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Concession et avantage transactionnel

Chapitre IV -Formulation mathématique et interprétation sociologique d'indicateurs

3.3 Concession et avantage transactionnel

Dans cette section nous mettons tout d'abord en avant les ambiguïtés concernant les définitions du pouvoir sur lesquelles se basent la SAO afin de démontrer l'impossibilité de produire directement des indicateurs rendant compte du pouvoir dans sa dimension stratégique. Nous discutons alors des ambiguïtés d'interprétation qu'induisent ces définitions et proposons un indicateur rendant compte de la stratégie d'un acteur dans les transactions qu'il mène avec un autre acteur ou avec l'ensemble des membres du SAC. Cet indicateur, l'avantage transactionnel, est fondé sur la notion de concession, c'est-à-dire ce qu'un acteur concède comme part de satisfaction en adoptant sa stratégie par rapport à ce que lui apporterait l'adoption d'une stratégie égoïste maximisant ses gains sur les relations qu'il contrôle.

Le pouvoir tel que le définit Crozier et Friedberg s'exprime avant tout au sein d'une dyade : « le pouvoir de A sur B correspond à la capacité de A d’obtenir que dans sa négociation avec B, les termes de l’échange lui soient favorables ». Cette définition se base, du moins pour sa dimension stratégique, sur celle de Robert Dahl : « A exerce un pouvoir sur B dans la mesure où il obtient de B une action Y que ce dernier n'aurait pas effectué autrement ». Le problème déjà évoqué à la section précédente est que, dans une vision complexe de la relation, où celle-ci se trouve encastrée dans un système relationnel, il est difficile de juger si une action Y entreprise par B est uniquement due à l'exercice du pouvoir de A. Il est possible d'éluder le problème de la qualité de la stratégie en ne considérant que l'issue de l'exercice du pouvoir. C'est ce que nous avons fait avec les indicateurs de pouvoir de la section précédente, voire avec les indicateurs de satisfaction. C'est ce que font également Crozier et Friedberg lorsqu'ils postulent que le pouvoir est le « résultat contingent de transactions entre plusieurs individus ».

Que ce soit pour Dahl ou Friedberg, on se rend bien compte de la difficulté à saisir le pouvoir dans toute sa complexité lorsqu'il s'agit de le mesurer. Celui-ci est soit défini dans le cadre d'une dyade qui ne tient pas compte de l'encastrement des relations et l'on est obligé d'abandonner l'aspect stratégique du pouvoir ; soit il est défini comme un résultat, un état du monde, et l'on est obligé de mettre de côté l'aspect transactionnel du pouvoir.

A travers cette problématique nous n'entendons pas réduire la réflexion de Crozier et Friedberg sur le pouvoir à une définition décontextualisée. Nous tenons simplement à rappeler la valeur de celle que nous proposons. Ce que nous définissons comme le « pouvoir » n'est qu'une mesure qui ne peut se saisir du Pouvoir à proprement parlé, car celui-ci ne peut se mesurer dans toute son étendue. Mais comme pour les définitions simplificatrices de Dahl ou de Friedberg, une vertu de cette mesure est de susciter et d'orienter l'interrogation afin de mieux découvrir le contexte dans lequel s'exerce le Pouvoir.

Nous souhaitons proposer une définition du pouvoir plus souple, qui casse quelque peu l'aspect dyadique des précédentes définitions, en retenant l'aspect plurivalent plutôt que univalent des sources d'influences conduisant à un changement de comportement. On dira alors que :

A exerce un pouvoir sur B dans la mesure de l'influence qu'il a sur la capacité d'action de B, celle-ci orientant B vers une action Y qu'il n'aurait pas effectué autrement.

Une fois le problème du pouvoir dyadique contourné par cet effort de précision sémantique, qui par ailleurs va nous servir par la suite, il reste à aborder le problème de l'évaluation de la qualité de la stratégie au sein des transactions. En effet selon notre définition, rien n'indique que l'acteur B perçoit l'influence de A, et rien n'indique non plus que l'action Y de B n'est pas une réaction à l'influence d'un autre acteur C. Partant de là nous postulons que :

1. Le pouvoir d'un acteur sur un autre ne peut être mesuré dans sa dimension stratégique, c'est-à-dire entendu comme l'expression d'une intentionnalité (sauf à entrer dans la tête des acteurs).

2. Reprenant le postulat de Friedberg sur l'utilitarisme méthodologique, on supposera que les acteurs agissent toujours de façon rationnelle et intentionnelle. Ce postulat nous permet alors d'entrevoir une mesure de la qualité de la négociation d'un acteur au sein d'une dyade.

3. La qualité de négociation d'un acteur s'exprime mieux dans un rapport systémique que dans un rapport dyadique. Le précédent point s'arrangeant des sources d'influences extérieures à la dyade, on préférera disposer d'une mesure systémique de la qualité de la négociation d'un acteur

3.3.1 Concession

Par le postulat 2, on suppose que le comportement de l'acteur, isolé au sein d'une dyade, peut s'exprimer comme un comportement stratégique rationnel que l'on peut expliquer uniquement en regard des comportements de l'autre acteur de la dyade. Il nous est alors paru assez probant de mesurer la qualité du comportement de l'acteur en comparant la part de satisfaction qu'il s'attribue de par son comportement effectif et celle qu'aurait perçu un acteur rationnel individualiste. Soit un acteur ego participant à un ensemble de relations au sein d'une dyade composée également d'un acteur alter, on appellera alors concession de ego pour alter la part de satisfaction qu'il perd sur les relations qu'il contrôle par rapport à ce qu'il aurait gagné en adoptant une stratégie individualiste lui garantissant un minimum de perte, c'est-à-dire en jouant l'équilibre de Nash [Nash, 1951] ou le minimax [von Neumann, 1928]. En jouant le minimax l'acteur va maximiser l'impact qu'ont sur lui les relations qu'il contrôle. Ce concept est certes autant inadapté au jeu coopératif que le jeu égoïste qu'implique la recherche de l'équilibre de Nash, mais rappelons qu'il s'agit ici de mesurer une stratégie et non d'en choisir une. Le principe de l'indicateur de concession est donc de mesurer ce que l'acteur concède au bénéfice ou au dépend d'un autre acteur par rapport à ce qu'il était en mesure de s'octroyer en toute certitude.

Le calcul de la concession (élémentaire) consiste en la somme de la différence entre l'impact effectif et l'impact maximum certain pour chaque relation que ego contrôle et dont alter dépend (Tableau 19). L'impact maximum certain d'une relation r renvoie l'impact maximum que le contrôleur de r peut s'allouer, en vue de maximiser sa satisfaction, et dans la mesure où r est contrainte, ou non, par une autre relation, et le cas échéant s'il contrôle également cette relation :

impactmaximum certainr =

{

a controleur  r

si r ∈Rcontraignantes et  a controle r ' tel que r contraint r '  alors e' argmaxe

r' , ererimpact r ,a , erimpact  r ' , a ,er' renvoyer impactr , a ,e' 

si r∉ Rcontraintes

alors renvoyer maxe

r∈Crimpactr , a , er si r∈ Rcontraintes

si a controle • r  alors e' argmaxe

r, e •r er impact • r , a , e•rimpact r , a ,er renvoyer impactr , a ,e' 

sinon renvoyer mine • r maxe

r∈Cre •r impact r ,a , er

}

On peut alors comparer au sein d'une dyade ce que deux acteurs ont mutuellement effectué comme concession en procédant à la différence de concession de chacun pour l'autre (Tableau 19), on parlera alors de concession relative (Tableau 18). On notera que cet indicateur est en quelque sorte le dual de l'indicateur de pouvoir relatif. Le pouvoir relatif est fondé sur la différence de dons alors que la concession relative se fonde sur la différence de pertes. Le premier indicateur permet d'éclairer des logiques du pouvoir de type don/contre don – celui qui a le pouvoir est celui qui donne le plus et procède ainsi à la création d'une dette qui prendra toute sa mesure avec le temps, tandis que le second éclaire les logiques de calculs coût/avantage.

Toujours en ce qui concerne la concession, il est possible de mesurer ce qu'un acteur ego concède globalement au sein du système. Il ne s'agit pas ici, comme nous l'avions fait pour les autres indicateurs, d'effectuer une somme des concessions de ego pour chacun des autres acteurs, ce serait oublier les leçons tirées de la définition du pouvoir que nous avons proposée : nous l'appellerons concession globale. Le calcul de la concession globale d'un acteur est constituée de la même somme que pour la concession de ego sur alter, mais appliquée à l'ensemble des relations que contrôle ego. Ce qui, une fois la formule simplifiée, correspond à la différence entre la satisfaction propre de ego, et la somme des impacts maximum certains des relations contrôlées, qui en fait correspond à la définition de l'autonomie que nous donnons en section 4.2 :

concessionego , eR

=

r∈R , ego contrôle rimpactr , ego , er−

r∈R ,ego contrôle rimpactmaximum certainr  = satisfactionpropreego ,eR−autonomie ego 

Concession

d'un acteur (sur un autre)

Portée dyadique Portée sociétale

Elémentaire Différence Somme (r∈R)

Niveau socio-centré Concession Concession relative Concession globale Tableau 18 - Différents indicateurs de la concession.

N ive au s oc io-c en tr é Concession

concessionego ,alter , eR=

r∈R ,ego contrôle r , alter dépend rimpactr , ego , er−

r∈R ,ego contrôle r , alter dépend rimpactmaximum certainr , ego

Concession relative

concessionrelativeego ,alter , eR=

concession ego , alter ,eR−concession  alter , ego ,eR

Concession

globale concessionglobaleego ,eR=satisfactionpropre ego , eR−autonomie ego

Tableau 19 - Formules mathématiques des indicateurs de concession.

3.3.2 Avantage transactionnel

A partir de la notion de concession il est alors possible de proposer une mesure de la qualité de négociation de ego dans ces transactions avec alter en comptabilisant la différence de ce que alter met au profit de ego à ses dépend moins ce que ego sacrifie au profit de alter, ainsi qu'en ôtant le minimum que alter est de toute façon obligé de donner à ego. On obtient ainsi une mesure stratégique de l'exercice du pouvoir d'un acteur que l'on nomme avantage transactionnel. La version dyadique est donnée comme suit :

avantagetransego , alter , eR= pouvoiralter ,ego , eR −mine

R pouvoir alter ,ego , eR −concession ego , alter ,eR

Cette définition souffre des mêmes insuffisances que les indicateurs dyadiques du pouvoir et on lui préférera la version systémique, l'avantage transactionnel global, fondée sur la concession globale :

avantagetrans_ globalego , eR= 

alter∈A , alter≠ego pouvoir alter ,ego , eR −concessioncumuléeego ,eR

4 Indicateurs ex situ (ou purement structurels)

Les indicateurs ex situ sont déterminés uniquement à partir de la structure du système sans tenir compte d'un quelconque état de celui-ci. La valeur sociologique qu'on leur accordera sera de l'ordre du potentiel qu'induit la structure de l'organisation.

4.1 Indicateurs relatifs aux relations