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PARTIE II : DIVERSITE GENETIQUE DE L’ABEILLE D’ELEVAGE EN FRANCE

CHAPITRE 4 : ETAT DES LIEUX DE LA SELECTION APICOLE EN France

C. Limites et perspectives

a. La maîtrise de l’accouplement

En raison de sa biologie et de son mode de reproduction, l’abeille constitue un animal plus difficile à élever et sélectionner que les espèces de rente habituelles (Pérez-Sato et al., 2009). En particulier, la maîtrise de l’accouplement est un frein considérable. Pour pallier à cela, l’une des pistes explorée est l’insémination artificielle. L’abeille étant l’un des rares insectes pour lequel elle a été développée (Laidlaw et Page, 1997 ; Baer et Schmid-Hempel, 2005). Elle présente des applications potentielles en recherche mais également en apiculture car elle permet de contrôler totalement l’accouplement et donc la génétique de la colonie. Cet intérêt est d’autant plus grand que, contrairement à des idées reçues, elle n’est pas délétère pour les performances de ponte de la reine. En effet, une reine inséminée a les mêmes performances qu’une reine naturellement fécondée (Cobey, 2007). Néanmoins, son caractère technique fait qu’elle ne s’est pas encore démocratisée au sein de la filière apicole (Bigio et al., 2014). Pour davantage de précisions, sur la technique notamment, un article de synthèse exhaustif existe à ce sujet (Cobey et al., 2013).

b. Des critères de sélection divergents

Comme nous l’avons vu à maintes reprises, la filière apicole est particulièrement hétérogène. La mise en place d’une sélection en apiculture aboutira donc nécessairement à la création de plusieurs profils d’abeilles. Car les caractéristiques que recherchent les apiculteurs dépendent de leur type d’activité. Par exemple, un apiculteur dont le revenu est assuré par la vente de reines recherchera, quelle que soit la race choisie, une forte fécondité et une abeille qui élève un couvain massif le plus longtemps possible au cours de l’année. A l’inverse, un apiculteur professionnel qui vit de la vente de miel cherchera une abeille qui maximise la production de miel avec le minimum d’abeilles. Car élever beaucoup de couvain engendre une forte consommation de miel. Un apiculteur amateur cherchera lui une abeille rustique qui possède une bonne longévité là où un professionnel ne verra aucun inconvénient à remplacer ses reines tous les ans ou tous les 2 ans si cela lui permet de produire davantage. De manière générale, les caractères liés au rendement seront plébiscités par les professionnels de la filière tandis que les amateurs chercheront davantage la facilité d’élevage. Ces spécificités rendent compte une fois de plus de la nécessité de préserver toutes les races et tous les écotypes d’abeilles pour que chaque apiculteur trouve l’abeille qui correspond à ses objectifs.

c. L’absence de contrôle de performance

Que l’on souhaite mettre en place une sélection sur performances et généalogies avec calcul d’index, une sélection assistée par marqueurs ou une sélection génomique, il existe un prérequis impérieux qui est l’obtention rigoureuse, dans des conditions maîtrisées et standardisées, de données de contrôles de performances. Or, il s’agit là d’un des principaux facteurs limitant pour le développement de la sélection en apiculture. En effet, malgré les initiatives telles que la mise en place d’une station de testage et de contrôle de performances par l’ITSAP, l’acquisition de données reste balbutiante à ce jour et son intérêt globalement méconnu par les apiculteurs. Assez récemment, une source éventuelle de progrès a vu le jour avec la mise au point d’une évaluation génétique basée sur la méthodologie « BLUP – modèle animal » adaptée pour tenir compte des particularités de la génétique et de la reproduction de l’abeille (Bienefeld et al., 2007, 2008). Ce modèle estime des valeurs pour les effets « reine » et « ouvrières » et prend en compte les effets dus à l’environnement. Il est pour l’instant destiné aux races italienne, noire, carniolienne et sicilienne. Sa création a donné lieu à la naissance d’une base de données centralisée, située en Allemagne, et disponible à l’adresse suivante : http://www.beebreed.eu. Mais l’intérêt de cette évaluation génétique est nul tant qu’il n’existe pas un socle solide de données de contrôle de performance à valoriser. La mise en place d’un tel contrôle reste donc actuellement l’un des points sur lequel il reste le plus de travail à réaliser.

d. La sélection de la résistance au Varroa

Comme nous l’avons vu dans la première partie, les infestations par l’acarien Varroa destructor sont une cause majeure du déclin des colonies d’abeilles dans le monde et particulièrement en Europe, que cela soit pour les colonies d’abeilles sauvages ou domestiques (Rosenkranz et al., 2010). Ce dernier cause des dommages directs, par son action de parasite, et indirects, en favorisant notamment le développement de virus (Sumpter et Martin, 2004). Avant l’émergence et l’extension d’un clone de l’acarien en Europe (Solignac et al., 2005), les programmes de sélection faisaient surtout la part belle aux caractères de production et de comportement, tandis

Il se trouve que la sélection naturelle, dont font l’objet les colonies d’abeilles sauvages et certaines colonies domestiques, a fait émerger des caractères de résistance à ce parasite (Büchler et al., 2010). Naturellement, la recherche s’est intéressée à ce phénomène et, depuis les années 1980, il continue de recevoir une attention particulière. On définit la résistance au varroa comme l’aptitude pour une colonie à survivre sans traitements thérapeutiques. On parle de colonie VSB (pour Varroa Surviving Bee). Les premières colonies de ce type ont été découvertes en 1994 dans la Sarthe (Büchler et al., 2010). Des colonies issues de ces premières souches ont été observées sur des années et sans intervention chimique. Elles se sont ainsi reproduites de manière naturelle par essaimage et élevage d’une nouvelle reine. En moyenne, elles sont parvenues à survivre près de 8 ans, certaines allant jusqu’à 15 ans (Le Conte et al., 2007). Le nombre de parasites collectés était trois fois inférieur dans les colonies VSB par rapport aux colonies « témoins» qui recevaient un traitement, ce qui montre que les colonies VSB résistent au varroa par l’aptitude à inhiber la croissance de sa population (Le Conte et al., 2007). Trois QTL liés à cette caractéristique ont été découverts (Behrens et al., 2011). Cette aptitude s’accompagne d’autres attributs. Les colonies VSB sont d’une part plus aptes à reconnaître l’acarien que des colonies standards (Martin et al., 2002). D’autre part, elles présentent un comportement hygiénique supérieur avec notamment une meilleure capacité à extraire des cellules les pupes infestées par le parasite (Spivak et Reuter, 2001). Ce comportement est associé significativement avec la présence de 6 marqueurs SNP dans le génome (Spötter et al., 2016). Le comportement de nettoyage entre abeilles, ou épouillage, est également prépondérant pour se débarrasser des varroas fixés (Boecking et Spivak, 1999 ; Arechavaleta-Velasco et al., 2012). Mais ce caractère est par contre peu héritable (< 0,15 ; Ehrhardt et al., 2007). L’analyse de l’expression génétique chez les colonies VSB montre une surexpression des gènes liés à la réponse aux stimuli olfactifs (Navajas et al., 2008) ce qui dénote une réponse comportementale différente. De plus, les colonies VSB sont particulièrement essaimeuses, ce pourrait constituer un obstacle pour le développement du varroa (Fries et al., 2003). Comme nous l’avons déjà vu, les caractères liés à la résistance au varroa, hormis le nettoyage, ont une héritabilité assez élevée (Harbo et Harris, 1999 ; Harbo et Harris, 2005), ce qui permet d’envisager de les sélectionner. L’obtention de colonies résistantes s’est faite via un processus appelé Bond test (Kefuss et al., 2009) car le principe était le suivant : « vivre et laisser mourir » ! Il s’agissait simplement de laisser une pression de sélection s’appliquer en ne réalisant aucun traitement. Cette approche s’est révélée efficace, par exemple en France (Kefuss et al., 2004) ou encore en Suède (Fries et al., 2006). Par ailleurs, l’abeille syrienne Apis mellifera syriaca est particulièrement résistante

au varroa (Kence et al., 2013) et de nombreux gènes responsables ont été récemment identifiés (Haddad et al., 2015).

Désormais, la résistance au varroa est un critère de sélection pertinent, régulièrement inclus dans les programmes de sélection sur l’abeille qui sont en cours en Europe (Büchler et al., 2010). Mais ces programmes de sélection sont nombreux, non coordonnés et souvent l’œuvre d’associations d’apiculteurs. Nous pouvons citer le programme Carnica AGT, l’élevage d’abeilles croisées Buckfast-Primorsky, l’élevage Buckfast-Brandenburg, l’abeille Elgon ou encore les travaux de sélection de John Kefuss. Une fondation appelée Arista Bee Research a vu le jour il y a quelques années en vue de coordonner tous ces travaux. Il semble tout de même que ces derniers portent leurs fruits, car des colonies issues de ces programmes survivent significativement plus longtemps que des colonies non sélectionnées sur ce caractère (Büchler et al., 2002). La sélection de la résistance au varroa est aussi un sujet majeur aux Etats-Unis (Rinderer et al., 2010) où des colonies naturellement résistantes ont également été découvertes (Seeley, 2007) et où elles sont plébiscitées (Kim et Gillespie, 2010 ; De Guzman et al., 2007). Il convient toutefois de noter que les mécanismes de résistance, notamment moléculaire et génétique, sont encore assez flous à ce stade. Mais de nouvelles découvertes sont régulièrement révélées (Danka et al., 2013).

Ainsi se termine cette seconde partie où il fut question dans un premier temps des particularités génétiques de l’abeille, puis des sous-espèces d’Apis mellifera, des moyens de les reconnaitre, de leurs caractéristiques et de leur répartition géographique, et enfin de la sélection en apiculture. Dans la troisième et dernière partie, qui est le fruit d’un travail expérimental réalisée à l’INRA d’Auzeville (UMR GENPHYSE), nous allons nous intéresser plus en détail à l’une des particularités génétiques de l’abeille qui est la détermination du sexe avec l’implication du locus csd.