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PARTIE II : DIVERSITE GENETIQUE DE L’ABEILLE D’ELEVAGE EN FRANCE

CHAPITRE 2 : METHODES D’EVALUATION DE LA DIVERSITE GENETIQUE

A. Préambule

a. Les sous-espèces

Afin de caractériser la diversité des populations d’abeilles françaises en vue d’opérer, le cas échéant, une conservation et une sélection, la première étape fondamentale est d’être capable de reconnaître les sous-espèces (Zayed, 2009) ainsi que, dans une certaine mesure, les hybridations entre les différentes sous-espèces. On peut définir une sous-espèce comme un ensemble d'individus partageant certains caractères et ayant une histoire évolutive commune à une échelle plus faible que celle de l'espèce (Lherminer et Solignac, 2000). Cette caractérisation peut paraitre triviale à réaliser dans l’espèce bovine ou canine, mais ce n’est pas le cas pour Apis mellifera. En effet, les éléments morphologiques discriminants qui permettent de faire une différenciation sont visibles à l’œil nu sur une espèce de grande taille, mais nécessitent parfois une loupe binoculaire voire un microscope pour une espèce de petite taille telle qu’Apis mellifera. Notons qu’il est plus adéquat de parler de sous-espèce que de race chez l’abeille car la notion de race inclut généralement la sélection par l’homme, ce qui n’est pas toujours le cas pour Apis mellifera. Néanmoins, nous emploierons régulièrement le terme de « race » par commodité de langage.

b. Les écotypes

Il nous faut également prendre le soin de définir un terme fréquemment rencontré qui est celui d’écotype. Un écotype est un groupe d'individus appartenant à une même espèce qui présente des caractéristiques particulières découlant d'une adaptation progressive à un milieu. Un écotype est donc différent d’une sous-espèce puisque les individus qui forment un écotype sont inclus dans une sous-espèce alors que l’inverse est faux. Les caractéristiques propres à un

B. Analyses morphométriques

a. Morphométrie standard

Les premières tentatives de classification des races abeilles étaient toutes basées sur la coloration de l’exosquelette (Tomassone et Fresnaye, 1971) et notamment sur la détermination de la présence et de l’importance de tâches jaunes sur les premiers tergites de l’abdomen. Dès 1975, Cornuet (Cornuet et al., 1975) a cherché à classer des populations d’abeilles à partir de l’analyse statistique multivariée (Tomassone et Fresnaye, 1971) de mesures biométriques, c’est-à-dire à partir de mesures morphologiques réalisées précisément sur les abeilles. Les premiers caractères mesurés étaient par exemple la coloration (largeur de la bande jaune sur le 2ème tergite), la pilosité, la taille du corps, la longueur de la langue ou de certaines parties du corps de l’abeille, ou encore l’index cubital qui est un rapport de plusieurs mesures réalisées sur les cellules délimitées par les nervures des ailes.

Ruttner et al., (1978) définirent ensuite 42 caractères biométriques pour classifier des sous- espèces venant de zones géographiques très éloignées. À partir de ces caractères, 26 races ou sous-espèces regroupées en 4 lignées évolutives ont pu être initialement distinguées (Ruttner et al., 1978 ; Ruttner, 1988). Ces lignées sont les suivantes :

- la lignée M (races de l'Europe de l’Ouest) - la lignée A (races africaines)

- la lignée C (races d’Europe centrale et de l’Est) - la lignée O (races de Turquie et du Caucase).

a b

Figure 24 : a. Mesure de la coloration b. L’indice cubital (source : P. Camus [en ligne]. Disponible sur : http://pcamus.be/api/cours/races.pdf (consulté le 27/08/2016))

Elles ont été reprises dans de nombreux travaux et, à un détail près, font encore foi aujourd’hui. Nous les verrons plus en détail dans le chapitre 3. De manière générale, la contribution de l’autrichien Friedrich Ruttner à l’étude des sous-espèces d’Apis mellifera fut très importante. Tant et si bien que son nom fut donné à une sous-espèce récemment découverte. En effet, l’abeille de l’île de Malte a été nommé Apis mellifera ruttneri en son honneur (Sheppard et al., 1997). Cette méthode, appelée morphométrie « standard » est encore d’actualité de nos jours et continue d’être une méthode de référence (Ruttner et al., 2000 ; Radloff et Hepburn, 2000 ; Diniz-Filho et al., 2000 ; Adl et al., 2007 ; Francoy et al., 2008). Elle suffit amplement pour distinguer une race pure comme par exemple une abeille noire. Il convient toutefois d’utiliser plusieurs critères à la fois car se fier à un seul est une importante source d’erreur.

b. Morphométrie géométrique

Plusieurs méthodes morphométriques peuvent être distinguées. Nous venons de voir la méthode « standard » qui correspond à une analyse de distances, d’angles et de rapports. Désormais, il existe une nouvelle méthode, plus précise, qui consiste à utiliser des points caractéristiques de l’aile antérieure, repérés par des coordonnées cartésiennes, ce qui permet d’établir un profil mathématique. Il suffit alors de comparer le résultat obtenu à une base de données de référence pour faire l’identification. On parle de morphométrie « géométrique » (Bookstein, 1997). Des logiciels sont disponibles gratuitement en ligne, notamment à l’adresse suivante :

http://life.bio.sunysb.edu/morph/. Il existe également le logiciel ApiClass (Baylac et al., 2008).

Dans le même ordre d’idée, des logiciels payants sont développés, notamment ABIS (Automatic Bee Identification System) qui, à partir d’une simple numérisation de l’aile antérieure, établit le genre, l’espèce et la race (Schröder et al., 1995 ; Arbuckle et al., 2001) avec une efficacité allant de 94% (Drauschke et al., 2007) à 98% (Francoy et al., 2008). L’erreur la plus courante avec ce logiciel est de confondre une abeille A. m. ligustica avec une A. m. carnica, et vice-versa (Francoy et al., 2008).

De nos jours, malgré le développement des techniques de biologie moléculaire, les méthodes morphométriques ne faiblissent pas et continuent d’être utilisées, parfois seules mais souvent en complément des méthodes moléculaires. Cette résistance des méthodes morphométriques peut s’expliquer notamment par la démocratisation du numérique. A titre d’exemple, Garnery (Garnery, 2004) réalise, dans le cadre d’une grosse étude de biodiversité de l’abeille française dont il sera question dans le chapitre 3, une analyse morphométrique par le biais de la numérisation des ailes, suivie de la localisation de 19 points repères.

C. Analyses moléculaires

Avec l’avènement de la génétique moléculaire et notamment de la PCR, de nouvelles méthodes sont apparues pour identifier les races d’abeilles. Elles ne s’intéressent plus au phénotype des abeilles mais au génotype. Certaines utilisent les marqueurs microsatellites, d’autres les SNP ou encore l’ADN mitochondrial dont nous avons vu les propriétés dans le chapitre précédent.

a. Utilisation de l’ADNmt

Parmi les études utilisant des méthodes moléculaires en vue de discriminer des sous-espèces d’Apis mellifera, celles portant sur l’analyse de l’ADN mitochondrial (Smith et Brown, 1988 ; Garnery et al., 1992 ; Garnery et al., 1993 ; Arias et Sheppard, 1996) ont d’abord mis en évidence 3 des 4 lignées définies par Ruttner (lignée M, lignée A et lignée C). Dans les premières études, l’utilisation de l’ADNmt ne permettait pas de distinguer les lignées C des lignées O, c’est pourquoi ces 2 lignées étaient parfois regroupées au sein de la lignée C (Arias et Sheppard, 1996), la lignée O devenant alors une sous-lignée. En ce qui concerne la région intergénique COI-COII dont il a été question au chapitre 1 D. (p 122), les abeilles de la lignée C possèdent une simple sous-unité Q tandis que les abeilles de la lignée M présentent l’une des 3 combinaisons suivantes : PQ, PQQ ou PQQQ et celles de la lignée A l’une des 3 suivantes : PoQ, PoQQ, PoQQQ (Garnery et al., 1992). C’est grâce à ce polymorphisme de longueur (Hall et Smith, 1991) que l’on a pu montrer que l’abeille africaine avait largement remplacé les abeilles européennes introduites plus tôt dans les régions tropicales d’Amérique latine (Sheppard et al., 1991). Nous y reviendrons plus en détail dans le chapitre suivant. C’est également l’étude de cette région qui a permis, avec un échantillonnage spécialement choisi pour répondre à la question, de montrer que la lignée O était bien une lignée à part entière (Franck et al., 2000). C’est toujours grâce à l’analyse de cette région du génome mitochondrial, chez 738 colonies issues de 64 localités africaines, que Franck et al., ont découvert en 2001 une cinquième lignée d’abeille, appelée Y et correspondant aux abeilles du Nord-Est de l’Afrique, et notamment de l’Ethiopie (Franck et al., 2001). Cette lignée contient en particulier l’abeille

Arias et Sheppard (1996) se sont eux intéressés à une autre région de l’ADN mitochondrial. Il s’agit de celle qui contient le gène de la sous-unité 2 de la NADH déshydrogénase ainsi que le gène codant pour l’ARNt de l’isoleucine. Meixner, quant à lui, a étudié le polymorphisme de digestion de l’ADNmt par les enzymes de restriction Accl, Bc/l, Bg/II, EcoRI et Xbal chez des abeilles de races A. m. carnica et A. m. ligustica (Meixner et al., 1993).

b. Utilisation des marqueurs microsatellites

Les marqueurs microsatellites sont des marqueurs moléculaires caractérisés par la répétition en tandem d’un motif de nucléotides, généralement court (entre 1 et 5 nucléotides ; Estoup et al., 1995), par exemple le motif CT. Le nombre de répétitions, qui peut aller jusqu’à 100 (Estoup et al., 1995) est variable d’un individu à l’autre et surtout d’une lignée ou sous-espèce à une autre. C’est ce qui constitue son intérêt. La différence entre 2 allèles réside donc dans la taille. En outre, ils sont neutres et co-dominants (Bertrand, 2013). Chez A. mellifera, les microsatellites sont abondants (plus de 500) et présentent une diversité élevée (Estoup et al., 1994). En moyenne pour Apis mellifera, il existe un microsatellite (CT)n et (GT)n tous les 15 kb et 34 kb, respectivement. De la même manière que pour l’ADNmt, l’analyse de microsatellites permet d’assigner une abeille à une sous-espèce et de retomber sur les lignées définies par Ruttner à partir de la morphométrie (Estoup et al., 1995). Les microsatellites sont également tout à fait adaptés au recensement du nombre de lignées paternelles au sein d’une colonie (Estoup et al., 1994). La même étude a d’ailleurs découvert grâce à ces marqueurs qu’il existait une asymétrie importante entre les lignées paternelles des larves à naître et celles des ouvrières préparant un essaimage, mettant ainsi en exergue une plus grande propension à essaimer chez certaines lignées paternelles (Estoup et al., 1994).

L’étude de 6 microsatellites (Miguel et al., 2010) a, en outre, permis de montrer qu’Apis mellifera iberiensis, l’abeille espagnole, était très proche d’Apis mellifera mellifera et que les deux étaient assez éloignées des abeilles africaines, ce qui contredit l’hypothèse de Ruttner (Ruttner et al., 1978) consistant à dire que l’abeille espagnole était issue d’une différenciation progressive de l’abeille nord-africaine Apis mellifera intermissa.

Lorsque l’on compare la variabilité génétique pour un panel de 6 microsatellites entre des abeilles Africaines de la lignée A (issues du Maroc, de Guinée, du Malawi et d’Afrique du Sud) et des abeilles européennes (lignées M et C), il s’avère que la variabilité est plus élevée chez les abeilles africaines, quel que soit le locus choisi (Franck et al., 2001). Ce résultat suggère que

les populations d’abeilles africaines ont des effectifs génétiques plus importants que les populations européennes (Estoup et al., 1995 ; Franck et al., 2001).

c. Utilisation des marqueurs SNP

Le premier séquençage complet de l’abeille en 2006 (Weinstock et al., 2006) a permis d’identifier de nombreux marqueurs SNP (pour Single Nucleotide Polymorphism). Les SNP sont des séquences polymorphes d’un nucléotide. Jusqu’à une date récente, il était couramment admis que l’espèce Apis mellifera provenait d’une séparation avec Apis cerana, ce qui signifiait donc qu’elle était originaire d’Asie centrale et de l’ouest puis qu’elle s’était étendue vers l’Europe (Ruttner, 1988 ; Sheppard et Meixner, 2003). Dans une étude de 2006 (Whitfield et al. 2006), 1136 SNP ont été analysés pour typer 328 échantillons d’abeilles issus de 14 sous- espèces différentes. Ce typage a révélé 4 groupes de sous-espèces analogues aux 4 lignées évolutives M, A, C et O définies par Ruttner à partir d’analyses morphométriques. Malgré leur proximité géographique, les abeilles de la lignée M sont éloignées de celles de la lignée C et plus proches de la lignée A. Mais surtout, grâce à des calculs de distance basés sur la comparaison des profils de SNP avec ceux observés chez des espèces proches (A. dorsata, A. cerana et A. florea), ils ont découvert que le génotype le plus ancestral appartenait à une abeille africaine et non asiatique ! Ils en ont conclu qu’il avait dû y avoir plusieurs épisodes d’expansion, ayant conduit successivement au rameau M puis aux rameaux C et O, alors que jusqu’alors il était considéré que les rameaux M et O provenaient d’une même migration.

D. Comparaison des différentes méthodes