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Approche formelle du jeu vidéo et du serious game

Dans le document DU JEU VIDÉO AU SERIOUS GAME (Page 195-200)

Après avoir appréhendé l’intégration du scénario pédagogique avec le jeu vidéo au niveau de systèmes culturels et pragmatiques, nous souhaitons à présent l’étudier au niveau formel. Cette démarche implique pour nous d’étudier au préalable ce que représente le jeu vidéo à un tel niveau avant d’envisager l’étude d’une quelconque intégration pédagogique. Pour cela, nous tâcherons d’analyser un corpus de 588 jeux indexés dans une base de données, dont les champs reprendront des fonctions liées aux règles et objectifs des jeux vidéo que nous tâcherons au préalable d’identifier. Etudier cette intégration s’inscrit également pour nous dans l’idée de recenser une caractéristique de type informatique et formelle propre au serious game. Nous pensons que c’est une composante essentielle pour tâcher de déterminer si le serious game se distingue réellement du jeu vidéo dans le cadre d’un système formel.

Introduction

Dans de ce dernier chapitre, nous allons appréhender l’intégration du scénario pédagogique avec le jeu vidéo au niveau d’un système formel, au sens défini par Salen et Zimmerman (Cf. chapitre 3 : 2.2). Selon Jean-Noël Portugal, établir un lien entre le jeu vidéo et

l’apprentissage passerait par le gameplay. Mais que représente cette composante du jeu vidéo, au niveau formel ? Pour tenter de l’analyser nous nous inspirerons notamment de la

démarche que Propp a mise en place pour étudier son corpus de contes russes. Il a ainsi dégagé des fonctions qui lui ont permis de retranscrire les contes de façon formelle. Nous essayerons d’en faire de même en appliquant sa méthodologie aux jeux vidéo dans l’optique d’identifier des composantes élémentaires du gameplay, à savoir des fonctions liées aux règles et objectifs du jeu. Si nous parvenons à les identifier, nous nous proposerons d’éprouver celles-ci par plusieurs approches dont l’une serait basée sur une application informatique dédiée à cet effet. Si nous obtenons des résultats qui nous semblent concluants, nous appréhenderons par la suite ce qu’elles pourraient représenter par rapport à la fonction de scénario pédagogique. Nous souhaitons par cette démarche empirique tenter d’observer en particulier si nous sommes avec le scénario pédagogique en présence d’une fonction qui serait réellement spécifique au serious game. C’est-à-dire que celle-ci se distingue clairement de celles que nous retrouvons dans le jeu vidéo. Si tel est le cas, nous pourrons probablement avancer l’idée que le serious game correspondrait à un type d’application qui, sur le plan informatique, pourrait être reconnu et légitime. Dans le cas contraire, cela signifierait probablement que le concept du serious game serait un genre de jeux vidéo, dont l’approche se cantonnerait uniquement au niveau des systèmes culturels et pragmatiques.

1. Appréhender le jeu vidéo sous forme de fonctions

1.1. L’approche de Propp

1.1.1. Une morphologie du jeu vidéo ?

De quoi se compose un jeu vidéo au niveau d’un système formel ? Pouvons-nous identifier à ce niveau, une morphologie du jeu vidéo ? Cette dernière question fait référence à la démarche de Vladimir Propp dans le cadre de son étude des contes russes. En 1928, il expose dans son ouvrage « Morphologie du conte » comment il a identifié un ensemble fini de

fonctions qui structure l’ensemble des contes qu’il a étudiés289. L’auteur explique son

approche de la manière suivante : «  le conte prête souvent les mêmes actions à des

personnages différents. C’est ce qui nous permet d’étudier les contes à partir des fonctions des personnages. » (p.29)

Il précise : « Par fonction, nous entendons l’action d’un personnage, définie du point de vue

de sa signification dans le déroulement de l’intrigue. » (p.31)

Propp pose ensuite un ensemble de quatre thèses fondamentales liées à son étude des contes : - « 1. Les fonctions sont les parties constitutives fondamentales du conte. » (p.31) - « 2. Le nombre des fonctions que comprend le conte merveilleux est limité. » (p.31) - « 3. La succession des fonctions est toujours identique. » (p.32)

- « 4. Tous les contes merveilleux appartiennent au même type en ce qui concerne leur

structure. » (p.33)

Enfin Propp explique qu’en mettant sous forme de fonctions l’ensemble des contes de son corpus, il est possible d’entrevoir une classification de ces derniers en les regroupant selon des constances que l’on pourrait identifier entre eux (p.121 à 144).

1.1.2. Réduire le jeu vidéo à un ensemble de fonctions

Cette notion de fonction nous renvoie dans notre cas au scénario pédagogique (Cf. chapitre 1 : 2.3). En effet nous avons vu durant le chapitre 1 que ce dernier selon Tricot s’appréhende

comme une fonction. (Cf. chapitre 1 : 2.4). A présent, il nous semble pertinent de tenter

d’appréhender le jeu vidéo comme un ensemble de fonctions aussi. Ainsi nous serions en présence d’un scénario pédagogique et d’un jeu vidéo dont les représentations seraient de nature similaire. De ce fait, nous serions probablement plus à même de pouvoir les comparer, et d’étudier, nous semble-t-il, leur mise en relation. Dans ce contexte, comprendre l’approche de Propp qui a retranscrit les contes russes sous forme de fonctions nous paraît intéressant pour tenter de s’en inspirer et tâcher ainsi de traduire à notre tour les jeux vidéo par des fonctions.

1.2. Établir une classification des jeux vidéo

Notre démarche vise à ce stade à nous conformer à la méthodologie utilisée par Propp pour étudier la morphologie des contes russes afin de l’appliquer aux jeux vidéo. Nous allons donc tenter de suivre pas à pas son approche et tenter de la transposer à notre sujet d’étude.

1.2.1. Pourquoi classifier les jeux vidéo ?

Propp stipule dans les toutes premières pages de son ouvrage que pour savoir ce qu’est le conte, il faut en étudier toutes ses diversités en établissant une classification. (p. 11 et 12). Il

précise notamment : « Une classification exacte est un des premiers pas de la description

scientifique. De l’exactitude de la classification dépend l’exactitude de l’étude ultérieure. »

(p.12). Cette démarche nous semble logique, tâchons donc d’établir une classification des jeux vidéo.

1.2.2. Classifier les jeux vidéo, une démarche vouée à l’obsolescence

L’idée de classifier les jeux vidéo n’est pas une démarche nouvelle. Ainsi, par exemple, Bernard Jolivat290 a proposé en 1994, une classification des jeux vidéo à travers 6 grandes

catégories : Jeux d’aventure, d’action, de rôle, de réflexion, de simulation, de stratégie. Georges-Louis Baron et Éric Bruillard291 ont proposé en 1996 une classification impliquant 4

grandes catégories : Jeux de réflexion, de simulation et stratégie, d’aventure et rôle, d’action.

Une autre classification a également été avancée en 1993292 et affinée en 1998293 par les frères

Le Diberder. Elle comprend quant à elle 3 grandes catégories : Jeux de réflexion, d’action, de simulation.

Pour chacune de ces grandes catégories, les auteurs énoncent des sous-catégories. Ainsi, par exemple, les frères Le Diberder mentionnent pour les jeux d’action, les sous-catégories suivantes  : Les jeux de réflexe, les jeux de course automobile, les jeux de football, les jeux de

tirs, les jeux de combat et les jeux de plateforme.

Dans ces sous-catégories, nous noterons cependant que des thèmes à l’instar des jeux de football, sont assimilés à des genres. C’est ce que nous fait par exemple remarquer Genvo :

« Toutefois, des genres de jeux « traditionnels » font aussi office de thèmes, tels que le

bowling, le golf ou le football. » (p.207) 294

Dans ce contexte, nous pouvons penser qu’une classification par le genre, pourrait présenter encore plus de sous catégories. Ainsi Genvo nous rapporte par exemple que le site français Gamekult, recense « 33 « genres » » de jeux vidéo. Ceux-ci ayant également pour origine

l’hybridation de sous-catégories à l’instar des jeux d’action et des jeux d’aventure qui peuvent se combiner pour donner naissance au genre action-aventure. Ainsi nous obtenons 3 genres distincts (p. 208). Cette hybridation est également mentionnée par Nicolas Esposito : « On observe en effet dans bon nombre de jeux récents l’intégration d’éléments provenant de différents types. On a ainsi vu arriver Deus Ex, un jeu de tir à la première personne (FPS, First Person Shooter) enrichi de fonctionnalités de jeu de rôle. » (p.9)295

Ainsi, il semblerait que la classification des jeux vidéo par le genre soit mouvante. Ce constat est confirmé par Genvo : « L’évolution des genres et la disparition de certains dans l’usage

(avec un même jeu pouvant être qualifié différemment selon l’époque) reflètent la restructuration du stock de connaissances sociales. » (p.211). Matthieu Letourneux abonde

également dans ce sens, et précise que toute classification de jeux vidéo serait, entre autres, par nature, condamnée à l’obsolescence car l’évolution technologique ouvre en permanence de nouvelles perspectives (p. 40 et 41)296.

290 Jolivat B., Les jeux vidéo, Collection Que sais-je ?, Presse Universitaire de France, Paris, 1994

291 Baron G-L., Bruillard E., L’informatique et ses usagers dans l’éducation, Presse Universitaire de France,

Paris, 1996

292 Le Diberder, A., Le Diberder, F., Qui a peur des jeux vidéo ?, La découverte, 1993 293 Le Diberder, A., Le Diberder, F., L’univers des jeux vidéo, La découverte, 1998

294 Genvo, S., Le game design de jeux vidéo : Approche communicationnelle et interculturelle, Thèse en sciences

de l’information et de la communication, Université Paul Verlaine - Metz, 2006, disponible en ligne : http://www.ludologique.com/publis/these.html

295Esposito N., Emulation et conservation du patrimoine culturel lié aux jeux vidéo, ICHIM 04, Berlin, 2004 296 Letourneux M., La question du genre dans les jeux vidéo, in Le game design de jeux vidéo – Approches de

1.2.3. Appréhender différemment la classification des jeux vidéo

Il semblerait donc que nous soyons dans une impasse avec la classification des jeux vidéo par le genre. Par quelle autre approche pourrions-nous appréhender la classification des jeux vidéo ? Propp semble nous donner une méthode : « Mais bien que la classification ait sa

place à la base de toute étude, elle doit elle-même être le résultat d’un examen préliminaire approfondi. Or, c’est justement l’inverse que nous pouvons observer : la plupart des

chercheurs commencent par la classification, l’introduisent du dehors dans le corpus alors qu’en fait, ils devraient l’en déduire. » (p.12)297

. Propp précise : « la classification des contes

doit être revue dans son ensemble. Il faut qu’elle traduise un système de signes formels, structuraux, comme c’est le cas dans les autres sciences. Et pour cela, il faut étudier ces signes. » (p.13)

Si nous établissions un parallèle entre l’approche de Propp et nos travaux, il semblerait que ces propos nous invitent à appréhender la classification des jeux vidéo en commençant par deux étapes : d’abord établir un « examen préliminaire approfondi » de l’objet. Puis, de

rechercher dans cet examen un « système de signes formels, structuraux ». Ce dernier point

nous renvoyant, semble-t-il, à la notion de fonction. Tentons de suivre ces deux étapes. Peut- être parviendrons-nous à mettre à jour une classification qui ne soit pas dépendante de l’évolution technologique des jeux vidéo ?

1.3. Cerner le jeu vidéo

Pour mener « l’examen préliminaire approfondi » de nos jeux vidéo, nous devons à présent

tenter de cerner l’objet. Pour cela, il nous paraît pertinent d’appréhender au préalable quelque peu son histoire, ses définitions existantes et enfin nous nous attacherons, non sans déplaisir, à le pratiquer pour l’étudier. En effet, comme le soulignent Salen et Zimmerman, l’approche théorique n’est pas suffisante : « Un apprentissage à la conception de jeu ne peut se

cantonner à une approche purement théorique du jeu vidéo. » (p. 11)298

1.3.1. Bref historique du jeu vidéo

Nous allons ici reprendre quelques périodes clés de l’histoire des jeux vidéo. Ceci s’inscrit dans la logique d’essayer par la suite de faire des recoupements avec différentes définitions du jeu vidéo que nous passerons en revue.

1.3.1.1. Les premiers jeux vidéo

Concernant l’avènement du premier jeu vidéo, différentes dates sont proposées :

Selon Espen Aarseth, le premier jeu vidéo date de 1952, a été créé par A.S. Douglas de l’Université de Cambridge, sur un ordinateur EDSAC, et représente un jeu de morpion (Noughts and Crosses) (p.69)299. Notons que l’utilisateur se sert à l’époque d’un cadrant

téléphonique en guise d’interface entrante pour choisir où positionner son symbole et d’un oscilloscope en guise d’interface sortante pour affiche la grille du jeu. (Fig.1)

Selon François Houste, on admet aujourd’hui que le premier jeu vidéo date de 1958 :

Willy Higginbotham, ingénieur au laboratoire national de Brookhaven, a conçu « à l’aide

297 Ibid, Propp

298 « A game design education cannot consist of a purely theoretical approach to games. » (traduction de

l’auteur)

299 Aarseth E., Film et jeu vidéo : un mariage de convenance ?, in Graillat L., Actes du colloque "De Tron à Matrix : réflexions sur un cinéma d’un genre nouveau", Documents : Actes et Rapports pour l’écudaction, PNR,

d’un oscilloscope et de quelques circuits électriques un tout premier… Jeu de tennis. »

(p.10)300

Selon Gary Rosenzweig, game designer, le premier jeu vidéo sur ordinateur est Space War (Fig.2), développé dans le cadre du M.I.T. en 1962 par Steve Russel et d’autres étudiants (p.420)301. Ce jeu fonctionnant sur un mainframe PDP-1 met en scène deux vaisseaux

spatiaux qui s’affrontent en duel en tirant des missiles. Seules les universités disposant de ce type de machine peuvent pratiquer le jeu.

Pour notre part, nous partageons le point de vue d’Aarseth. En effet, dès qu’il y a utilisation de composants électroniques permettant de gérer des règles de jeu offrant au final la possibilité de perdre ou gagner, avec une interface entrante permettant l’interactivité au sens informatique du terme et une interface sortante affichant une image électronique, nous sommes selon nous, bien face à un jeu vidéo.

Figure 1 : Noughts and Crosses fonctionnant sur un émulateur EDSAC sous environnement MacOs

Figure 2 : Space War, MIT, 1961, sur mainframe PDP-1 1.3.1.2. Première console de jeu sur télévision

Selon Houste, en 1966, Ralph Baer, de la société américaine Sanders Associates, a l’idée d’un système de jeu qui se connecte à la télévision. Le premier prototype datant de 1967 est un jeu de hockey. En 1972, la console sort sur le marché américain sous le nom d’Odyssey. Elle est vendue avec 6 jeux, des caches transparents à appliquer sur l’écran en guise de décor, des pions et des cartes à jouer. Elle est distribuée par Magnavox. Nous noterons ces précisions de Houste qui dans le cadre de cette thèse nous intéressent en particulier : « D’ailleurs, la publicité faite autour de la machine s’articule souvent sur

son potentiel ludique et éducatif. Magnavox présente non seulement un jeu pour les plus grands mais aussi un outil pédagogique pour les petits. » (p.12)302 Il semble donc que dès

300 Houste F., push START : 30 ans de jeux vidéo, Editions Alternatives, 2006 301 Rosenzweig G., Flash 5, ActionScript pour les jeux, Campus Press, 2001 302 Ibid, Houste

la sortie de cette première console de jeu le besoin d’associer l’apprentissage au jeu soit un aspect important, même si la motivation est d’abord probablement d’ordre marketing.

Figure 3 : Console Odyssey, Magnavox, jeu Ball and Paddle,1972

1.3.1.3. Premières bornes d’arcade

Selon Rosenzweig, la première machine de jeu vidéo payante (borne d’arcade) est conçue par Nolan Bushnell en 1970. Appelé Computer Space, son principe s’inspire de celui de Space War. Cependant, Bushnell ne gagne que 500 dollars avec la vente de ce jeu :

« Computer Space ne fut pas un grand succès. Les concepts et les commandes de ce jeu se

révélèrent en fait trop avancés pour un public qui s’initiait alors à peine aux joies de l’ordinateur. » (p.421)303

Bushnell persévère et fonde la société Atari. En 1972, il diffuse le jeu Pong. Ce dernier, crée selon le journaliste Daniel Ichbiah par Gabor Szakacs, Bob Dickson, Mike Shield et Glen Dash (p.11)304 met en scène deux barres verticales entre lesquelles se déplace un

rectangle blanc. Le tout évoque un jeu de tennis. Le Diberder, Houste, Ichbiah et Rosenzweig, s’accordent tous pour dire que la sortie de cette borne d’arcade correspond au premier succès commercial lié au jeu vidéo. Cette année marque ainsi le véritable lancement du jeu vidéo auprès du grand public. Dès 1973, selon Houste, la société Magnavox intente un procès à Atari car le jeu Pong plagie leur titre Ball and Paddle qui a été breveté en 1968305. (p.16)306

Figure 4 : Pong, Atari, 1972

303 Ibid Rosenzweig

304 Ichbiah D., Kutaragi K., Histoire des jeux vidéo, La poste, 2005 305 Le lecteur peut comparer ces deux jeux avec les figures 3 et 4. 306 Ibid Houste

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