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Chapitre III -Méta-modèle des systèmes d'action concret

2.3 Les Relations

Une Relation correspond à un certain type de transactions concernant la Ressource sur laquelle elle est fondée, et elle est déséquilibrée : un (unique) acteur – l’un de ceux qui maîtrisent la Ressource – contrôle cette relation, tandis que d’autres acteurs – ceux qui ont besoin de cette Ressource pour atteindre leurs objectifs – sont contrôlés, dominés, ou encore dépendants de cette Relation. En effet, c’est l’Acteur qui contrôle la Relation qui détermine par son comportement dans quelle mesure la Ressource est accessible aux autres. Il contrôle ainsi la possibilité pour les Acteurs dépendants de réaliser leurs objectifs. Dans le détail de la modélisation RAR :

L'état d'une Relation correspond au concept de termes de l'échange de la relation, c'est à dire à l'adoption d'un comportement par le contrôleur de la Relation qui a des conséquences plus ou moins favorables pour les autres acteurs participant à la Relation.

Une action sur la Relation consistent alors à modifier son état, c'est-à-dire modifier son comportement.

La dépendance d'un Acteur vis à vis d'une Relation est caractérisée par l'existence d'un enjeu que l'Acteur fixe sur la Relation.

Tout Acteur dépendant d'une Relation perçoit un certain effet du comportement adopté par le contrôleur en terme d'accès à la ressource dont il a besoin : ce que nous appelons le solde. Enfin, le comportement des Acteurs est contraint quant aux Relations qu'ils contrôlent : ils

disposent d'une marge de manœuvre qui peut éventuellement être modifiée en fonction de l'état d'une autre Relation.

L’idée qu'une relation de pouvoir est toujours déséquilibrée est centrale dans la sociologie de l’action organisée, il y a toujours un acteur en position de force dans une relation13. Mais une relation ne peut être totalement contrôlée par un seul acteur, le dominé a toujours les moyens de négocier, dans une certaine mesure, sa collaboration. Il existe ainsi toujours une réciprocité, même minime, directe où indirecte, dans les dominations ou les dépendances. Si l’on raisonne sur une seule Relation cette réciprocité ne peut bien évidemment pas apparaître, et il nous faut alors considérer une relation de pouvoir comme étant constituée d'un ensemble de Relations.

Les Relations représentent les briques structurelles des relations de pouvoir. Une relation de pouvoir entre deux acteurs peut alors être structurellement caractérisée par l'ensemble des Relations que l'un contrôle et dont l'autre dépend. Ainsi au sein du SAC de la Figure III.4 les acteur A et B se dominent mutuellement, chacun contrôlant une Relation : la 1 pour A, et sur la 3 pour B. La relation de pouvoir unissant A et B est constituée des Relations 1 et 3. Il est

également possible de penser que A dominant C par la Relation 1, et C dominant B par la Relation 2, ces deux Relations sont alors également caractéristique de la relation de pouvoir entre A et B. Mais à poursuivre le raisonnement de la sorte, le risque est au final de caractériser la relation de pouvoir à l'aide de l'ensemble des Relations d'un SAC. Aussi, nous étudierons au chapitre suivant (Chapitre IV) différentes façons de relier les Relations du SAC au pouvoir d'un acteur sur un autre ou en regard du système.

En regard de la SAO la Relation est à prendre comme une catégorie analytique opérationnelle permettant de penser la relation de pouvoir hors du cadre dyadique dans laquelle l'avait enfermé les définitions classiques de la SAO (voir Chapitre IV section 2.2) : en terme sociologique il s'agit donc d'une relation de pouvoir élémentaire.

Figure III.5 - (A droite) Inférence de relations de pouvoir (directes) à l'aide de Relations de pouvoir élémentaires (à gauche). Les relations indirectes ne sont pas prises en compte.

Dans la suite de ce mémoire nous pourrons user indifféremment des termes de transaction et de relation. Une transaction se distingue toutefois d'une relation en ce que ce terme désigne plutôt les aspects dynamiques et événementiels d'un processus d'échange entre deux acteurs alors que le second s'intéresse plus aux qualités de ce processus.

2.3.1 Etat d'une Relation et état du système

Un SAC est constitué de Relations entre deux ou plusieurs acteurs. Soit R l'ensemble des Relations du SAC. L'état er d'une Relation r ∈ R est un réel défini dans l'espace d'état Er=[−1;1] . L'état de chaque relation est modifiable par un et un seul acteur, le contrôleur de cette relation. L'état er d'une Relation r représente le comportement que le contrôleur de la Relation adopte pour celle-ci, et l'espace d'état Er représente l'espace de choix théorique pour le contrôleur. Si l'interprétation de l'état d'une Relation est à définir en terme de comportement de l'Acteur qui la contrôle, les extrémités –1 et +1 de l’espace des choix correspondent aux limites techniques, de faisabilité ou physiques tenant à la nature de la relation, l’origine de ces contraintes étant soit institutionnelle de par les règles formelles internes ou imposées à l’organisation (par exemple la nature des contrats de travail légaux), soit normative tenant à l’acceptabilité sociale en fonction des normes en vigueur.

Il nous reste à donner l’interprétation des propriétés b_min et b_max des Relations, qui décrivent les contraintes auxquelles est soumis l’Acteur qui contrôle une Relation. Bien que cette notion ne soit pas explicitement pensée mais juste citée dans le corpus théorique de la sociologie de l’action organisée, elle nous semble indispensable à la modélisation du fonctionnement d’un système d’action concret. En effet, l’Acteur qui contrôle une relation ne peut pas pour autant adopter n'importe quel comportement, en attribuant n’importe quelles valeurs aux soldes des Acteurs dépendant de cette Relation. Il doit respecter « les règles du jeu social » qui déterminent, pour partie, l’espace des valeurs qu’il peut donner aux soldes des Acteurs dépendant de la relation. Pour chaque Relation r, ces deux valeurs, b _ minr et b _ maxr, permettent alors de

restreindre les états qui lui sont accessibles dans l’espace de choix théorique [-1, 1]. L'intervalle [b _ minr; b _ maxr] définit ainsi sa marge de manœuvre sur la Relation. Soit Cr la marge de manœuvre du contrôleur d'une Relation r Cr= [b _ minr;b _ maxr], avec b _ minr∈Er, b _ maxr∈Eret b _ minr≤b _ maxr. La marge de manœuvre Cr est ainsi le

domaine de valeur effectif de l'état d'une Relation r : ∀ er, er∈Cr.

On distinguera donc l'ensemble des états du système, ES, de l'ensemble des états du système de Relations, ER :

Un état eR du système de Relations :

est uniquement composé des états er de chaque Relation r, est défini par le vecteur d'état, err∈R,

est un élément de ER=

r∈R

Er. Un état eS du système :

est composé des états er et des bornes b _ minr et b _ maxr de chaque Relation r, est un définit par le vecteur er, b _ minr, b _ maxrr∈R,

est un élément de ES=

r∈R

E3r.

Ceci se justifie, comme nous le verrons ci-après (section 2.1.3), parce que la marge de manœuvre de l'Acteur contrôleur d'une Relation peut évoluer.

2.3.2 Fonctions d'Effet

Chaque relation dispose donc d’une marge de manœuvre , à l’intérieur de laquelle l'acteur contrôleur va pouvoir fixer les termes de l’échange que nous appelons, par commodité, l’état de la Relation. En choisissant une valeur dans cet intervalle, il fixe les « termes de l’échange », et par voie de conséquence le solde qu’il accorde à chacun des Acteurs pour l’accès à la Ressource. Le solde d'un Acteur vis à vis d'une Relation correspond à sa possibilité d'exploiter la ressource correspondante pour atteindre ses buts. La valeur d'un solde est définie dans Esoldes, un sous-ensemble de l'espace des capacités d'action, Ecap _ action, ordonné. Esoldes est borné par sup_soldes et inf_soldes, de telle sorte que inf_soldes = -sup_soldes. Pour simplifier, nous avons choisit de travailler avec un espace unidimensionnel tel que Ecap _ action=ℝ et Esoldes=[−10 ;10] . Il est possible de complexifier l'espace des capacités d'action en un espace multidimensionnel composé de différentes dimensions de la capacité d'action : cognitive, légale, physique, etc. A partir de l'espace des soldes Esoldes, nous pouvons fixer une interprétation aux valeurs des soldes sur une échelle allant donc de –10 à 10 : pire cas = -10, extrêmement mauvais = -8, …, neutre = 0, assez bon = 2, …optimal = 10. . Pour définir la valeur des soldes selon son état, une fonction d’effet est associée à chaque relation r : Effetr: Er× A  Ecap _ action , où A est l’ensemble des Acteurs (voir section 2.4) et Ecap _ action est l'espace des capacités d'action (voir section 2.4.2). . Le choix (par l’Acteur contrôleur) d’une valeur er dans l’espace de choix d’une Relation r se traduit par un solde égal à effetrer, a pour l’Acteur a vis à vis de r.

Il est évidemment possible d’utiliser tout autre nombre pour borner l’espace de choix. Seule compte ici l’interprétation sociologique que l’on donnera aux différentes valeurs dans l’espace de choix et la forme des fonctions pour chacun des Acteurs. Les fonctions d'effet prennent des formes spécifiques pour chaque Acteur. Elles définissent la manière dont les soldes, pour chaque Acteur dépendant d’une Relation, évoluent en fonction de l’état de cette Relation. La plupart des fonctions d’effet ont une forme linéaire, quadratique ou sigmoïde (Figure III.5).

Figure III.6 - Exemple de fonctions d'effet (état de la relation en abscisses, solde de l'acteur en ordonnées).

2.3.3 Contraintes sur la marge de manœuvre

Selon Friedberg, les acteurs ont tendance, que l'on pourrait qualifier de méta-objectif, à essayer d'augmenter ou de maintenir leur maîtrise sur les ressources du système. Selon notre méta-modèle, les modalités offertes aux Acteurs pour y parvenir consistent à améliorer ou amoindrir les soldes des uns et des autres. Les Relations qu'ils contrôlent leur permettent d'adopter un comportement dans l'espoir d'obtenir en échange un comportement favorable de la part des autres. En l'état, il s'agit bien d'« un échange asymétrique de comportements » [Friedberg, 1993] qui est en adéquation avec la définition de la relation de pouvoir dans le corpus SAO.

Dans nos premières modélisations nous nous sommes confrontés à la nécessité de permettre aux Acteurs une activité affectant la structure du SAC. Les cas récurrents sont la possibilité pour un Acteur de neutraliser une Relation, de la débloquer ou, plus généralement, de modifier la marge de manœuvre d'un acteur sur une Relation. A titre d'exemple, un acteur contrôlant la communication d'une information pertinente peut court-circuiter l'activité d'acteurs qui ont besoin de cette information pour contrôler d'autres relations. Ainsi dans le cas SEITA [Crozier, 1965], des ouvriers d'entretiens dissimulent les manuels d'entretiens des machines de production, qu'ils savent réparer, empêchant ainsi le chef de l'atelier d'acquérir leur compétence et d'évaluer leur travail. Dans le cas des inondations du Gard de 1998 [Sturma, 2007], c'est le contenu du rapport du groupement d'experts qui permettra aux mouvements associatifs d'être plus ou moins virulents, selon que le rapport met en cause ou non les élus locaux en charge de la prévention et de la gestion du risque.

Figure III.7 - Contrainte d'une relation sur la marge de manœuvre (b_min, b_max) d'une autre relation.

Les ressources du pouvoir, et donc les relations, sont ainsi interdépendantes au sens où la marge de manœuvre d'une relation, c'est-à-dire ses bornes b_min et b_max, dépend de l'état d'une autre relation. Dans le méta-modèle cela correspond à la contrainte exercée par une relation (contraignante) r' sur une relation (contrainte) r.

Soit l'opérateur irréflexif contraint ⊂R×R . On définit alors Rcontraintes={r∈R ; ∃r ' , r ' contraint r} comme l'ensemble des relations dont la marge de manœuvre dépend de l'état d'une autre relation. Pour chaque r ∈Rcontraintes, on note r • la relation qui la contraint, telle que r •≠r (propriété d'irréflexivité),. Les bornes de chaque relation contrainte sont alors déterminées par les fonctions contraint _ bminr: Er • Er et