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(F. PINTEAU, 2011)

Quant à eux, les parcs naturels sont, pour moitié, situés à l’intérieur du pays et cinq appartiennent à des régions administratives peu touristiques. Ainsi Kopački Rit, Papuk et le parc du Lonjsko Polje sont situés dans la plaine slavonne. A l’intérieur de ces derniers, les touristes peuvent pratiquer la randonnée et l’observation des animaux (dont, par exemple, celle des oiseaux à Kopački Rit). Les parcs naturels de Ǯumberak et Medvednica, situés à proximité de la capitale zagreboise peuvent être considérés, eux, comme des annexes récréatives de la capitale ; ils représentent des espaces protégés et touristiques, à proximité de la plus grande ville du pays. Cette localisation de parcs naturels, hors des régions les plus touristiques, alors que leur but même est d’attirer les touristes, permet de suggérer l’existence d’une politique volontariste qui vise à dynamiser les régions de l’intérieur.

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Dans ces conditions, au vu des faibles masses touristiques observées actuellement dans ces régions, cette politique semble encore peu efficace.

- a.3/ L’apparente contradiction entre exploitation et préservation

Comment concilier les exigences liées, d’un côté, à l’exploitation touristique et, de l’autre, à la préservation du milieu ? (ou comment résoudre la quadrature du cercle croate ?).

 L’idéal de la protection

D’une part, on assiste à une volonté de protection clairement affichée. Ainsi, la loi pour la préservation de la nature croate de 1976 est en concordance avec les critères internationaux et la conception croate des parcs nationaux se rapproche du type européen : « le parc national est une région d’une valeur naturelle, esthétique, touristique

et récréationnelle, comprenant au moins un écosystème conservé ou peu altéré. Les activités autorisées à l’intérieur d’un parc national ne doivent pas menacer la vie de la faune et de la flore originelles, ni les caractéristiques paysagères, géologiques, géomorphologiques et hydrographiques et doivent permettre de maintenir un équilibre naturel48 ».

Cette visée protectrice s’affiche clairement dans la vision idéaliste des pionniers- promoteurs de la protection des espaces naturels croates, comme Ivo Horvat. Dans son ouvrage Vegetacija planina zapadne Hrvatske (« Végétations des montagnes de la Croatie occidentale »), ce phytobiologiste décrit ainsi, en 1962, le parc national de Risnjak qui s’étend sur une partie de la chaîne dinarique, système montagneux à l’est des Alpes composé de calcaires et de dolomies : « le mont Risnjak a été choisi pour être un parc

national, car il possède toutes les conditions nécessaires afin d’être protégé dans son ensemble et être conservé comme une stricte réserve naturelle. Sa nature vivante et non vivante doit être conservée telle qu’elle est, abandonnée à elle-même afin de pouvoir se développer selon les lois de la nature. On n’y trouve pas de grandes agglomérations, de séjours permanents, à l’exception de ceux ayant pour but l’étude et la connaissance des beautés de la nature. Il faut que celle-ci soit conservée sans l’influence de l’homme et, là où l’économie a laissé ses traces, que la nature elle-même guérisse ses conséquence et les efface »49. Si elle était suivie, cette position extrême ferait donc du parc une zone totalement protégée, un sanctuaire comparable aux parties centrales des parcs nationaux américains ou encore aux « réserves strictes » pour reprendre la terminologie croate.

De fait, cette conception éliminerait l’intervention de l’homme et donc interdirait tout accès aux touristes. Or, même si la fréquentation touristique est très faible dans le parc de Risnjak, les flux n’y sont pas inexistants (24 831 visiteurs en 2007, dont seulement 5 163 visiteurs de nationalité étrangère). La question est de savoir dans quelle mesure ces faibles flux sont liés à la protection ou s’ils sont la conséquence de la position du parc, situé dans une zone montagneuse peu touristique.

48 Narodne Novine, Journal officiel croate, Zagreb, 1976, p.801, art.17 49

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 Mais, une exploitation touristique qui prévaut

En effet, les parcs nationaux et naturels, localisés dans les régions les plus touristiques, connaissent des fréquentations d’un tout autre ordre (cf. infra la fréquentation des parcs nationaux). La protection des espaces y semble, alors, devoir composer avec la logique d’exploitation touristique.

Ainsi, afin de bénéficier des retombées économiques liées au tourisme, une solution mixte est adoptée avec une ouverture réglementée et l’organisation des flux dans quelques parties seulement des parcs. Par exemple, le parc de Plitvice, le plus important en termes de superficie, concentre le tourisme sur une très petite partie de sa surface. Comme le montre la carte du programme de management reproduite en annexe (n°IX), seules les zones 3a et 3b sont accessibles sans restriction, soit au total 503 hectares (ce qui correspond à moins de 2 % de la superficie de l’ensemble qui en compte actuellement 29 672). Dans toutes les autres parties, y compris les plus préservées, incluses dans la zone 1, les flux de visiteurs sont réglementés et ces derniers doivent toujours être accompagnés par des guides. Cette volonté de limiter l’impact du piétinement des touristes se retrouve, de surcroît, dans la zone touristique du parc du fait de la matérialisation par des chemins clairement balisés et par les passerelles en bois, qui sont un des moyens employés pour canaliser les flux de visiteurs et limiter leur impact sur l’environnement. Pour les manageurs des parcs, le tourisme est donc un moyen de protéger et de gérer une étendue plus vaste. Ainsi, en rendant touristiques certaines parties des parcs, les revenus dégagés permettent d’assurer la protection de nombreux autres hectares.

Cependant, parfois, les deux logiques (exploitation touristique et protection) peuvent s’opposer frontalement. Ce sont alors les exigences liées au tourisme qui prévalent le plus souvent du fait de leur rentabilité économique avérée. Les zones protégées, quel que soit leur intérêt scientifique, ont alors tendance à être restreintes du fait du tourisme. Le cas du parc Kornati peut ici être pris pour exemple. Sa superficie a, en effet, été réduite à cause de la très forte demande touristique. Constitué de 140 îles et îlots, suivant tous la direction dinarique nord-ouest/sud-est, il tient son nom de la plus étendue des îles, Kornat qui constitue la colonne vertébrale de l’ensemble limitée, au nord-ouest, par l’île de Dugi Otok, au sud-est, par les îles du groupe de Žirje et, à l’est, par les îles Pašman, Vrgada et Muter. Le premier acte relatif à sa protection a été adopté en 1967 et il concernait alors quatre rangées parallèles d’îles. Il s’agissait, à cette époque, uniquement de valoriser, par la protection, le milieu insulaire. Les explorations de la zone sous-marine, effectuées plus tard, ont confirmé la valeur de ce biotope. De ce fait, une loi promulguée en 1980 proclama parc national à la fois les îles et la mer avoisinante. Cette délimitation englobait alors la partie sud-est de Dugi Otok (notamment la baie de Telaščica) mais, pour les besoins de l’exploitation touristique, la limite du parc national fut corrigée en 1988 et sa superficie diminuée d’un quart !

Au total, ces différentes classifications, dont le but premier se veut être la protection de certains espaces naturels, permettent, paradoxalement, d’établir un catalogue des atouts naturels du pays. Ainsi, elles sont plus orientées vers le tourisme que vers la stricte préservation de la nature. Alors qu’à l’origine, l’idée principale était celle de protection, nous considérons que ces appellations correspondent aujourd’hui à de

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véritables labels promotionnels à visée touristique. La protection cède alors le pas à l’exploitation touristique, jugée moins néfaste que d’autres types d’utilisation (exploitation forestière, minière, etc.). Peu d’obstacles s’érigent donc contre la fréquentation de ces espaces.

b. Le poids des parcs dans le tourisme croate

L’analyse que nous menons ici sera centrée sur les seuls parcs nationaux croates. En effet, même si le travail de Petar Vidaković, intitulé National Parks and protected

areas in Croatia (VIDAKOVIĆ : 2003), s’intéresse à toutes les formes de protection en

Croatie, cette étude est essentiellement descriptive et les nombreux renseignements statistiques qui y sont collectés se réfèrent au début des années 2000. Nous avons donc choisi de nous limiter aux huit parcs nationaux pour lesquels nous avons pu obtenir le nombre de visiteurs dans le recueil touristique du ministère du tourisme croate, Tourism in

figures, édité par le Bureau central des statistiques en 2007.

Utilisant ces données, nous chercherons à savoir si ces parcs nationaux (qui, après la notion de réserve naturelle stricte, représentent à la fois le degré le plus haut de protection accordé dans le pays, mais également la valorisation marketing la plus importante) sont à l’origine d’une certaine forme de tourisme autocentré. Nous nous intéresserons donc essentiellement à leur capacité d’accueil, aux pratiques touristiques, puis à leur fréquentation.

- b.1/ Les pratiques touristiques

Les touristes qui se rendent dans les parcs viennent, le plus souvent, à la journée découvrir des cadres naturels qui leur ont été vantés (cf. la promotion - chap. 7). Il est alors possible de distinguer les sites voués à la randonnée, ceux dédiés au sport ou aux activités sportives de montagnes et les sites-musées, même si souvent ces différentes pratiques sont mêlées.

 Les sites de randonnées

La plupart des touristes découvrent les parcs à pied, au cours de randonnées dont la durée peut varier car plusieurs types de circuits y sont proposés. Ainsi est-il possible de commencer la visite du parc de Krka bien en aval du site protégé lui-même, aux abords de la ville de Skradin. Pour ceux qui disposent de moins de temps, l’entrée peut se faire à partir de navettes fluviales qui, tous les quarts d’heure, approchent les touristes des chutes d’eau de Skradinski buk pour une visite qui se poursuit sur des sentiers pédestres. Les touristes peuvent ensuite emprunter un circuit avec moulin à grains et lavoirs traditionnels, aux abords desquels des marchands ambulants viennent proposer des souvenirs et des produits du terroir.

De même, Plitvice permet à ses visiteurs de choisir entre plusieurs sentiers correspondant à des randonnées plus ou moins longues (d’une demi-journée à une journée entière). Les sites de montagne comme Risjnak ou le Velebit nord offrent également diverses possibilités de randonnées.

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 Les autres pratiques de plein air

Certains parcs offrent d’autres activités. Ainsi, Paklenica est un site également connu des grimpeurs, du fait de ses parois calcaires verticales.

De surcroît, en élargissant le raisonnement aux espaces moins étroitement protégés, les activités de nature (randonnée, canoë, etc.) se développent partout, mais surtout dans tous les arrière-pays littoraux, afin d’offrir aux touristes venus essentiellement pour la mer, des activités complémentaires. Dans cette optique, la revue de l’Office du tourisme intitulée « Croatie – voyage d’aventures » (HOLJEVAC-LEPAN : 2004) recense les agences de voyages qui permettent aux touristes d’effectuer du rafting, de l’escalade, du V.T.T. ou toute autre activité de nature. Au nombre de cent-dix-huit au total, vingt-et-une seulement travaillent à l’intérieur du pays (y compris quinze ayant pignon sur rue à Zagreb). Ces derniers chiffres, sans appel, montrent bien que l’essentiel des activités de nature sont proposées aux touristes balnéaires, par des agences qui exercent dans les stations du littoral. Par ailleurs, la plupart de ces pratiques sportives ont lieu dans des espaces escarpés ce qui explique alors largement les cinq millions de nuitées attribuées (en 2008) au « tourisme de montagne » (cf. supra p.159). Cette forme de tourisme, définie par les statistiques croates, est alors, du fait de la situation sublittorale des principales chaînes de montagne (et notamment de la chaîne dinarique), tributaire de la fréquentation balnéaire. A l’intérieur, seuls les monts de la Medvednica, à proximité de Zagreb, et le mont Sljeme qui dispose de deux hôtels et offre des pistes enneigées en hiver, appartiennent réellement au monde montagnard. Mais cette pratique des sports d’hiver reste très marginale et ne peut rivaliser face aux pentes et à l’enneigement des Alpes voisines (en particulier slovènes).

A côté de ces activités sportives, il est également possible de noter que Krka offre à ses visiteurs la possibilité de se baigner dans le dernier bassin de la cascade. Mais il s’agit ici de répondre à une demande forte des touristes qui s’agglomèrent dans un bassin réduit, en voulant profiter d’eaux qu’ils imaginent pures, aux pieds de la cascade et selon un modèle symbolique largement issu des cartes postales d’un paradis perdu...

 Des sites-musées

Du fait de la volonté qui les sous-tend réellement, à savoir la protection de la nature, ces parcs se veulent de véritables musées à ciel ouvert, permettant aux touristes d’observer la flore et la faune dans un cadre privilégié. Les Kornati sont ainsi devenues des "îles-musées" qui se visitent à bord de bateaux naviguant le long de la côte, sur des circuits préétablis et ne s’arrêtant que rarement. Mais, plutôt que de protection, ceci est lié au fait que les îles sont privées et qu’il est difficile d’y débarquer. De même, Brijuni est devenu un autre espace-musée où l’on visite des vestiges archéologiques et les maisons occupées, à l’époque de la Yougoslavie, par le maréchal Tito et ses invités personnels.

Au total, dans ces parcs nationaux, la pratique touristique est celle de la visite pour la découverte. Ces espaces n’ont ni les structures d’accueil ni les services qui permettent de développer une véritable forme de tourisme autonome. Cette remarque implique l’idée que ce sont les clients du tourisme balnéaire qui alimentent les parcs (et plus généralement les espaces verts ou espaces naturels). Ces derniers ne sont que des compléments au tourisme littoral, que des attractions pour touristes balnéaires en quête de nature. Le terme de

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tourisme de parcs, comme celui d’éco-tourisme, parfois utilisé dans certaines analyses (BRALIĆ : 2000) est alors très contestable : il s’agit là, en fait, d’un tourisme de sites où le touriste est un visiteur déjà hébergé ailleurs. Il n’y a donc pas de tourisme autocentré sur les espaces naturels croates ou bien cette dernière forme est très limitée.

- b.2/ Des parcs de plus en plus fréquentés

En relation avec le mode de fonctionnement et le déversement balnéaire, les parcs sont de plus en plus fréquentés. En 2000, les huit parcs ont accueilli 1 187 000 visiteurs (VIDAKOVIĆ : 2003) et, en 2007, on en comptait 2 136 000, dont 84 % d’origine étrangère. Ces sites sont donc bien un atout incontestable pour le tourisme croate, mais ils n’ont pas tous le même poids. La figure n°23, ci-dessous, représente la répartition de la fréquentation entre les différents parcs, en se basant sur les données extraites du recueil de statistiques du ministère du tourisme intitulé Tourism in figures 2007.

Figure 23 : Répartition du nombre de visiteurs étrangers dans les parcs nationaux

croates en 2007

(Source : Tourism in figures, 2008, p.67)

Avec 840 866 visiteurs d’origine étrangère (sur un total de 927 661 visiteurs), le parc des lacs de Plitvice accueille, à lui-seul, 48 % du nombre total des visiteurs étrangers fréquentant les parcs nationaux. Ses cascades sont le phénomène naturel qui attire le plus de monde. Plitvice et Krka, qui sont dues à un même phénomène géologique (à savoir la travertinisation), représentent 81 % du total des visites des parcs. La fréquentation est donc très fortement concentrée, ces deux parcs constituant les deux centres-phares d’attraction des sites de nature en Croatie. Leur proximité avec le littoral peut, largement, expliquer cette suprématie mais elle ne justifie pas les différences de fréquentation avec les autres parcs littoraux. Il faut donc faire appel, d’une part, à l’engouement pour les cascades mais

48% 33% 6% 5% 4% 4%

Plitvice

Krka

Brijuni

Paklenica

Mljet

Kornati

Velebit nord

Risnjak