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PARTIE II : DIVERSITE GENETIQUE DE L’ABEILLE D’ELEVAGE EN FRANCE

CHAPITRE 1 PARTICULARITES GENETIQUES CHEZ L’ABEILLE

A. Un génome entièrement séquencé

C’est en 2006 que, pour la première fois, le génome entier de l’abeille a été séquencé et assemblé (Weinstock et al., 2006) devenant alors le cinquième génome d’insecte entièrement connu après, entre autres, la mouche du vinaigre (Drosophila melanogaster), le moustique anophèle (Anopheles gambiae) ou encore le ver à soie (Bombyx mori). Par contre, il s’agissait du premier génome complet d’un hyménoptère. Pour compléter ce génome de référence, 14 millions de lectures ont été nécessaires. En 2014, une version actualisée a été publiée (Elsik et al., 2014). Désormais, il existe plus de 60 espèces d’insectes dont le génome est séquencé, parmi lesquelles une dizaine d’hyménoptères. Outre le développement des nouvelles technologies de séquençage (Koboldt et al., 2013), cette « explosion » du nombre de génomes assemblés disponibles est due au lancement, en 2011, d’une collaboration internationale appelée i5K (pour Insect and other Arthropod Genome Sequencing Initiative ; (Evans et al., 2013) visant à séquencer le génome de plus de 5000 insectes.

Le génome d’Apis mellifera contient 236 millions de paires de base structurées en 16 chromosomes. Initialement, 10 157 gènes avaient été identifiés. On en recense à ce jour 15 314. Ce génome présente quelques spécificités :

- la majeure partie des familles de transposons sont absentes ;

- des similarités existent avec le génome des vertébrés en ce qui concerne les gènes impliqués dans les rythmes circadiens ;

- de nombreux gènes impliqués dans l’utilisation du nectar et du pollen, ce qui est en lien avec le mode de vie de l’abeille ;

- de nombreux microARN (miRNAs) montrant une expression différenciée en fonction de la caste ;

B. Déterminisme sexuel

Les abeilles possèdent certes 16 chromosomes différents, mais le nombre total de chromosomes par cellule est variable selon le sexe (16 pour les mâles, 32 pour les femelles). En effet, comme il en sera très largement question dans la partie 3, c’est un système de détermination sexuelle appelé haplodiploïdie qui est à l’œuvre chez les hyménoptères (Cook, 1993 ; Heimpel et de Boer, 2008). Ainsi, les œufs fécondés deviennent majoritairement des femelles diploïdes (16 paires de chromosomes) tandis que ceux qui ne le sont pas naissent mâles et haploïdes (un seul jeu de chromosomes). Il existe néanmoins une exception notable qui est l’objet de la partie expérimentale. En effet, parmi les 16 chromosomes de l’abeille, il n’existe pas, comme chez les mammifères, de chromosomes sexuels. Le déterminisme sexuel est gouverné par un locus appelé csd (complementary sex determiner) (Beye et al., 2003), situé sur le chromosome 3. C’est l’hétérozygotie au locus csd qui conditionne la naissance d’une femelle. Les mâles, qui sont haploïdes et n’ont donc qu’une seule version allélique, sont qualifiés « d’hémizygotes ». Or, il se trouve que malgré le nombre important de versions alléliques existantes (Lechner et al., 2014), il est possible d’obtenir des œufs fécondés (donc diploïdes) homozygotes au locus de détermination de sexe. Et ces individus sont de sexe mâle. De tels mâles diploïdes ont été observés chez au moins 4 familles d’abeilles et 27 espèces, appartenant aussi bien au groupe des abeilles solitaires qu’aux abeilles sociales (Zayed, 2009). Au sein du genre Apis, ils sont toutefois éliminés par les ouvrières avant la naissance, au stade larvaire (Woyke, 1963a). Ce système de détermination sexuelle est considéré, avec beaucoup d’autres, comme une cause possible du déclin des abeilles (Zayed et Packer, 2005 ; Zayed, 2009). Nous reviendrons bien plus en détails sur ces différents aspects au sein de la partie 3.

C. La fécondation multiple de la reine

a. Principe de la polyandrie

Comme nous l’avons déjà abordé succinctement dans la partie 1, la reine est fécondée par de multiples mâles chez les abeilles, on parle alors de polyandrie (Crozier et Pamilo, 1996). Il s’agit d’un système garant de diversité génétique (Boomsma et al., 2005) car un meilleur brassage des allèles est assuré. Ainsi, des mâles issus de multiples ruches (Tarpy et al., 2004), jusqu’à 200 (Baudry et al., 1998), parcourent entre 8 et 15 kilomètres (Jensen et al., 2005) pour venir féconder une reine au cours du vol nuptial. Ils se regroupent pour former une comète que l’on appelle « congrégation de mâles » (Bertrand, 2013), au sein de laquelle ils sont parfois jusqu’à 25 000 (Page Jr et Metcalf, 1982). Une petite fraction seulement du sperme des mâles est effectivement stockée dans la spermathèque de la reine (Ruttner, 1956) et la contribution de chaque mâle est inégale (Estoup et al., 1994) car elle dépend de l’ordre d’accouplement, du volume de sperme, etc. La spermathèque d’une reine ne peut en effet contenir qu’une quantité de sperme équivalente à celle d’un mâle (Crozier et Page, 1985). Dans tous les cas, il en résulte que les ouvrières ont toutes la même mère mais des pères différents pour la plupart. Elles sont donc soit pleines sœurs, soit demi-sœurs, tandis que les mâles sont tous pleins frères. C’est pourquoi on observe souvent des différences phénotypiques entre des ouvrières d’une même ruche. Nous aborderons plus en détail les parentés entre individus d’une même ruche au cours de la discussion de la partie expérimentale.

b. Les lignées paternelles

Ce système de polyandrie débouche donc sur l’existence de plusieurs lignées paternelles (« patrilines » en anglais) au sein d’une ruche. Le nombre de lignées dépend du nombre de mâles ayant fécondé la reine, qui varie de 6 à 50 environ (Delaney et al., 2011). Et les abeilles ont la capacité de distinguer une demi-sœur d’une pleine sœur (Getz et Smith, 1983), y compris au stade larvaire. Pendant longtemps, cela nourrit la théorie consistant à dire que la diminution du coefficient de parenté devait engendrer des conflits et une diminution de l’altruisme entre individus de lignées différentes au sein de la ruche (Crozier et Fjerdingstad, 2001) et à l’inverse une meilleure coopération entre les ouvrières issues d’une même lignée. Mais les études réalisées sur ce sujet (Moritz, 1988 ; Breed et al., 1994 ; Kirchner et Arnold, 2001) ont toutes conduit au rejet de cette hypothèse. De même, le fait de diluer le coefficient de parenté entre les ouvrières ne conduit pas à une baisse de la production de miel ou de couvain (Underwood et al., 2004). C’est même l’inverse. La diversité génétique consécutive à la présence de plusieurs lignées serait avantageuse pour la colonie. D’une part, les colonies hétérogènes auraient une plus grande force de travail et seraient plus aptes à fonder une nouvelle colonie prospère après un essaimage (Mattila et Seeley, 2007) car elles construisent plus vite des rayons (30%), produisent plus de couvain et butinent davantage (entre 27 et 78%) ce qui se traduit par un meilleur stockage de réserves (39%). La faculté de butiner un nombre plus élevé de types floraux serait justement liée à la présence d’une diversité génétique, qui résulte en des comportements de butinage variés (Cox et Myerscough, 2003). D’autre part, cette hétérogénéité leur procurerait une meilleure résistance aux maladies (Seeley et Tarpy, 2007) et notamment aux parasites (Schmid-Hempel, 1994, 1998). En revanche, il semble que lors d’un élevage royal, les ouvrières élèvent préférentiellement des larves issues de la même lignée qu’elles (Page et Erickson, 1984 ; Visscher, 1986 ; Osborne et Oldroyd, 1999 ; Tilley et Oldroyd, 1997).

D. Structure de l’ADN mitochondrial

Outre l’ADN contenu dans le noyau, il existe chez l’abeille un ADN mitochondrial. La mitochondrie est un organite cellulaire, dont le rôle principal est de fournir la cellule en énergie, sous la forme d’ATP. Les propriétés de son ADN le rendent particulièrement adapté à la systématique et à la biologie des populations. En effet, bien qu’il soit présent aussi bien chez la femelle diploïde que chez le mâle haploïde, il n’y a en pratique que celui de la reine qui se transmet, sans aucune recombinaison, à la descendance (Garnery et al., 1992). En effet, les mitochondries sont exclusivement et entièrement héritées de la mère, si bien que dans une ruche, les mâles comme les ouvrières possèdent tous le même ADN mitochondrial (noté ADNmt) (Meusel et Moritz, 1993). On comprend donc qu’il constitue un support de choix pour caractériser l’appartenance d’une colonie à une lignée et étudier la généalogie maternelle de la ruche.

Cet ADN est une molécule circulaire, comportant entre 16 500 et 17 000 paires de bases (Smith et Brown, 1988). Particulièrement bien conservé entre taxons (Moritz et al., 1987), il présente notamment 2 gènes codant pour des ARN ribosomaux, 22 pour des ARN de transfert et 13 pour des protéines. Chez l’abeille, il existe une région particulière (Cornuet et al., 1991) située entre les gènes COI (Crozier et al.,1989), qui code pour la sous-unité 1 de l’enzyme cytochrome c oxydase, et COII (sous-unité 2 de l’enzyme cytochrome c oxydase). Cette région intergénique varie en taille et en nature (polymorphisme de longueur) d’une race à l’autre et est composée de 2 types de séquences riches en adénine et thymine : P/Po d’une longueur d’environ 54 pb (100% A/T) et Q d’environ 196 pb (93,4% A/T). P et Po diffèrent seulement par une insertion/délétion de 15 pb (Garnery et al., 1992). Ces séquences s’enchaînent selon différentes combinaisons, par exemple PoQ, PQ, PQQ ou simplement Q. Un test rapide a été développé (PCR-RFLP ; Garnery et al., 1993 ; Rortais et al., 2010), permettant d’assigner une abeille à telle ou telle lignée en fonction de son haplotype.

CHAPITRE 2 : METHODES D’EVALUATION DE LA