Chapitre IV -Formulation mathématique et interprétation sociologique d'indicateurs
4.3 Pouvoir structurel
Nous proposons ici plusieurs indicateurs ex-situ qui caractérisent le pouvoir d'un acteur pour une structure de jeu donné, il s'agit donc ici de mesurer la capacité potentielle d'un acteur à influer la capacité d'action (la satisfaction) d'un ou plusieurs acteurs. Le pouvoir peut se mesurer dans une relation dyadique : on parlera alors du pouvoir d'un acteur ego sur un acteur alter, ou dans une relation systémique : on parlera alors du pouvoir d'un acteur.
Pouvoir structurel d'un acteur (sur un autre)
Portée dyadique Portée sociétale
Élémentaire relatif somme maximum
Niveau ego-centré (effet + enjeux) Pouvoir structurel ego-centré Pouvoir structurel ego-centré Pouvoir structurel ego-centré cumulé Pouvoir structurel ego-centré maximum Niveau socio-centré (effet + enjeux + solidarités)
Pouvoir structurel Pouvoir structurel relatif
Pouvoir structurel cumulé
Pouvoir structurel maximum
Tableau 22 - Les différents indicateurs du pouvoir structurel d'un acteur
N ive au e go-ce n tr é P or té e d yad iq u e Pouvoir structurel ego-centré
pouvoir structurel ego- centré ego ,alter =
∑
r∈R ,ego contrôle r forceego- centréer , alter Pouvoir structurel ego-centré relatif
pouvoir structurel ego- centré relatif ego ,alter = pouvoir structurelego- centré ego , alter − pouvoir structurelego- centré alter ,ego
P or té e soc ié tal e Pouvoir structurel ego-centré cumulé
pouvoir structurel ego- centré cumulé ego=
∑
alter∈A , alter≠ego pouvoir structurelego-centré ego , alter Pouvoir structurel ego-centré maximum
pouvoir structurel ego- centré maximumego=
maxalter∈A , alter ≠egopouvoir structurelego-centré ego , alter
N ive au s oc io-ce n tr é P or té e d yad iq u e
Pouvoir structurel pouvoir structurelego , alter =
∑
r∈R ,ego contrôle r force r , alter Pouvoir structurel relatif
pouvoir structurel relatifego , alter = pouvoir structurel ego ,alter − pouvoir structurel alter , ego
P or té e soc ié tal e Pouvoir structurel cumulé
pouvoir structurel cumulé ego=
∑
alter∈A , alter≠ego pouvoir structurelego , alter Pouvoir structurel maximum
pouvoir structurel maximumego =
maxalter∈A , alter ≠egopouvoir structurelego ,alter
Tableau 23 - Les différents calcul du pouvoir structurel d'un acteur
Dans une dyade, la base du pouvoir d'un acteur ego sur un acteur alter est fonction de la force, du point de vue d'alter, des relations qu'il contrôle. Ainsi plus ego contrôlera de relations dont la force a une influence élevée sur la capacité à agir d'alter, plus celui-ci pourrait s'en voir imputer ou augmenter dans ses transactions avec ego. Ceci dépendant bien sûr de la réciproque,
pouvant être mise en jeu ou non par alter, à savoir le pouvoir d'alter sur ego. Cette différence de pouvoir entre deux acteurs est dénoté par le pouvoir relatif. Cette mesure caractérise l'asymétrie d'une relation de pouvoir telle que la définissent Crozier et Friedberg.
Au niveau du système, le pouvoir d'un acteur s'exprimera en fonction du pouvoir dont il dispose sur chaque autre acteur. Ce calcul pourra s'effectuer sur la base de la somme – pouvoir cumulé, ou du maximum – pouvoir maximum.
Par ailleurs comme pour la force, le pouvoir peut s'exprimer uniquement en fonction d'une base individuelle : qui ne considère que les objectifs propres de l'acteur, ou, de plus, sur une base sociale incluant les solidarités de l'acteur pour les autres.
Le tableau Tableau 22 reprend les différents indicateurs du pouvoir structurel d'un acteur
en fonction de ses différentes caractéristiques : dyadique (de base, relatif), systémique (cumulé ou maximum), subjectif ou social. Le tableau Tableau 23 reprend les formules correspondant à
chaque indicateur du pouvoir structurel.
Ces mesures purement structurelles trouvent leurs limites en ce qu'elles ne tiennent pas compte des transactions effectives et des interactions entre les relations (3.1) et les acteurs (3.2). Par exemple, il peut être structurellement impossible pour un acteur de maximiser l'ensemble de ses transactions alors que chacune peut l'être, mais exclusivement ; il devra alors choisir de favoriser l'un ou l'autre de ses partenaires.
Un caractère fort intéressant de ces mesures et de leur imprécision, est qu'elles présentent une forme d'argument de transaction, une évaluation que tout un chacun emploie, que l'autre estime, ou croit, sur le pouvoir des parties prenantes et l'issue des transactions. Ainsi un acteur peut soumettre à chacun de ses partenaires ou adversaires le pouvoir qu'il a sur chacun d'eux. Cet argument pourra prendre la forme d'une menace ou d'une promesse. S'il est d'importance, il pourra être mis en balance à son avantage dans autant de transactions où le contre-argumentaire est plus faible. On trouve ainsi des situations organisationnelles où, paradoxalement, un acteur disposant d'un pouvoir fort domine un jeu où les autres acteurs disposent d'un contre pouvoir cumulé équivalent ou supérieur. Ce type de situation peut s'expliquer par le coût de coordination [Williamson, 2000] qu'entraînerait une contre-attaque collective. On peut également trouver des causes psychologiques : rationalité limitée des acteurs [Simon, 1969], capacité d'anticipation et aversion à la perte [Kahneman & Tvesky, 1979].
5 Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons proposé un ensemble conséquent de mesures qui sont autant d'indicateurs permettant d'interpréter un modèle de SAC, et les simulations qui en découlent. Nous avons proposé deux catégories d'indicateurs suivant qu'ils dépendent (in situ) ou non (ex situ) d'un état donné du système, distinguant ainsi ce qui est de l'ordre du potentiel de ce qui est de l'ordre de l'effectif.
Les indicateurs reposent sur les notions d'acteur, de relation, de contrôle, d'enjeu, d'effet et de solidarité, développés dans le méta-modèle (Chapitre III). Ils permettent de caractériser relation, acteurs, dyades, et SAC. La majorité de ces indicateurs s'expriment essentiellement dans l'espace des capacités d'action, c'est à dire que ce qui est mesuré est toujours de l'ordre de l'action, exprimant le rapport entre l'action désirée (pour atteindre des objectifs) et l'action accessible (par la mise à disposition des ressources nécessaires).
Nous avons par ailleurs distingué :
– les indicateurs ego-centrés qui portent uniquement sur les objectifs de l'acteur concerné et se calculent par la combinaison des enjeux sur les relations dont il dépend avec l'effet qu'ont pour lui ces relations en termes de capacité d'action, et
– les indicateurs socio-centrés qui portent en plus sur les objectifs des autres acteurs dans la mesure des solidarités positives ou négatives que l'acteur concerné à pour eux.
La grande originalité de ce chapitre est de proposer quatre grandes catégories d'indicateurs in situ permettant de se saisir de différentes facettes du Pouvoir dans ses dimensions relationnelle, transactionnelle et systémique :
– satisfaction : ce qu'un acteur retire de ses transactions,
– pouvoir : ce qu'un acteur apporte/retire aux autres acteurs en terme de capacité d'action, – concession : ce qu'un acteur perd dans ses transactions par rapport à l'adoption d'un jeu minimisant ses pertes,
– avantage transactionnel : le bilan entre ce qu'un acteur concède et le pouvoir mobilisé a son avantage.
On retiendra également la mesure ex situ du pouvoir en tant que potentiel à modifier la capacité d'action des autres.
Au final nous pouvons mesurer le « pouvoir de » (satisfaction), le « pouvoir sur » ou « influence sociale » (pouvoir et pouvoir potentiel), et nous disposons également d'une mesure de «l'exercice du pouvoir » (avantage transactionnel) qui met en avant les qualités stratégiques de l'acteur dans le jeu social. Nous espérons que cette contribution aura permis de rendre compte de l'aspect transactionnel et relationnel du pouvoir chez Crozier. Toutefois nous sommes conscient que le pouvoir est toujours une notion complexe et que nos travaux soulèvent sûrement des points de débats nécessaires à établir une solide théorie mathématique du pouvoir.
A ce titre, il n'est pas surprenant de constater que d'autres travaux se sont déjà emparés de la question de la mesure ou de la formalisation du pouvoir. Ces travaux mobilisent des concepts différents ou similaires, d'autre approches, ont des origines variées et, parfois, assez proches des notre. Ces travaux peuvent s'avérer contenir des pistes de réflexions intéressantes, voir des solutions toutes prêtes pour compléter nos travaux. L'enrichissement mutuelle est aussi envisageable, notamment en ce qui concerne les travaux développé au sein de l'analyse des
réseaux sociaux.