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Notre posture de thèse est directement liée aux dernières interrogations que nous avons soulevées dans la partie consacrée à la problématique. En effet, alors que nous venons de définir la notion d’image touristique, notre recherche nous a amené à nous positionner de la manière suivante. L’image touristique de la Croatie peut être décomposée en trois formes : une image ressentie par le touriste, une image promue et une image instrumentalisée.

1. Comprendre l’image ressentie

Notre recherche tente de comprendre quelles sont les représentations que les touristes se font de la destination croate. Cette approche est donc proche des analyses fondées sur les cartes mentales. Il s’agit, en effet, de considérer que la représentation qu’ont les individus est un objet d’étude à part entière qui explique, entre autres, leurs relations avec l’espace considéré.

Dans cette optique, nous chercherons, à la fois, à définir les attentes des individus et plus particulièrement des futurs touristes à l’égard de la destination croate, mais également à décrire l’image mentale résultant de la fréquentation touristique.

a. Les attentes des touristes ou l’image idéale

Le premier axe s’intéresse, en effet, aux attentes des touristes et à la représentation qu’ils ont de la Croatie avant même un quelconque séjour. Pour reprendre la terminologie employée ci-dessus et héritée de Gunn (GUNN : 1988), nous serions donc, ici, à la croisée entre image mentale et image induite sans aucun lien avec l’espace touristique réel.

En ce sens, l’image ainsi construite ne peut être que fantasmée, au sens premier de ce terme. En effet, en psychanalyse, le fantasme est un « ensemble de représentations

imagées mettant en scène le sujet et traduisant, à travers les transformations de la censure imposée par le sur-moi, les désirs inconscients de celui qui l’élabore » (Dictionnaire

Hachette). Par définition, cette image s’éloignerait du réel subissant des déformations liées aux désirs de l’individu. La vision ainsi produite peut, dès lors, être qualifiée d’ "idéale" puisque dépendante des idées préconçues, voire des préjugés, de l’individu. Ces représentations primaires, au sens où elles ne dépendent que de l’individu et non d’une

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quelconque connaissance basée sur le contact et la fréquentation avec l’espace considéré, sont à l’origine d’une certaine "idée" de la Croatie.

L’image "idéale" ainsi produite peut comprendre des éléments négatifs, comme, par exemple, des représentations sur le climat géopolitique de la région balkanique créant un sentiment d’insécurité. Même si ces dernières ne pourront être négligées, nous chercherons, essentiellement, à comprendre les facteurs qui justifient la venue des touristes et, en ce sens, les images positives du pays.

En somme, c’est cette image idéale que nous essayerons de mettre en avant pour répondre à la question suivante : quelles sont les attentes des touristes qui se rendent en Croatie ? Quelles sont leurs représentations et quelles sont celles qui pourraient être considérées comme des facteurs expliquant les flux touristiques ?

b. L’image vécue, un enjeu pour la satisfaction.

Parallèlement à l’analyse des attentes des touristes et des représentations primaires qu’ils ont de la Croatie, notre étude tentera, également, de définir une image vécue qui peut être assimilée à l’image complexe préalablement définie.

Contrairement à la précédente image "idéale" ou "fantasmée", l’image "vécue" correspond, elle, à l’ensemble des représentations qu’a le touriste pendant et après son séjour. Du contact avec l’espace réel naît une certaine image du pays qui ne peut être confondue avec une véritable connaissance. En effet, cette dernière nécessite un certain recul, voire une analyse, et, de fait, ne peut être approchée que par le seul chercheur dont l’objet d’étude est le pays considéré.

L’image qui résulte donc de la rencontre entre le touriste, chargé d’une image idéale, et l’espace touristique relève, dès lors, du vécu de l’individu. Elle peut être positive si les attentes sont comblées ou négative si ces dernières sont trop éloignées de ce que le touriste espérait.

Ainsi, l’image vécue est, par définition, subjective et étroitement liée au degré de satisfaction du touriste. Or, c’est cette image qui sera par la suite retranscrite à d’éventuels futurs touristes par l’individu qui vient de séjourner dans le pays. Il s’agit là d’un canal de promotion : le bouche à oreille.

En ce sens, l’importance de l’image vécue – ou complexe – nous semble primordiale et pose les questions liées au degré de satisfaction de la clientèle ou encore à la diffusion de l’information : constate-t-on, en effet, une certaine fidélisation de la clientèle ? Les recommandations d’autres individus sont-elles importantes et permettent-elles de convaincre de nouveaux touristes ?

Mais, dans ce dernier cas, on passe d’une image vécue à une image promue de la destination.

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2. Analyser l’image promue

En effet, une partie essentielle de notre recherche essayera de comprendre « ce qui est dit » de la Croatie par le biais du tourisme. Quelle est l’image qui résulte de la promotion touristique ? Que montre-t-on ? Pourquoi et comment ?

Ces questions sont au cœur de notre problématique. L’analyse de cette image fabriquée – ou image induite - celle qu’on montre, sera donc un pan primordial de notre développement. Il s’agira, en effet, de comprendre cette image en la décryptant mais également en la comparant à la réalité, à savoir les faits touristiques.

De ce fait, nous serons amenés à dresser un état des lieux scientifique du tourisme en Croatie en nous appuyant sur des éléments statistiques comme, par exemple, le nombre d’hôtels ou de nuitées, la capacité d’accueil régionale, la répartition du fait touristique sur le territoire, etc. L’intérêt d’une analyse de l’image induite réside, en grande partie, dans la comparaison avec l’étude des faits : c’est, en effet, la distorsion, entre l’image et ces derniers, qui pose questions. Elle permet de s’interroger sur les facteurs de ces décalages, mais également sur l’efficacité – ou non – de la création de l’image induite (voire, également, des acteurs qui en sont à l’origine).

a. La mise en valeur par la promotion

Il nous faudra donc lire attentivement cette image induite, en rechercher les acteurs, les canaux de diffusion, les publics ciblés. Nous chercherons donc à comprendre quelles sont les stratégies publicitaires, autrement dit les logiques marketing qui sous-tendent la diffusion de l’image touristique croate. En ce sens, l’image promue peut être qualifiée de publicitaire. Il s’agit, en effet, de faire connaître le produit qu’est la Croatie mais également d’inciter de futurs touristes à s’y rendre. Les messages de cette promotion seront ainsi décryptés et nous les comparerons aux faits touristiques pour mettre en évidence ceux qui sont, par ce biais, valorisés.

Certaines destinations touristiques ont développé leur tourisme en créant, de toute pièce, une image grâce à la promotion touristique. L’Irlande, par exemple, s’est construite en valorisant des caractéristiques (les pubs, la lande, l’accueil des habitants, etc.), somme toute banales mais qui ont fini par constituer une véritable image de marque à l’étranger. C’est cette logique de création d’une certaine réputation de la destination qui sera analysée, pour la Croatie, au cours de notre développement.

La recherche des éléments répétés, qui constituent une part essentielle de l’image promue, est un axe de recherche que nous privilégierons. Il s’agira alors de savoir ce qui les explique et les justifie. Autrement dit, nous serons amenés à nous demander si l’image promue est le résultat d’une simple logique commerciale ou si d’autres objectifs peuvent être évoqués.

b. La place de l’analyse économique

Selon cette logique, l’étude que nous menons, ici, ne fera pas une place prioritaire à certains thèmes pourtant classiques de la géographie du tourisme, car il s’agit plutôt d’un

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travail centré sur l’image (que la Croatie projette d’elle-même par le biais du tourisme) et sur la volonté de comprendre ce qu’elle dit ainsi d’elle-même. Par exemple, les enjeux socio-économiques, mais également les flux engendrés ne seront étudiés que pour mieux comprendre et définir l’image touristique.

Au carrefour de la géographie du tourisme et de la géographie culturelle, voire régionale, notre sujet cherche, en effet, à montrer que, de la même manière qu’un produit marchand, le territoire touristique peut être utilisé à des fins autres que celles liées à l’économie ou à l’aménagement des territoires. Cependant, les retombées économiques, environnementales et sociales de l’activité touristique dans le pays sont incontestables et méritent le plus grand intérêt ; mais le but de notre démarche est, avant tout, de montrer que le tourisme, grâce à la promotion, peut être instrumentalisé, voire même servir un dessein identitaire au service des territoires et des hommes.

3. Observer l’instrumentalisation de l’image touristique

La thèse que nous soutenons ici est que l’image touristique, c’est-à-dire celle que la Croatie se construit grâce au tourisme, peut être "instrumentalisée" : il est possible, en effet, d’affirmer que, grâce à l’image diffusée voire construite, il existe, bel et bien, une volonté de créer une « identité croate », de la valoriser ou tout du moins d’affirmer la singularité croate dans la péninsule balkanique.

La construction de l’image touristique de la Croatie est donc empreinte de messages et elle peut, de ce fait, être considérée comme un "moyen de propagande", voire comme un médium capable de permettre au pays d’être reconnu internationalement. Nous chercherons, en effet, à savoir si le tourisme a pu être utilisé pour faire reconnaître la Croatie sur la scène mondiale, en tant qu’entité propre, et pour mettre en avant les principales caractéristiques qui, selon certains Croates, fondent leur identité nationale. Dans telles conditions, la promotion touristique faciliterait-elle la constitution d’une identité propre, c’est-à-dire renforcerait-elle le pouvoir d’institution ?

En effet, l’image de la Croatie, diffusée dans de nombreux pays grâce au tourisme, crée un pouvoir de présence : du fait de la promotion touristique, une certaine légitimation a donc lieu. Cette recherche d’une visibilité - même si elle n’est pas exceptionnelle et si elle se retrouve dans de nombreux pays qui mettent en avant une image touristique - est, dans le cas de la Croatie, remarquable puisqu’elle peut être liée à un nationalisme exacerbé (issu de la guerre de la fin de la Yougoslavie) et à la construction d’un Etat jeune qui souhaite affirmer sa légitimité nationale.

Cette légitimation passe de fait par la valorisation d’éléments culturels qui apparaissent comme le ciment d’une identité nationale. Nous essayerons, en effet, de montrer que le tourisme peut donc être un instrument par lequel il est possible de transmettre une certaine "identité" de son pays aux touristes et, par leur intermédiaire, au reste du monde. Notre recherche s’efforcera également de souligner le fait que ce message identitaire est également le fruit d’un besoin de justification de l’existence de l’Etat-Nation croate.

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a. Une image touristique dévoyée au service d’une construction identitaire

Son indépendance affirmée en 1991, le pays a dû s’imposer en tant que nouvel Etat du continent européen : il lui a fallu faire reconnaître, au niveau mondial, qu’il constituait une entité clairement identifiable et surtout distincte de ses voisines avec lesquelles il avait, jusque-là, formé un seul état.

Par analogie avec les théories de la psychanalyse, notre posture de thèse conçoit donc l’Etat croate comme un "Etat adolescent". En effet, la guerre de la fin de la Yougoslavie peut apparaître comme une phase psychanalytiquement enfantine durant laquelle l’"Etat-enfant" a connu un mouvement organisateur du Non – le conflit. Pendant cette phase, il s’est affirmé en tant qu’entité indépendante. Selon nous, la période actuelle coïnciderait, dès lors, à la période adolescente au cours de laquelle le pays, s’étant individualisé de ses "parents" - et notamment de la Serbie -, connaît une phase d’angoisse et d’interrogations quant à sa propre identité. La quête de cette dernière est visible par le biais de l’analyse de l’image touristique du pays qui met en évidence, à la fois, des processus d’identification et de négation, caractéristiques d’une période psychologique de doutes et de questionnements sur la nature même de l’être propre et de l’individualisation.

b. L’image touristique, entre identification et différenciation

Dans la crise d’adolescence, la quête d’identité se construit en valorisant une image rêvée ou fantasmée (traduisant un processus d’identification) et en écrasant les éléments considérés comme négatifs, qui seraient la somme des identifications et des fragments d’identité qui sont la marque de différences rejetées et qui sont considérés, dès lors, comme indésirables et incompatibles. L’intensité du conflit adolescent qu’a connue, et connaît encore, la Croatie se traduit par des surinvestissements narcissiques, c’est-à-dire des retours à soi vécus comme autant de parades contre l’investissement et l’intrusion d’un "Autre".

Notre thèse essayera, dès lors, de mettre en avant cette tension lorsqu’elle s’exprime dans le tourisme et la promotion touristique croate, entre le rejet d’une certaine vision de la Croatie, celle qui était une République fédérée de la Yougoslavie à côté de la Serbie, et la valorisation de celle à laquelle, aujourd’hui, les Croates aimeraient s’identifier. Elle essaiera de voir en quoi l’image touristique se réfère à un système de sentiments et de représentations par lesquels la Croatie se singularise (ou, tout du moins, souhaite s’individualiser), et en quoi elle est la traduction d’une volonté de n’être semblable qu’à soi-même et donc différent des "Autres".

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Afin de cerner au mieux l’image touristique croate, notre analyse s’appuiera donc sur des réflexions concernant l’image mentale ou idéale, celle du touriste, mais aussi l’image promue ou publicitaire ainsi que l’image instrumentalisée.

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En reprenant la figure n°2 précédente, un nouveau schéma peut être effectué situant les différentes images définies par notre posture de thèse par rapport aux différentes facettes de l’image touristique.

Figure 3 : Les trois images de notre posture de thèse

La figure n°3 montre ainsi les différents angles d’approche que nous utiliserons au cours de notre travail. Chacune des images que nous venons d’aborder est ici représentée.

En noir et en italique, nous avons rappelé la terminologie employée par Gunn (GUNN : 1988). En rouge, nous avons placé les images que nous aborderons dans notre développement en les situant par rapport aux précédentes. Enfin, en bleu, nous avons indiqué les éléments sur lesquels se basera notre analyse pour décrire et comprendre ces différentes composantes de l’image touristique.

Ainsi, les faits touristiques nous permettront de décrire l’espace touristique réel et de le comparer aux différentes images, que ce soit l’image idéale constituée de préjugés (autrement dénommée image organique) et d’attentes des touristes, l’image vécue qui s’appuie sur le degré de satisfaction des clients ou, encore, l’image promue ou induite grâce notamment aux publicités qui vantent la destination. Ces dernières peuvent, par ailleurs, s’éloigner plus ou moins fortement de la réalité et ainsi constituer une image instrumentalisée.

Il nous reste, dès lors, à détailler les méthodes qui seront utilisées pour mener à bien cette analyse.

47 Chapitre 2 :