Section II La réduction du phénomène entrepreneurial aux seules entreprises nouvellement créées ou E.N.C.
Section 2 La nature des choix stratégiques des E.N.C
A) Postulats des recherches de McDouggall et Robinson, Carter et al.
Ces deux recherches constituent à notre connaissance la tentative la plus aboutie de classification par analyse typologique des comportements stratégiques des E.N.C. Le point de départ de McDouggall et Robinson, Carter et al. est commun : prenant acte des divergences de la littérature sur l’étendue et la nature des choix stratégiques des nouvelles firmes, ils estiment que les stratégies de référence ne sont pas adaptées aux cas des E.N.C. Autrement dit les typologies de Porter, de Miles et Snow ou de Maidique et Patch ne parviennent pas à décrire toute la variété et toute les difficultés des entreprises nouvelles lorsqu’elles souhaitent définir leur stratégie.
Leur argumentation ne semble pas distinguer les raisons générales d’inadéquation et celles appliquées aux cas particuliers des E.N.C -‐ toute typologie
148McDOUGGALL, P., ROBINSON, R.B. New venture strategies : an empirical identification of eight archetypes of competitive strategies for entry, Strategic management journal, vol. 11, 1990, p.447-467 149CARTER, N.M., STEARNS, T.M., REYNOLDS, P.D., MILLER, B.A., New venture strategies : theory development with an empirical base, Stategic management journal, vol.15, 1994, p.21-41
présentant en effet des limites propres quel que soit le stade d’évolution de l’entreprise. Ainsi selon nous, ces chercheurs s’appuient sur trois critiques générales à toute opération de classification et deux plus appliquées aux particularités des E.N.C. Tout d’abord, les typologies comme celle de Porter ne seraient pas suffisamment détaillées pour rendre compte de toute la variété des comportements stratégiques -‐ la notion de différenciation, par exemple, représentant un intitulé générique recouvrant de multiples façons de faire. De même, les stratégies génériques formulent le postulat d’un recours principal à un type de comportement, or l’incompatibilité entre stratégies n’est pas prouvée150 et une firme pourrait envisager de mélanger différents types stratégiques,
poursuivant par exemple, une stratégie de domination par les coûts tout en se différenciant sur le service sans que cela soit perçu négativement comme un “ enlisement dans la voie médiane ” ( le mini -‐ cas Informatique Superstore déjà évoqué p.80 est une illustration d’une stratégie fondée sur les coûts et sur le service). Enfin, la troisième objection porte sur le rôle de l’industrie comme variable déterminante certaines stratégies ne seraient-‐elles pas observables en fonction du secteur ou pour reprendre la question de recherche de McDouggall et Robinson, “ est -‐ ce que des stratégies différentes existent parmi les E.N.C. d’une même industrie? ” (McDouggall et Robinson 1990 p.451). Il s’agit en fait de contrôler la variable environnementale et la critique des chercheurs se poursuit sur l’âge de la firme comme autre variable, formulant ainsi deux remarques complémentaires appliquées aux E.N.C. Tout d’abord, les classifications usuelles manquant de finesse, ce phénomène risque d’être plus visible lorsque l’on étudie une population précise ayant un âge déterminé et l’on risque de passer à coté du comportement effectif des nouvelles venues. Deuxièmement, les nouvelles entreprises souffrant d’un “ handicap de nouveauté ”, développeraient probablement des stratégies adaptatives originales, les mettant à l’abri d’une conduite stéréotypée, car non encore conforme aux normes du secteur. Donc que cela soit par manque de finesse des typologies existantes ou par absence de types stratégiques adaptés, il s’agit bien d’adopter une démarche de recherche exploratoire permettant d’appréhender des éventuelles conduites stratégiques peu ordinaires des E.N.C. Ces deux groupes de chercheurs font d’emblée le choix d’une démarche de type quantitatif
150Desreumaux 1996a, p.88
DESREUMAUX, A., Etat de l’art en stratégie, XIIIèmes journées nationales des I.A.E. , 16 et 17 avril 1996a, p.67-102
inductif dont les apports et les insuffisances dessinent les voies de notre contribution future.
Les deux recherches procèdent toutes deux en deux temps : une analyse factorielle tente d’abord de réduire les différents leviers stratégiques utilisés par les entreprises, en composantes principales; puis comme les entreprises ne se limitent pas à l’utilisation d’une seule dimension, il s’agit d’isoler des groupes d’entreprises qui combinent de la même façon, les différentes composantes. McDouggall et Robinson souhaitent contrôler l’effet de l’industrie sur les choix stratégiques et exploitent un questionnaire postal retourné par 247 entreprises de moins de 8 ans dans deux secteurs proches (les télécommunications et l’informatique). Carter et al. pour leur part, étudient les différences entre secteurs et analysent 2275 questionnaires postaux de firmes de moins de 6 ans appartenant à 6 industries très différentes qui se répartissent en amont et en aval de la chaîne de l’offre ou filière 151.
Selon nous, les chercheurs font face avec des succès variés à deux difficultés portant sur le mode d’opérationalisation du concept de stratégie et sur le mode de recueil de l’information.
Le concept de stratégie se mesure ici par des items portant en majorité sur des
variables marketing de l’activité152, McDouggall et Robinson incluant néanmoins dans
leur questionnaire apparemment plus long153, des informations sur la stratégie
d’entreprise (plus ou moins grande intégration aval et amont des activités, rythme d’entrée sur le marché et constitution du capital social). Nous verrons que cette conception à dominante marketing de la stratégie se répercute sur la description des
151 Il s’agit de la traduction de la notion de “ supply chain ” qui commence à la fourniture de matières premières en passant par la production pour aboutir en fin de chaîne à la distribution de détail
152Les variables que nous estimons être de nature marketing portent sur le prix, la distribution, le service, les efforts promotionnels ainsi que sur les différentes caractéristiques de la clientèle (le nombre et la fréquence d’achats, nombre de commandes, existence ou non de “ gros clients ” pour Mc Dougall et Robinson) 153Mc Douggall et Robinson nous fournissent en annexe le questionnaire. Il comporte 26 affirmations et leur contraire sur une echelle d’accord en 7 points.
Carter et al. présentent dans le corps de l’article un tableau de 13 attributs stratégiques et nous disent qu’ils ont été mesurés par une échelle d’accord en 4 points
attributs stratégiques des E.N.C. Une autre différence porte sur la prise en compte des aspects concurrentiels. Carter et al. récoltent des informations sur les avantages
distinctifs de l’offre marketing (“ prix plus bas ”, “ meilleur service ”, “ satisfaire ceux
qui ne le sont pas ”, “ proposer des biens ou services différents ”, “ offrir plus de choix ” etc.). Leurs collègues n’ont pas cette approche concurrentielle et s’interrogent uniquement sur les caractéristiques générales de l’offre. En insistant différemment sur les aspects marketing et sur les comparaisons avec les concurrents, nous voyons ici que deux recherches similaires dans leurs objectifs et dans la littérature analysée, appréhendent fort différemment la manière dont les orientations stratégiques se formalisent.
Le mode de recueil d’information privilégié est dans les deux cas, l’interrogation par questionnaire : il est demandé au dirigeant son accord sur des affirmations quant aux méthodes stratégiques qu’il privilégie dans son entreprise. Les auteurs des recherches n’ont pas souhaité recouper ces affirmations avec des observations comme celles obtenues à la lecture de données documentaires154 en raison de la relative
convergence entre les deux types de matériaux dans le cas de firmes existantes (Shortell et Zajac 1990155). Cette convergence entre les déclarations et les réalisations observées
n’est pas évidente selon nous dans le cas des E.N.C. En effet, on peut néanmoins se demander si l’entrepreneur est toujours le mieux placé pour traduire les comportements stratégiques actuels de son entreprise tant il se projette dans l’avenir et dans les opportunités à saisir et tant les stratégies réalisées comportent une part d’émergence qui ne correspond pas toujours aux intentions premières des acteurs (Mintzberg et Waters 156 1985). Nous nous interrogeons pour notre contribution future
sur les limites des méthodes fondées uniquement sur le déclaratif et souhaitons pouvoir recouper celles de l’entrepreneur et des autres acteurs par des observations et une présence prolongée sur les sites d’étude.
154Il s’agit de documents écrits, sonores ou video produits par la firme ou sur la firme (tarifs, argumentaires, courriers internes, documents à destination des différentes parties prenantes ou bien articles de journaux, etc...) 155SHORTELL, S.M. et ZAJAC, E.J., Perceptual and archival measures of Miles and Snow’s stratégic types: a comprehensive asessment of reliability and validity, Academy of management journal, 33, (4), p.817-832 156MINTZBERG, H., et WATERS, J.A., Of strategies, deliberate and emergent, Strategic
management journal, vol. 6, 1985, p.257-‐272
A ce titre McDouggall et Robinson testent la fidélité de leur outil en
interrogeant un autre membre de l’équipe entrepreneuriale. Ils obtiennent un
coefficient de corrélation entre réponses de 0,58, qui peut être qualifié de moyen. Les auteurs mettent en avant les différences de fonctions d’appartenance entre les deux répondants, attestant de l’existence de différences de perception selon les fonctions. Toutefois Boeker dans une recherche sur un plus petit échantillon -‐51 E.N.C. chez Boeker contre 247 pour McDouggall et Robinson-‐ obtient un taux de 0,80 entre les réponses de l’entrepreneur et celle de sociétés d’étude de marché spécialistes du secteur (Boeker 1989157). Certes, les personnes extérieures répondent peut-‐être de manière
plus objective mais cette convergence se comprend surtout si l’on sait que les questions portaient en fait sur la reconstitution a posteriori des stratégies de démarrage. Ainsi,
particulièrement pour des E.N.C. les convergences d’analyse quant au comportement stratégique adopté ne sont pas évidentes. Elles seraient néanmoins
obtenues plus facilement sur le rappel de comportements passés que sur les déclarations portant sur les comportements actuels -‐ ces dernières présageant plus des comportements futurs de la firme. Ces chercheurs nous mettent en garde : il ne faut pas confondre l’étude des comportements stratégiques effectifs qui s’appréhenderaient par la recherche des déclarations ex post ou par l’observation et l’étude des intentions stratégiques sur la base de déclarations sur le comportement présent, qui elles, présagent plutôt des manières de faire actuelles et futures. En fait, tout se passe comme si la stratégie ex post recueillait l’unanimité tandis que celle du moment présent s’apparente plus à une stratégie intentionnelle dont seule la réalisation pourra mettre d’accord les acteurs.
L’interrogation d’un deuxième répondant n’a pas été choisie par Carter et al. En effet, ces derniers s’assurent de manière différente de la fiabilité des données : ils divisent leur échantillon en deux et obtiennent des alphas de Cronbach acceptables lorsque répétant le test de fidélité sur l’autre moitié. Nous pouvons en conclure que la représentation qui émerge, diffère d’une solution obtenue au hasard (voir tableau suivant sur les méthodologies comparées des deux recherches).
157BOEKER, W., Strategic change: the effects of founding and history, Academy of management journal, vol.32, n°3, 1989, p.489-515
B) Résultats des recherches
Comme la recherche de McDouggall et Robinson porte sur un plus petit échantillon que celle de leurs confrères (247 / 2275), avec un nombre d’items supérieur (26 / 13) capturant davantage de facettes du concept de stratégie, il n’est donc pas étonnant que le nombre de facteurs étudié soit supérieur à celui de la recherche de Carter et al (9 facteurs contre 6). Néanmoins, bien que des alphas autour de 0, 6 soient acceptables dans une recherche exploratoire, les indicateurs de fiabilité semblent plus sujets à caution dans le cas de McDouggall et Robinson -‐ 4 se situant entre 0,3 et 0,15
Tableau 11 : Les recherches de McDouggall et Robinson, Carter et al. : comparaison des méthodologies
Auteurs McDouggall et Robinson
1990 Carter et al. 1994 Echantillon 247 entreprises de moins
de huit ans 1 industrie
2275 firmes de moins de 6 ans
6 industries
Mode d’administration Questionnaire postal Questionnaire postal Nombre total d’items du
questionnaire 26 items 13 items Technique d’analyse Analyse en composantes
principales et typologie
Analyse en composantes principales et typologie Nombre de facteurs
retenus pour l’analyse en composantes principales et nombre de groupe
9 8 6 6 % de la variance totale
expliquée Non précisé 72 %
Test de validité et de
fidélité ⇒ Questionnaire soumis à experts, sans précision sur leur nombre et leur qualité ⇒ Deuxième répondant pour 50 entreprises (coefficient de corrélation de 0,58)
⇒ 5 alphas de Cronbach sont compris entre 0,70 et 0,45
4 alphas entre 0,3 et 0,15
⇒ Tous les facteurs ont des alphas supérieurs à 0,61 et de 0,58 lorsque l’on répète le test sur l’autre moitié