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Les frontières du système et la question de l'environnement

Chapitre II -La sociologie de l'action organisée

3.3 Les frontières du système et la question de l'environnement

L'environnement est un concept qui fait largement débat dans la communauté des SMA ([Weyns et al., 2005] et [Weyns et al., 2006a]). Parmi les nombreux modèles et méthodologies de conception seuls quelques uns en font une abstraction de premier ordre [Weyns et al., 2006b], notamment Voyelle [Demazeau, ], AGRE [Ferber et al., 2005], ainsi que la plupart des

approches componentielles (DESIRE [DESIRE], BRIC [Ferber 1999], ...). En simulation multi-agents le concept apparaît implicitement ou explicitement dans la plupart des travaux. Si l'on avait une définition à donner on retiendrait que l'environnement est le milieu dans par et avec lequel interagissent les agents. L'environnement peut être social : on parle en général d'accointances, physique ou topologique : ses propriétés influent sur les attributs et les compétences des agents, écologique : des ressources naturelles, mais également culturel, légal, normatif... Bref, quelle que soit sa nature un environnement reste composé de ressources, au sens d'objets concret ou abstrait éventuellement perceptibles et nécessaires à l'action, et d'agents interagissant entre eux et avec les différentes ressources. Le problème principal dans une perspective de modélisation d'un environnement n'est donc pas sa nature. Il s'agit en fait de ses limites ! Notamment dans le cadre de proposition de méta-modèles organisationnels, la première question que l'on est tenté de poser est : « Si l'organisation représente l'environnement des acteurs sociaux, comment représente-t-on l'environnement de l'organisation ? ».

Crozier et Friedberg proposent une démarche intéressante destinée à délimiter l'objet d'étude et qui répond à cette question de l'environnement organisationnel. Leur réflexion les amène à caractériser les frontières d'un système d'action concret comme floues. Ce qui se cache derrière cette notion de frontières floues du système, n'est assurément pas une tentative de prendre en compte l'expansion ou de la contraction du SAC au cours du temps, mais une évolution du point de vue du chercheur non seulement par rapport à son objet d'étude mais également par rapport à sa question de recherche. La question peut alors se poser : « Quid de l'environnement du système ? ». Le SAC est avant tout un objet de recherche construit, une abstraction, même si Crozier énonce avec humour que son « système est la réalité »[Durance, 2006], il n'en est que sa représentation, de même que la pipe de Magritte n'est pas une pipe. La construction d'un SAC amène donc à déterminer progressivement ses limites : de nouvelles zones d'incertitudes/ressources sont découvertes au fur et à mesure de l'enquête sociologique, elles amènent à intégrer au SAC de nouveaux acteurs et de nouvelles stratégies. L'évolution du SAC, en tant qu'objet de recherche en construction, conduit à adopter de nouveaux points de vue - on ne reste pas indifférents à la découverte – qui entraîneront de nouvelles interrogations, qui ne seront résolues qu'en déplaçant les frontières du SAC,... Les limites du SAC changent ainsi, se dilatent et se contractent, elles sont déplacées afin de répondre à une questions de recherche sur un phénomène organisationnel. Les éléments du phénomène qui permettent de répondre à cette question sont présents dans le SAC, autant que le sont les éléments de l'environnement du phénomène ayant un facteur explicatif. Dit autrement l'environnement est dans le système. Si le modèle suffit à rendre compte de la question de recherche alors l'environnement du système n'est pas une question pertinente, sinon il convient de mieux délimiter la frontière du système.11

11 Une des limites de cette approche est de faire le postulat implicite que l'environnement peut se représenter dans les mêmes termes que l'organisation. Il existe d'autres voies très intéressante que nous n'adoptons pas dans ce mémoire concernant le couplage de modèle en simulation [Ramat et al., 1999]. Le couplage de modèles est une solution pour représenter un système composite environnement/organisation où la théorie mobilisée pour représentée l'environnement (un environnement physique par exemple) se distingue de celle servant à représenter l'organisation (un organisme vivant par exemple).

4 De l'usage de la connaissance sociologique en simulation sociale

A parcourir les diverses publications et journaux traitant de la simulation sociale, on découvre une grande variété dans l'usage des concepts et théories (sociologiques, économiques, et autres) permettant de produire des modèles. Si les objets d'études de ce domaine sont multiples, on y retrouve toutefois un invariant : la réification nécessaire de ces concepts et théories afin de les utiliser dans un modèle de phénomène social. Par ailleurs, l'utilisation de concepts sociologiques dans le domaine des SMA s'est largement répandue ces 10 dernières années, c'est le cas par exemple de la réputation et la confiance ([Falcone & Conte, 1997], [Castelfranchi & Falcone, 2000]). Pour les SMA, ces nouveaux concepts permettent d'adopter des points de vue fertiles et innovants sur les différents objets étudiés. Les schèmes cognitifs importés dans le domaine des SMA permettent aux chercheurs de développer un mode de raisonnement analogique propice à la production d'innovations. A titre d'exemple nous citerons les travaux de [Sichman, 1994] qui, s'inspirant de travaux sociologiques sur la théorie de la dépendance, a proposé un processus de coordination pour former des coalitions dans des systèmes multi-agents ouverts. Le lecteur intéressé pourra également se référer à [Malone, 1995] qui retrace, entre autre, l'apparition et la diffusion de différentes innovations concernant les processus de coordination dans les domaines de l'IAD et de la théorie des organisations.

L'utilisation de concepts sociologiques par les SMA n'a pas la même incidence suivant que l'on se situe dans une perspective de résolution de problèmes ou de simulation sociale. Dans le cadre de la résolution de problèmes, la finalité du SMA peut se résumer dans la plupart des cas à résoudre un problème ou à satisfaire la réalisation d'une tâche donnée, de façon distribuée et coopérative. Dans une perspective de simulation sociale, l'objectif principal des SMA est de permettre la compréhension, et l'explication d'un phénomène social en représentant les interactions et les processus de coordination que des agents et dont émerge le phénomène. Dans les deux cas, l'utilisation de concepts sociologiques permet au chercheur d'analyser le phénomène ou le problème qu'il cherche à modéliser. Pour la résolution de problème, cette démarche facilite l'abstraction de l'objet. Dans une perspective de simulation sociale, suivant les concepts sociologiques qui seront mobilisés, le modélisateur adoptera un point de vue spécifique sur son objet. Celui-ci n'est pas anodin car en changeant la perspective sur son objet, le chercheur en change l'analyse. Le phénomène social est expliqué à l'aune d'une nouvelle théorie correspondant au point de vue adopté. La simulation sociale produit ou prolonge ainsi des théories sociales [Gilbert & Troiszcht, 1999] sur un objet ou un phénomène qui a déjà pu mobiliser plusieurs autres théories. Par exemple, la régulation d'un marché peut s'analyser comme l'adaptation de l'offre et de la demande [Walras, 1983] ou par l'adoption de comportements mimétiques de la part des courtiers [Orléan, 1984] ; la mobilité sociale peut s'expliquer par les déterminismes qu'imposent les habitus des agents issues de différentes classes sociales dans le champ scolaire ([Bourdieu & Passeron, 1964], [Passeron & Bourdieu, 1970]) ou par les choix rationnels que prennent ses agents en fonction de leurs motivations [Boudon, 1973].

On trouve essentiellement trois approches (Tableau 1) dans l'utilisation des connaissances sociologiques en simulation sociale : la validation de théorie, l'assemblage heuristique de concepts et d'hypothèses, la modélisation participative.

Dans la première approche une partie des hypothèses d'une théorie est reprise pour produire un modèle d'un cas paradigmatique de la théorie. L'objectif est de valider, vérifier la cohérence et éventuellement d'approfondir la problématique de cette théorie. La simulation sociale est ici employée pour consolider, corriger ou infirmer la théorie mobilisée. Ginalucca

Manzo propose ainsi un modèle de mobilité sociale reprenant les travaux et hypothèses de Raymond Boudon sur le sujet [Manzo, 2005] .

Afin d'élaborer des modèles, la seconde approche utilise de façon opportuniste des éléments théoriques en fonction de l'objet d'étude. Cette approche très empirique a le défaut de son caractère potentiellement novateur en ce qu'elle ne réutilise pas des théories mais des éléments hors contexte pour s'emparer de son objet. Faute d'un contrôle rigoureux de cette utilisation, les connaissances produites risquent alors de s'avérer soit « folkloriques », soit peu réutilisables en regard du nombre de travaux similaires sur des objets de nature semblable. Ces approches n'ont pas de fondement épistémologique, ce qui implique que le domaine de validité des résultats reste indéterminé.

La troisième approche, encore plus empirique, consiste à mobiliser les connaissances des acteurs sur un phénomène social. A partir de ce savoir profane, un processus d'élicitation bien cadré permet de produire une connaissance sociologique, sous la forme de modèles. Des séances de modélisations participatives permettent par exemple d'extraire les représentations des différents protagonistes afin de construire un modèle qu'ils valideront par la suite ([Barreteau, 2003], [Bousquet & Trébuils, 2005]. Par exemple, les travaux développés par le CIRAD [Barreteau & al., 2003], s'inscrivent dans un objectif de recherche-action autour de problématiques de gestion de ressources renouvelables. Les modèles produits servent ensuite de cadre de jeu (simulation informatique ou jeu de plateau) afin de faciliter l'échange de points de vue et la production de stratégies de gestion collective.

Approches de simulation sociale Modélisation participative Assemblage heuristique (In)Validation d'une théorie Formalisation d'une théorie Source des connaissances

sociologiques +empirique ←−−−−−−−−−−−−−−→ +théorique

Tableau 1 - Caractérisation des approches de simulation sociales en fonction de l'origine de la connaissance sociologique mise en œuvre dans les modèles.

Dans la façon dont ils traitent des organisations sociales, les SMA et la SAO trouvent peut-être un point commun autour de la définition que propose Edgar Morin [Morin, 1977] de la notion d'organisation : « l’agencement de relations entre composantes ou individus, qui produit une unité complexe ou système, dotée de qualités inconnues au niveau de ces composantes ou individus... ». Même si dans un entretien récent, Michel Crozier [Durance, 2006] marque sa différence avec Edgar Morin sur le fait que le système (ou l'organisation) selon Morin est « une méthode pour analyser la réalité » alors que pour lui « le système est la réalité », c'est pourtant sur cette base systèmique partagée que nous proposons de décrire un méta-modèle des organisations sociales au chapitre suivant (chapitre III). Nous proposons ainsi une nouvelle approche de l'usage des concepts sociologiques en simulation sociale , la formalisation d'une théorie, en l'occurrence la sociologie de l'action organisée.

Par cette démarche nous pensons offrir aux SMA l'apport d'une nouvelle perspective sur l'organisation sociale en espérant qu'elle permettra de compléter la réflexion déjà bien amorcer à travers nombres de méta-modèle orgnisationnel déjà produits : AGR [Gutknech et al. 2001], AGRE [Ferber et al., 2005], MOCA [Amiguet et al., 2002], DEPNET [Conte & Sichman, 1995], IODA/JEDI [Kubera et al., 2008], et tant d'autres. La principale originalité du méta-modèle, outre sa démarche de construction nécessairement interdisciplinaire, est de considérer la relation de pouvoir comme une entité de premier ordre.

Chapitre III - Méta-modèle des systèmes d'action concret