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CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE 1.1 Cadre contextuel

1.2 Cadre théorique

1.2.2 Postures épistémologiques des futurs enseignants

1.2.2.2 Postures de l’ancien élève, de l’étudiant et de l’enseignant

DeBlois et Squalli (2002) ont documenté le fait que les futurs enseignants sont susceptibles d’adopter trois postures au cours de leur formation initiale : celle l’ancien élève, celle de l’étudiant et celle de l’enseignant. Savard (2014) indique que « la posture adoptée influencerait les connaissances mobilisées pour intervenir auprès des élèves » (p.82). Ainsi, en adoptant la posture de l’ancien élève, le futur enseignant pourrait avoir des rapports traditionnalistes et formels aux savoirs (Dionne, 1988) en ce sens que l’enseignement « est conçu pour apporter des solutions toutes faites à des problèmes en quelque sorte prévisibles » (DeBlois et Squalli, 2002). Dans cette posture, le futur enseignant est convaincu de l’existence de réponses incontestables pour les problèmes liés à l’enseignement et à l’apprentissage des mathématiques.

La posture de l’étudiant se caractérise par une dualité entre l’expérience de l’apprenant et les nouvelles pratiques (Savard, 2014). La posture de l’enseignant pourrait, quant à elle, se caractériser par l’élaboration de situations d’apprentissage et l’adaptation de la planification des interventions pour prendre en compte les erreurs des élèves et des réflexions d’ordre général sur l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques (DeBlois et Squalli, 2002). Par ailleurs, la recherche de Chenevotot et al. (2012) montre que lorsqu’il adopte la posture la posture d’ancien élève, le futur enseignant chercherait à faire apprendre les concepts mathématiques en se référant essentiellement à la façon dont il les a lui-même appris. En outre, cette recherche a mis en évidence le fait que sous influence de la posture de l’étudiant, le futur enseignant aurait tendance à s’intéresser aux difficultés d’apprentissage en mettant à contribution les savoirs de formation. La recherche montre par ailleurs qu’en adoptant la posture de l’enseignant, le futur enseignant pourrait se poser : 1) des questions contextualisées, 2) des questions d’une portée plus large sur la nature du savoir à enseigner. 1.2.2.3 Adaptations, effets de contrat didactique et postures de futurs enseignants L’étude des adaptations réalisées par les futurs enseignants pendant leurs stages pourrait permettre d’identifier les postures qu’ils adoptent (Ndolly, 2012; Douamba, 2015). DeBlois et Maheux (2005) définissent quatre types d’adaptations des futurs enseignants décrites dans le tableau 2 : 1) projective, 2) retrait, 3) normative, 4) évitement.

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Tableau 2 :Types d’adaptations des futurs enseignants (DeBlois et Maheux, 2005:2) repérés dans Ndolly (2012:40)

Type d’adaptation Caractéristiques

Projective le futur enseignant utilise les propos de l’élève pour relancer et élargir la discussion

Retrait

le futur enseignant se retire estimant que les élèves sont capables de résoudre certaines difficultés par eux-mêmes et, en conséquence, leur permettre de prendre conscience de leurs erreurs

Normative Le futur enseignant amène l’élève à s’ajuster et à s’adapter à la norme, ce qu’il a prévu, c’est-à-dire à la « bonne réponse »

Évitement Le futur enseignant revoit à la baisse ses attentes en simplifiant la tâche ou bien en éludant le problème

Les travaux de Ndolly (2012) et de Douamba (2015) permettant de mettre en relation les postures adoptées par les futurs enseignants et les adaptations qu’ils privilégient. Ces travaux mettent en exergue le fait que les adaptations normatives et d’évitement sont une manifestation de la posture de l’ancien élève. En effet, ces adaptations se traduisent souvent par le fait, pour le futur enseignant, de vouloir orienter la réflexion des élèves sur ses propres stratégies et sur l’explication de la « bonne réponse ». Ndolly (2012) montre par ailleurs que la posture de l’étudiant est souvent en lien avec les adaptations projectives et de retrait. En effet, par ces autres types d’adaptations, les futurs enseignants expriment leur volonté d’amener les élèves vers les solutions aux problèmes et d’orienter leur réflexion par un questionnement susceptible de permettre de faire émerger des connaissances institutionnalisables (Douamba, 2015). Les résultats de la thèse de Douamba (2015) permettent d’étendre aux futurs enseignants du secondaire ceux de Ndolly (2012) sur les stagiaires du primaire.

Par ailleurs, Ndolly (2012) et Douamba (2015) établissent un lien entre certains effets de contrat didactique (Brousseau, 1989) transparaissant de l’activité des futurs enseignants et les postures épistémologiques qu’ils adoptent. Rappelons que ces effets permettent de décrire la façon dont l’enseignant exerce sa fonction d’étayage (Bruner, 1983) en proposant aux élèves des indications ou la manière dont il interprète l’activité des élèves pour viser une réussite immédiate (DeBlois, 2011). Plusieurs effets de contrat didactique ont ainsi pu être identifiés parmi lesquels : l’effet Topaze, l’attente incomprise, l’effet glissement métacognitif, le paradoxe du comédien, le paradoxe de la dévolution (Brousseau, 2003) et l’effet contre-dévolution. L’effet Topaze se manifeste lorsque l’enseignant donne tellement d’indices à l’élève qu’il finit par risquer de réduire son effort cognitif (Brousseau, 2003).

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Les effets Topaze peuvent être explicites ou implicites (Novotná & Hošpesoná, 2009, 2007). L’attente incomprise se manifeste lorsque l’enseignant considère que les réponses attendues vont de soi et qu’il ne comprend donc pas que les élèves ne parviennent pas à la trouver (Brousseau, 2003). Le paradoxe du comédien se manifeste lorsque l’enseignant finit par répondre lui-même aux questions qu’il pose (Brousseau, 2003). L’effet glissement métacognitif se produit : « lorsqu'une activité d'enseignement a échoué, le professeur peut être conduit à se justifier et pour continuer, son action, à prendre ses propres explications et ses moyens heuristiques comme objets d'étude à la place de la véritable connaissance mathématique » (Brousseau, 1986:43). Le paradoxe de la dévolution illustre la tension entre la nécessité de préciser aux élèves les attentes par rapport au problème pour permettre leur appropriation et la préoccupation de ne pas trop en dire pour ne pas risquer de compromettre l’apprentissage (Marchive & Sarrazy, 2000). Enfin, l’effet contre-dévolution se produit quand l’élève finit par assumer une responsabilité ne correspondant pas à celle qui est prévue par l’enseignant (Jonnaert, 1996). Tous ces effets de contrat didactique pourraient être des indicateurs d’une influence de la posture de l’ancien élève (Ndolly, 2012; Douamba, 2015). 1.2.2.4 Modèle de l’influence des préoccupations des futurs enseignants

D’après Viau-Gauy, Hamel et Ria, (2016), comprendre les préoccupations des futurs enseignants pourrait permettre de saisir les registres d’apprentissage qu’ils vont estimer utile de s’approprier ou non pendant leur formation. Ces chercheurs ajoutent que la formation initiale devrait chercher à recentrer les futurs enseignants sur des préoccupations relatives aux modalités d’apprentissage des élèves. Par ailleurs, René de Cotret (2012) montre que les postures pourraient interagir entre elles pendant la formation et DeBlois (2012) explique que les préoccupations des futurs enseignants pourraient résulter de ces interactions. Ainsi, ce jeu d’interactions entre postures serait à l’origine de l’existence chez les futurs enseignants d’un multi-agenda caché de préoccupations enchâssées (Bucheton, 2009) qu’il conviendrait de mettre en lumière.

Inspirée par les travaux de Dionne (1988), Noël et Mura (1999) et Lerman (1990), DeBlois (2012) propose un modèle permettant d’éclairer la relation entre les préoccupations, les rapports aux savoirs et les postures adoptées par les futurs enseignants. Ce modèle est schématisé par la figure 4.

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Figure 4 : Modèle d’influence des préoccupations des futurs enseignants (DeBlois, 2012, p. 317)

DeBlois (2012) indique que ce modèle permet de considérer les préoccupations des futurs enseignants comme un prisme à travers lequel transitent les savoirs de formation et d’examiner la manière dont les futurs enseignants interprètent ces savoirs de formation (p. 318). Selon ce modèle, une tension entre les postures l’ancien élève et de l’étudiant (DeBlois et Squalli, 2002) se soldant par l’influence de la posture de l’ancien élève pourrait amener les futurs enseignants à exprimer des rapports traditionnels et formels aux savoirs (Dionne, 1988). Ces rapports aux savoirs pourraient par la suite les inciter à se préoccuper de l’enseignement en ce sens qu’ils pourraient se focaliser sur la recherche de « bonnes » méthodes d’enseignement (DeBlois et Squalli, 2002). Cette préoccupation pour l’enseignement se traduit par des projets d’intervention visant une réussite immédiate des élèves laissant peu de place au développement d’une compréhension profonde du concept à l’étude (DeBlois, 2012). Cette préoccupation pourrait inciter les futurs enseignants à n’accorder que peu de valeur aux savoirs de formation considérés comme des théories éloignées de la pratique.

Lorsque cette tension aboutit à une influence de la posture de l’étudiant, les futurs enseignants pourraient être amenés à relativiser la préoccupation pour l’enseignement du fait d’une valorisation des savoirs de formation. Sous l’influence de la posture de l’étudiant, les futurs enseignants pourraient interpréter les savoirs de formation comme des moyens pouvant permettre de favoriser l’apprentissage. C’est dans cette mouvance que pourrait

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s’effectuer la transition vers la posture de l’enseignant qui se caractérise par une préoccupation pour l’apprentissage (DeBlois et Squalli, 2002). Cette préoccupation pourrait se traduire par des projets d’intervention visant une compréhension profonde des concepts en jeu susceptible d’avoir des effets à terme sur le développement cognitif des élèves. 1.2.2.5 Nouvel enjeu pour la formation initiale : décentrer la posture de l’ancien élève Nous sommes alors conduits à définir un nouvel enjeu pour la formation initiale à l’enseignement des mathématiques. Cet enjeu s’articule autour de deux axes. Le premier stipule que les composantes d’un dispositif de formation devraient pouvoir provoquer une décentration de la posture de l’ancien élève au profit de celle de l’étudiant (DeBlois et Squalli, 1997). Une telle transition pourrait se traduire par un passage de rapports aux savoirs marqués par une préoccupation pour l’enseignement à des rapports aux savoirs impliquant une valorisation des savoirs de formation. Le second axe est en lien avec l’hypothèse émise plus haut et il suggère que les composantes d’un dispositif de formation puissent offrir aux futurs enseignants des occasions de mobiliser ces savoirs. De telles composantes devraient donc viser une double transition : la première de la posture de l’ancien élève, supposée prégnante en l’entrée dans la formation initiale, à celle de l’étudiant et la seconde, de la posture de l’étudiant à celle de l’enseignant. Le processus permettant cette double transition serait assimilable à une synergie entre les postures de l’étudiant et celle de l’enseignant. Le terme « synergie » nous paraît adéquat, car il traduit bien l’idée d’une convergence entre la valorisation des savoirs de formation, préoccupation du futur enseignant lorsqu’il adopte la posture de l’étudiant et la mobilisation de ces savoirs, préoccupation du futur enseignant quand il adopte la posture de l’enseignant.

Afin de s’inscrire dans la mouvance de ces différents enjeux de la formation initiale à l’enseignement des mathématiques, plusieurs pistes de recherche sont possibles. Mangiante et al. (2016) proposent d’analyser des situations de formation afin de concevoir des scénarios de formation compatibles avec les contraintes de la formation. Pour cela, leur recherche se base sur un cadre d’analyse organisé autour de quatre indicateurs : 1) les savoirs convoqués dans la situation de formation, 2) le degré de décontextualisation de ces savoirs, 3) les postures adoptées par les futurs enseignants, 4) la nature des activités prévues dans la situation étudiée à partir de cinq paliers. Les résultats montrent que la mobilisation des

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savoirs de formation est fonction du degré de décontextualisation. En outre, cette mobilisation peut se faire en acte de manière implicite comme outil ou de manière explicite comme objet (Douady, 1994). Par ailleurs, en plus des postures mises à jour par DeBlois et Squalli (2002), ces auteurs pointent, suivant en cela Sayac (2010), la posture du praticien- chercheur lorsque le futur enseignant problématise une question professionnelle. Au final, la recherche montre que le passage d’un palier au suivant dépend du changement de posture. Les travaux de Chenevotot et al. (2012) s’inscrivent également dans la prise en compte des enjeux décrits précédemment. Ces travaux visent à définir des critères permettant l’analyse d’un dispositif de formation initiale à l’enseignement des mathématiques. Cette analyse se donne comme objectif d’éclairer la manière dont la transition de la posture de l’étudiant à celle de l’enseignant en lien avec les rapports aux savoirs explique le développement professionnel des futurs enseignants. Pour cela, ces chercheurs étudient le cheminement cognitif des futurs enseignements pendant la formation. Deux groupes de critères d’analyse se dégagent : 1) des critères en lien avec la manière dont les futurs enseignants prennent en compte des problèmes professionnels, 2) et des critères en lien avec les paramètres personnels du mode de gestion des contraintes de la formation. Concernant le premier groupe, les résultats concernant le critère relatif à la prise en compte des erreurs des élèves montrent qu’en adoptant la posture : 1) de l’ancien élève, le futur enseignant identifie les erreurs en pointant la composante erronée de la démarche de l’élève, 2) de l’étudiant, le futur enseignant est capable d’analyser l’origine en termes d’apprentissages non réalisés, 3) de l’enseignant, le futur enseignant propose un mode stable de gestion des erreurs. Concernant le deuxième groupe de critères, l’analyse des rapports à la formation des futurs enseignants met en évidence des profils très contrastés. Certains futurs enseignants se montrent résistants à la formation en manifestant des préoccupations plutôt utilitaires telles que la recherche de conseils sur la notation, les punitions … D’autres par contre tirent plus parti des apports de la formation en manifestant une prise de conscience de la complexité du métier.

35 1.2.3 Synthèse du cadre théorique

Nous avons mis en relief l’importance de prendre en compte les rapports aux savoirs des futurs enseignants, car ils pourraient influencer la mobilisation des savoirs de formation dans les pratiques. Nous avons également mis en lumière le fait que ces rapports aux savoirs sont susceptibles d’être colorés par les postures que peuvent adopter les futurs enseignants au cours de la formation. Cela nous a conduits à définir un nouvel enjeu de la formation initial : décentrer la posture de l’ancien élève, supposée prégnante à l’entrée en formation, pour favoriser l’émergence de la posture de l’enseignant en transitant par celle de l’étudiant. Nous avons envisagé la mise en lumière de ces postures par le modèle des adaptations et par les effets de contrat didactique. Il nous reste à expliciter les exigences d’un apprentissage de la géométrie au secondaire, domaine mathématique dont l’enseignement à l’étude dans cette recherche.