• Aucun résultat trouvé

Deuxième test

Dans le document DU JEU VIDÉO AU SERIOUS GAME (Page 90-93)

Technocity, une étude de cas

2. Technocity : Tests de la version alpha

2.4. Deuxième test

2.4.1. Description des utilisateurs

En Mai 2005, nous organisons un second test, cette fois-ci auprès d’une classe de 3e . Le collège est situé dans la même petite ville résidentielle que le lycée du premier test. Le nombre d’élèves est de 18 (5 filles et 13 garçons). Ils sont âgés de 14 à 16 ans. Ici aussi, les parents de ces élèves semblent appartenir, d’après nos questionnaires, en majorité aux catégories "socio-professionnelles supérieures". Ils possèdent tous un ordinateur familial, et seulement cinq d’entre eux n’ont pas de console de jeux vidéo (2 filles, 3 garçons). Seuls un ou deux élèves ne possèdent pas de téléphone mobile. Leur durée moyenne de jeu durant la semaine en période scolaire est de 2h20 par jour, et de 3h30 par jour durant les vacances et les week-ends.

2.4.2. Modifications apportées à Technocity

Tenant compte des conseils et des retours du test précédent, nous présentons une nouvelle version de Technocity. Ainsi, le jeu des "scooters" est maintenant plus lent, avec des zones sensibles et des indications graphiques grossies. Quant au jeu du "robot", les niveaux sont désormais plus simples, le nombre d’icônes pour la programmation a été réduit de 6 à 4. Enfin, pour accélérer le jeu, la pince qui obligeait le joueur à acheminer jusque dans les réceptacles, une à une toutes les sphères, a été supprimée. Désormais un canon équipe le robot. Il permet une fois la sphère collectée, de l’envoyer à distance dans les réceptacles. Enfin, le nombre maximum de pannes possibles durant un niveau est désormais limité à 3 contre plus de 5 dans la version précédente. À noter enfin, le cinquième jeu dédié à la "Maintenance systèmes" n’est toujours pas implémenté dans cette nouvelle mouture.

2.4.3. Description du protocole des tests

Nous sommes toujours deux concepteurs de Technocity à organiser et encadrer les tests. Un professeur de l’option découverte professionnelle est également présent à nos côtés. Disposant de 10 cédéroms, nous invitons les élèves à se mettre en binôme devant les ordinateurs. Ces derniers sont équipés de carte audio. Nous pouvons donc étudier la réception des séquences vidéo, des musiques et des bruitages cette fois-ci. Tout comme pour le test précédent, nous distribuons le questionnaire papier qui doit être rempli durant la phase de consultation de Technocity, dont la durée est fixée à une heure. Une fois les consignes données, nous nous mettons en retrait pour observer les mêmes items que la fois précédente.

2.4.4. Test des séquences vidéos

Très rapidement, les élèves se lancent sur les jeux. Contre toute attente, deux élèves prétendent rapidement avoir terminé leur jeu et enchaînent déjà avec un autre. En les questionnant, nous comprenons, que dès que la première séquence vidéo s’affiche après la fin d’un niveau, ils pensent avoir terminé le jeu. Nous leur expliquons que le jeu continue une fois la vidéo finie et prenons note de cet événement avant de reprendre nos observations. Peu après, nous constatons que les élèves zappent systématiquement les séquences vidéos pour reprendre le cours du jeu au plus vite. Nous comprenons que nous avons sans doute fait une erreur de conception : le quiz qui se rapporte aux séquences vidéos pour remporter des

gains n’est accessible que lorsque tous les niveaux d’un jeu ont été franchis. Pour les élèves, le lien avec le concours n’apparaît pas clairement. La vidéo est donc perçue comme un simple spot publicitaire. En demandant aux élèves comment résoudre cette problématique, ils nous suggèrent de les obliger à regarder la vidéo en bloquant l’accès au jeu. Jamais, nous n’aurions pensé que des élèves puissent nous soumettre une telle contrainte. Nous avions visiblement oublié le côté "labellisé" de l’école : il semblerait donc que des cédéroms consultés dans un

cadre scolaire puissent a priori contraindre plus fortement les utilisateurs que ceux qui seraient utilisés dans un cadre extrascolaire en situation de loisir.

Cependant le professeur qui encadre les élèves nous fait remarquer qu’imposer une vidéo, ne va pas forcément inciter l’élève à se concentrer sur son contenu. Il suggère plutôt d’afficher une question du quiz pendant la diffusion de chaque vidéo, pour inviter l’élève à se concentrer sur son contenu et identifier ainsi la bonne réponse. Nous retenons cette suggestion et décidons de l’implémenter dans la version bêta de Technocity.

Nous constatons que la durée moyenne d’utilisation d’un jeu se situe à nouveau entre 10 et 15 minutes. Comme un jeu comporte 10 niveaux, un niveau est terminé en moyenne en une minute. Sachant qu’une vidéo est affichée tous les trois niveaux en moyenne, cela nous donne une fréquence d’une vidéo affichée toutes les trois minutes. La durée d’une séquence vidéo étant de trois minutes, nous avons, semble t-il, à ce stade, un équilibre entre le temps pour jouer et le temps pour écouter le message.

2.4.5. Test sonores

Sur le plan musical, les mélodies semblent être appréciées. Même si rapidement, la mise en boucle des morceaux semble lasser certains élèves. D’autres se plaignent parfois du volume trop élevé de certains bruitages qui couvrent les musiques. Quant aux vidéos, leurs commentaires audio sont parfois difficiles à écouter à cause du changement intempestif du volume sonore de certaines voix. Ces remarques mettent en relief à quel point nous avons ici négligé la gestion sonore dans le cadre de notre application.

2.4.6. Test des jeux

Concernant la réception des jeux, le jeu "Électrotechnique - Énergie" (plateformes) est le favori : 14 élèves sur 18 le classent en première position. Puis vient le jeu de "l’Ingénierie mécanique" (scooters) : 3 élèves sur 18. Concernant le jeu de "Bâtiment – Génie

Civil" (route) ne récolte cette fois-ci qu’un seul suffrage : 1 élève sur 18. Le jeu "Electronique

– Informatique" (robot), celui-ci ne recueille donc aucune voix. Est-ce toujours lié à cette notion de déplacements en temps différé ? Cependant, nous notons que les modifications apportées au gameplay ont eu, semble t-il, un impact significatif car 12 collégiens sur 18 ont réussi à atteindre le dernier niveau de ce jeu.

Nous retrouvons durant ces tests, le même phénomène qu’avec les lycéens : certains garçons

ont envie de se comparer aux autres, et cela se traduit ici à nouveau par : être le plus rapide à

terminer tous les niveaux d’un jeu. Cependant, il ne s’agit pas d’un jeu en particulier comme dans le cas les lycéens. En effet, n’importe quel titre ici sert de support à leur compétition improvisée. Quant aux collégiennes, nous constatons un phénomène diamétralement opposé :

au lieu d’entrer en compétition comme les garçons, elles se regroupent pour s’entraider à effectuer les différentes épreuves ludiques. Nous sommes ici dans un cas de figure qu’il nous semble pouvoir rapprocher de ce que décrit le professeur Pierre Parlebas de la Sorbonne concernant "la communication motrice" : « La présence d’autrui bouleverse la motricité :

dans ces situations de comotricité, l’autre devient partie prenante dans l’action de chacun. Il y a apparition d’une dynamique de groupe originale, une dynamique sociomotrice qui donne

un sens nouveau à un lancer de ballon […] Il n’y a plus seulement action, il y a interaction. »

(p.97-98) 169 .

Pour l’utilisation de jeux dans un cadre scolaire, cette interaction sociale semble donc être importante à prendre en compte et à étudier. D’une part, ce phénomène pourrait éventuellement constituer un frein pour la réception des séquences vidéos. En effet dans le contexte de compétition tacite qui s’instaure notamment entre les garçons, les séquences vidéos deviennent certainement des instances incompatibles qui sont probablement synonymes de perte de temps. D’autre part, ce phénomène semble être un atout lorsque la collaboration, l’entraide se met en place. Serge Causse concepteur d’applications EAO à l’ENAC (Ecole Nationale d’Aviation Civile) dédiés à des apprenants de contrôle aérien, a identifié ces phénomènes et tâche de les intégrer dans sa conception. Il nous explique que lorsque ses apprenants ont fini de consulter une leçon multimédia, ces derniers ont un test à passer. Il détaille son approche (Cf. Annexe D_2 : p. 333) :

Serge Causse : « À la fin de cette leçon vous avez un test aléatoire formatif. On s’est adapté à

la population d’élèves, de grands adolescents, en créant ce genre de test. […] À la fin. il y a le compte- rendu qui s’affiche lorsque que l’apprenant a répondu à toutes les questions. Le point le plus important c’est la note et le temps. L’affichage est très gros, c’est fait exprès de telle façon que les élèves qui sont à proximité, voient le score et le temps réalisé par le voisin pour créer une émulation entre eux et ça marche ! Quand l’élève quitte l’application, on lui

propose de rejouer le test pour améliorer ses performances. Et comme il a vu son petit copain faire mieux que lui, automatiquement il rejoue. Et il y a un tri, à chaque fois que l’élève répond faux à une question, elle est représentée à la série suivante de telle façon qu’il apprenne l’objectif élémentaire qu’il n’a pas acquis dans la série précédente. Et on a testé, ils rejouent le test aléatoirement jusqu’à 6 ou 7 fois, même des fois plus… »

Julian Alvarez : « Juste pour avoir la meilleure note ? »

S.C. : « 20 sur 20. Et ils partent que s’ils ont 20 sur 20. Nous on est drôlement contents.

Toutes les questions de la base sont tirées, et ils ont répondu juste systématiquement, et on parachève notre apprentissage comme ça. […] Il sait qu’il n’est pas fliqué et il apprend

encore mieux. Cependant, il y a un mais. Ce sont les jeunes filles. Ce principe est plus adapté aux garçons. Elles ne rentrent pas dans ce jeu-là ; elles sont très sérieuses, pendant qu’elles

jouent la leçon. Elles prennent des notes. Les garçons ne prennent pas de notes. Et quand elles ont fini la leçon, je suis pratiquement sûr, pour l’avoir vérifié, que presque tout est acquis et elles jouent le test parce qu’il faut le faire, et elles ont très vite 20. Et elles ne se valorisent pas vis-à-vis des autres. »

J.A. : « Ca veut dire qu’il y aurait deux approches ? Il y en a une qui serait plus studieuse,

c’est l’approche féminine. L’approche masculine serait plutôt basée sur la compétition, le jeu ? »

S.C. : « C’est tout à fait ça. Et les garçons ne prennent pas de notes. Généralement, ils

finissent la leçon à toute vitesse. « Je mets tout dans la tête. Je suis le meilleur. » Et quand ils

font le test et qu’ils voient qu’ils n’ont que 5 sur 20, alors ils rejouent le test jusqu’à qu’ils réussissent. C’est comme vous dites, il y a deux approches. »

J.A. : « Il n’y a que les garçons qui font ça ? »

S.C. : « Il y a quelques filles mais elles sont rares… »

J.A. : « Avec Technocity, j’ai remarqué que les filles s’entraidaient, elles avaient l’air plus

complices… »

S.C. : « Oui, elles sont à l’écoute de l’autre. »

J.A. : « Oui, vous le retrouvez ici ? »

S.C. : « Oui, oui dans les exercices de simulation. »

J.A. : « Donc finalement l’aspect ludique ne semblerait pas plaire aux filles ? »

S.C. : « Si, si, c’est l’aspect compétition qui ne leur plait pas. Sinon la présentation ludique

avec des personnages et quelques animations elles aiment bien. »

L’approche de Causse semble donc exploiter la métacommunication mise s’instaure ici entre ses apprenants. Il est également intéressant de noter que cette approche tient également compte du genre.

Cela nous renvoie, selon nous, à des interrogations importantes. Si le serious game est basé sur le jeu et que les filles n’ont pas la même approche du jeu que les garçons, cela sous-tend que nous devons conduire des travaux de recherche pour étudier la question. Nous avons commencé à faire des expériences pédagogiques en ce sens, mais, la question s’avère complexe. Ainsi par exemple, Richard Bartle170, qui enseigne le game design à l’Université d’Essex en Angleterre, a co-écrit, en 1978, l’un des premiers MUDs (multi-user dungeon), un jeu de rôle se pratiquant via Internet, et gérant plusieurs joueurs simultanément. Bartle a identifié à travers les MUDs quatre profils type de joueurs : Achievers, Explorers, Socialisers,

Killers. Les premiers joueraient pour gagner, les seconds pour explorer les lieux, l’univers que propose le jeu, les troisièmes chercheraient le contact des autres joueurs, les derniers enfin, chercheraient plutôt à détruire les adversaires (p.755 à 785). Ce panel nous invite ainsi à rester prudent sur l’attribution d’une approche collaborative ou de compétition en fonction du sexe de l’utilisateur. Les profils décrits par Bartle pouvant très certainement se retrouver pour les deux sexes.

Ainsi, pour l’instant, en ce qui nous concerne, il est pour nous, trop prématuré, d’explorer davantage cette question dans le cadre de cette thèse. Nous constatons donc, à ce stade, que dans le cadre de nos deux tests, autant pour les lycéens que pour les collégiens, la compétition et la performance individuelle semblent être des aspects importants. Pour les collégiennes, nous serions peut-être plus dans une approche collaborative. Les garçons sembleraient plus enclins à aimer la compétition. Quoi qu’il en soit, ces réflexions et observations semblent mettre en relief l’importance d’incorporer à la fois, des approches de collaboration et de compétition dans la conception des serious games,

Dans le document DU JEU VIDÉO AU SERIOUS GAME (Page 90-93)