Game Initiative propose la rubrique Serious Game Japan, entièrement écrite en japonais149. Nous

pouvons également noter que le colloque Digra de 2007, dédié au game design, a lieu au Japon et qu’il dédie semble t-il pour la première fois une journée entière aux serious games150.

Dans le document DU JEU VIDÉO AU SERIOUS GAME (Page 65-68)