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PARTIE II : DIVERSITE GENETIQUE DE L’ABEILLE D’ELEVAGE EN FRANCE

CHAPITRE 4 : ETAT DES LIEUX DE LA SELECTION APICOLE EN France

A. De l’intérêt de la sélection en apiculture

a. Pistes de réflexions pour la mise en place d’une sélection

Comme nous l’avons vu, un prérequis à toute opération de sélection en apiculture est d’être capable de reconnaître les sous-espèces, ce qui n’est pas une sinécure. Nous avons vu les moyens disponibles pour y parvenir. Il s’agira ensuite de prélever et de sauvegarder des souches raciales pures et stables qui seront la base à partir de laquelle pourront être réalisés des travaux de sélection. Ce processus est déjà largement entamé pour l’abeille noire A. m. mellifera (voir chapitre B.c.). Il conviendra cependant de conserver la plus grande diversité possible, au-delà des abeilles sauvages, pour puiser sans cesse de quoi améliorer l’abeille d’élevage, éventuellement à travers des croisements raciaux maîtrisés pour bénéficier de l’effet d’hétérosis (Roberts, 1961 ; Cornuet, 1982). Comme nous le verrons plus bas (voir chapitre C.a.), la maîtrise de l’accouplement est une contrainte difficile à gérer en apiculture. Les apiculteurs amateurs sont bien souvent contraints et forcés de subir les essaimages de leurs colonies et de laisser faire la nature quant au vol de fécondation des reines vierges. Cela donne la possibilité à de nombreux mâles sauvages à la génétique inconnue de transmettre leur patrimoine. Néanmoins, l’insémination artificielle des reines est possible (Laidlaw, 1987). En conséquence, on peut tout à fait imaginer que la filière apicole se structure, à terme, à la manière des filières aviaires et porcines. Avec en haut de la pyramide des sélectionneurs qui pilotent exclusivement la génétique, puis des multiplicateurs chargés de la production des reines, et, à la base de la pyramide, les apiculteurs producteurs de miel. La fourniture régulière des apiculteurs en reines fécondées permettrait de s’affranchir du problème de maîtrise de l’accouplement. Car une fois fécondées, les reines deviennent « imperméables » à la présence de mâles sauvages. En cas d’essaimage, il suffirait alors à l’apiculteur d’introduire une reine fécondée du commerce. Avant d’aborder en détail la sélection en apiculture, il convient de rappeler l’une des caractéristiques majeures de la filière apicole qui est son hétérogénéité. Aussi, contrairement à d’autres filières telle que les filières bovine ou porcine, les travaux de sélection ne font en aucun cas l’objet d’une structuration centralisée. Les choses ont tendance à changer actuellement, sous l’impulsion de l’ITSAP (voir chapitre B. d.) notamment. Voyons maintenant quels peuvent être les critères de sélection en apiculture.

b. Héritabilités des caractères chez l’abeille

Imaginons que l’on demande à un apiculteur de définir l’abeille idéale et les critères qu’il faudrait par conséquent sélectionner. Il réclamerait probablement une abeille qui travaille avec assiduité pour une bonne production, qui essaime peu, qui n’est pas agressive, qui est propre, résiste aux maladies et qui présente une fécondité élevée avec une bonne longévité. Il n’oublierait probablement pas non plus de demander qu’elle soit adaptée à sa situation géographique, qu’il s’agisse du climat ou des espèces florales. Et, en réfléchissant encore, il réclamerait sûrement des caractères plus secondaires dont l’intérêt dépend du type d’apiculteurs : faculté à récolter du pollen, faible ou forte utilisation de la propolis, capacité de se défendre (par exemple contre le frelon), capacité à économiser les réserves de miel, etc. Malheureusement, une telle abeille n’existe pas et n’existera peut-être jamais car il est probable qu’à la manière de ce que l’on observe chez d’autres espèces de rente, des antagonismes existent entre certains caractères. Cependant, aucune étude d’envergure ne l’a encore démontré. Pour pouvoir espérer améliorer efficacement un caractère, il faut que celui-ci soit héritable (Visscher et al., 2008). En génétique, on définit une performance P comme la somme d’un effet génétique G (lui-même décomposé en A, valeur génétique additive (somme des effets moyens des gènes), et D, valeur génétique de dominance, due à l’interaction entre gènes présents aux même loci) et d’un effet environnemental E. L’héritabilité, notée h², est la part de variation des performances mesurées P qui est due aux variations des valeurs de génétique additives A entre les individus d’une population. Autrement dit, un caractère héritable est un caractère dont la variabilité dépend suffisamment des gènes pour qu’on puisse espérer l’améliorer par sélection. Chez l’abeille, en raison du mode d’organisation de la société, la performance pour la plupart des caractères économiques résulte de la somme d’une contribution de la reine et d’une contribution moyenne des ouvrières (Bienefeld et Pirchner, 1990). Et l’héritabilité de ces caractères est différente pour les 2 castes. Par conséquent, sauf si la différence entre les 2 est trop importante, nous donnerons essentiellement un ordre de grandeur, pour lequel la précision de l’estimation n’est d’ailleurs jamais précisée. Il faut toutefois noter que des corrélations

Les caractères morphologiques sont globalement très héritables (Poklukar et Kezic, 1994). Par exemple, la longueur des ailes a une héritabilité h2 de 0,66, la largeur des ailes 0,85, l’index cubital 0,79 et la longueur de la langue 0,85. Mais ces caractères sont peu intéressants pour l’apiculteur. Le caractère « production de miel » a une héritabilité assez variable selon les études. Certains auteurs ont montré qu’elle était située entre 0,2 et 0,3 seulement (Bienefeld et Pirchner, 1990) tandis que d’autres donnent une valeur de 0,76 (Jevtic et al., 2012) . Finalement, Rinderer et al. (Rinderer 2013) la situe entre 0,23 et 0,75, ce qui, dans tous les cas, rend l’amélioration de ce caractère par sélection possible. Pour la production de cire, elle est proche de 0,4. Etant donné qu’il ne s’agit pas réellement, pour le miel, d’une production mais davantage d’une récolte, il est logique que ce caractère soit très dépendant de l’environnement, incluant les pratiques de l’apiculteur. En ce qui concerne les caractères liés à la résistance aux maladies et notamment au varroa, ils présentent des héritabilités relativement élevées (Harbo et Harris, 1999), ce qui a ouvert des perspectives quant à leur sélection (voir chapitre C. d.). Ainsi, l’héritabilité de la durée de la période operculée est de 0,89, tandis que celle du caractère qui permet à l’abeille de contenir la reproduction de l’acarien (SMR pour Suppressed mite reproduction ; Harbo et Harris, 2005) est de 0,46. Par ailleurs, le caractère « comportement hygiénique », intimement lié à la capacité de résistance au varroa, est lui aussi très héritable (0,65 ; Harbo et Harris, 1999), et donc potentiellement sélectionnable. Le comportement hygiénique des abeilles consiste en la détection et le rejet hors de la ruche des animaux morts ou du couvain malade (Bigio et al., 2014). Il s’agit d’un caractère gouverné en partie par 7 QTLs dont chacun contrôle entre 9 et 15% de la variance phénotypique (Lapidge et al., 2002). Il est très important car il constitue le premier moyen de défense contre les maladies et parasites : c’est une forme d’immunité sociale (Schöning et al., 2012). Dans le cadre d’un accouplement multiple de la reine, une partie seulement des mâles sont issus de ruches « hygiéniques ». Cela ne pose pas de problème en soi car il suffit qu’une fraction des ouvrières aient ce comportement pour qu’il soit efficace (Arathi et al., 2000). Une étude a montré que le niveau d’hygiène d’une colonie dont la reine est fécondée naturellement par des mâles environnants est très proche de celui d’une colonie dont la reine a été fécondé de manière artificielle avec des mâles issus uniquement de ruches hygiéniques … à la condition toutefois que la reine soit issue d’une colonie « hygiénique » (Bigio et al., 2014). Par conséquent, le maintien de ce caractère n’est pas absolument dépendant d’une insémination artificielle de la reine. Ceci pourrait permettre aux apiculteurs de bénéficier de ce caractère, même dans le cadre d’accouplements non maîtrisés.

En ce qui concerne les traits de comportement, ils sont plutôt héritables eux aussi. L’agressivité a une héritabilité de 0,4 tandis que celle du caractère « calme à l’ouverture de la ruche » varie beaucoup entre la reine et les ouvrières (0,58 contre 0,91) (Bienefeld et Pirchner, 1990). Enfin, l’héritabilité du comportement de défense est située entre 0,3 et 0,6 (Moritz et al., 1987) et celle de l’aptitude à se développer au printemps est entre 0,5 et 0,8. Finalement, à bien des égards, la professionnalisation de la filière et la maîtrise de la génétique sont déjà en cours. Intéressons- nous aux acteurs principaux de ce processus.

B. Principaux acteurs de la sélection en France