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Des stratégies en fonction du rythme d’entrée

Section II La réduction du phénomène entrepreneurial aux seules entreprises nouvellement créées ou E.N.C.

Section 2 La nature des choix stratégiques des E.N.C

B) Des stratégies en fonction du rythme d’entrée

Les objectifs stratégiques des E.N.C. peuvent présenter des calendriers de réalisation variables : l’occupation de plusieurs domaines d’activités pouvant se faire de prime abord ou bien progressivement, différenciant des stratégies agressives - la firme investit un grand nombre de segments - à d’autres plus progressives pour lesquelles l’entreprise ajoute à une activité minimum, d’autres en fonction de ses objectifs et de ses moyens. L’arbitrage entre ces deux options dépendrait entre autres des ressources de la nouvelle firme mais aussi du stade de maturité du secteur. Pour Romanelli sur les 108 E.N.C. étudiées, les stratégies progressives effectuées dans un marché décroissant sont corrélées avec des taux de survie supérieurs aux stratégies agressives (Romanelli 1989). Comme la prise en compte du rythme d’entrée nécessite de se poser la question des perspectives futures de développement de produit / marché, nous pouvons envisager une démarche stratégique séquentielle pour la nouvelle firme dans laquelle l’entrepreneur choisit d’abord le nombre d’activité à développer, puis les échéances de développement.

On peut rétorquer à ce schéma que les dirigeants n’ont pas toujours prévu les activités futures qu’ils souhaitent développer. Cette critique s’adresse davantage au manager qu’à l’entrepreneur qui, par essence, développe sans cesse de nouvelles activités. Ainsi,

Figure 5 : Les choix séquentiels des E.N.C.

Nombre  d’activités  à  developper?  

Faible   Elevé  

Stratégie  

spécialisée   Stratégie  généraliste   Echéance  de  développement  des   activités?  

Immédiate   et  

simultanée  

Différée  

l’entrepreneur est plutôt décrit comme celui qui possède une “ vision stratégique ” de la place de son entreprise dans le futur et donc, plus que le manager, il se projette dans un avenir qui lui permet d’envisager son rythme de développement à moyen terme. Sa capacité à saisir des opportunités présentes est guidée par cette vision d’avenir et l’entrepreneur est réputé pour son agilité temporelle, soit l’aptitude à gérer simultanément du long et du court terme (Bird et Jelinek 1992139). Ainsi, si on reproche au manager sa “ myopie stratégique ” - l’activité quotidienne est clairement perçue et celle à moyen terme parait plus floue - l’entrepreneur souffrirait plutôt d’une forme de “ presbytie stratégique ”, tant son esprit foisonne de projets et d’opportunités à saisir dans le futur, tout en ayant une vision peu nette des activités présentes à réaliser pour atteindre ces projets. En raison du caractère éminemment projectif des actions entrepreneuriales avec leurs anticipations à caractère opératoire qui guident les actions, l’objection sur le schéma précédent tombe, même si les réalisations a posteriori ne correspondent pas toujours aux intentions d’origine. Cette courte discussion sur les particularités de la gestion temporelle de l’entrepreneur ne doit pas nous faire oublier notre propos sur le contenu des stratégies d’entrée en fonction du rythme de développement des activités prévues, la firme se trouvant confronté à l’alternative d’une entrée à grande échelle (stratégie agressive) ou à pas comptés (stratégie progressive).

a) Stratégie agressive

 

Une firme possède une stratégie agressive lorsqu’elle cherche à acquérir et à contrôler le maximum de ressources possibles dans des délais les plus courts. Ces ressources peuvent être d’ordre matériel (force d’achat importante ou gamme large de produits à la vente; équipement de production conséquent et réseau d’approvisionnement ou de distribution), d’ordre humain (recrutement du personnel le plus compétent et représentation de toutes les fonctions d’entreprise) ou financiers (investissements, fond de roulement et trésorerie). Cette multidimensionnalité de la stratégie agressive n’est pas sans poser problème dès que l’on veut mesurer ce comportement. Ainsi, Romanelli opérationalise la notion de stratégie agressive en comptant le nombre de lignes de produits distincts que la compagnie commercialise les trois premières années. Ce délai de stabilité de 3 ans tient compte du fait que l’échantillon étudié                                                                                                                

139 BIRD, B., JELINEK, M., The operation of entrepreneurial intentions, Entrepreneurship theory and practice, spring 1992, p.21-30

est constitué de firmes fabricant des micro-ordinateurs qui changeraient souvent de stratégie les premières années (Romanelli 1989). Cette recherche nous laisse entrevoir toute les difficultés d’appréhension des comportements stratégiques des nouvelles firmes avec des problèmes de comparaison des résultats, ces derniers dépendant autant des choix d’opérationalisation du chercheur que des particularités de l’échantillon.

Avec les stratégies agressives, la nouvelle entreprise se détache des problématiques de la petite entreprise. En effet, un démarrage sur une large échelle permet

à la nouvelle firme de bénéficier dès le lancement des caractéristiques des entreprises de taille respectable (économie d’échelle et de champ). La période de crise de crédibilité se trouve raccourcie en raison de moyens imposants que la nouvelle venue signale à l’environnement. On peut également penser que la stratégie agressive évite une forme de dilution des ressources dans le temps - l’entreprise estimant qu’accorder le maximum de moyens au démarrage

est plus économique qu’un saupoudrage progressif, risquant de faire perdre les effets

d’expérience, qui au lieu de s’accumuler se réapprennent à chaque nouvel investissement. Remarquons qu’en cas de cible étroite et de segment émergent, notre E.N.C. peut parvenir à une situation de monopole particulièrement dans les cas d’une concentration sur les coûts (Porter 1997).

Cas n°9 : Check Up service ou le cas d’un démarrage d’entreprise à grande échelle

 

L.,   économiste   et   M.,   médecin,   la   quarantaine   tous   les   deux,   se   rencontrent   lors   d’une   formation   en   entrepreneuriat   d’une   grande   école   française.   Ils   décident   de   s’associer   pour  développer  un  projet  cher  à  M.  qui  consiste  à  proposer  dans  toute  la  France  des   bilans   de   santé   et   des   vaccinations   aux   cadres   d’entreprise   se   déplaçant   à   l’étranger.   Leur   cible   est   constituée   des   grandes   entreprises,   comme   Air   France   ou   Elf   Aquitaine   qui   expatrient   ou   font   voyager   fréquemment   leurs   cadres.   La   décision   de   couvrir   l’Hexagone   et   de   s’adresser   à   des   groupes   réputés,   les   amènent   “  à   voir   les   choses   en   grand  ”   :   démarrage   en   société   anonyme,   ouverture   simultanée   de   5   centres   sur   le   territoire,   campagne   publicitaire   dans   la   presse   professionnelle,   invitation   des   directeurs  de  ressources  humaines  dans  des  lieux  de  prestige.  Leur  apport  initial  étant   de  200  000  francs,  ils  sont  obligés  de  contacter  les  banques.  A  leur  grand  étonnement   l’ambition   de   leur   projet   au   lieu   d’inquiéter,   rassure   et   ils   obtiennent   facilités   de     trésorerie   et   emprunts   à   un   taux   correct.   Nos   deux   associés   ne   regrettent   pas   ce   démarrage   en   fanfare,   cela   leur   semblait   la   seule   solution   pour   s’acquitter   du   “  droit   d’entrée  ”   sur   ce   marché,   même   si   les   risques   sont   importants   et   la   peur   de   l’échec   accompagne  certaine  de  leurs  nuits  blanches.    

Dans d’autres cas les entreprises, souvent au potentiel de développement moins perçu comme prévisible, optent pour des stratégies plus progressives.

b) Stratégies progressives

 

Occuper graduellement différents segments est une alternative réaliste permettant de minimiser les risques initiaux, et évite, par exemple, la concurrence directe. Dans le cas d’environnements complexes et turbulents, cette approche pragmatique favorise l’adaptation de l’offre de la nouvelle firme - cette dernière développe ses activités au gré des

opportunités qui apparaissent et de la vision d’avenir qui se construit progressivement dans l’action. Ce mode d’entrée semble réussir davantage aux firmes lancées dans des

secteurs arrivés à maturité car, comme le gain de nouveaux segments s’effectue souvent au détriment de divers concurrents, la bataille se joue dans la durée (Romanelli 1989).

L’élargissement progressif du portefeuille d’activités peut également se matérialiser par des formes de stratégies relationnelles ou d’alliance visant à partager les risques et les

coûts liés aux investissements dans d’autres activités. Les structures récentes choisissent de s’allier ou de se regrouper, contrôlant ainsi davantage les aléas du jeu concurrentiel (Dussauge et Garrette 1995140). Plus qu’une mise en commun d’activités, les petites entreprises vont chercher à gérer de façon complémentaire certains maillons de la chaîne de valeur. Le cas Syntex est un bon exemple de regroupement d’activités complémentaires dans un seul lieu et à l’instigation d'une E.N.C.

                                                                                                               

Ces stratégies progressives permettent d’inscrire la démarche stratégique dans la durée. Ramanantsoa parle de “ stratégies à plusieurs coups ” avec lesquelles des entreprises vont d’abord occuper des marché “ faciles ” avant de s’attaquer à des segments plus délicats (Ramanantsoa 1997141). Lorsque ces stratégies agressives/progressives sont croisées avec la plus ou moins grande étendue du marché ciblé (stratégie large/étroite) quatre cas de figure peuvent être distingués.

                                                                                                               

141 RAMANANTSOA, B., Stratégie, in Encyclopédie de gestion , Economica, sous la direction de P. Joffre et Y. Simon, 1997, p.3026 - 3042

Cas n°10 : Syntex ou comment une stratégie d’alliance permet d’envisager un élargissement de son portefeuille d’activités

 

A  l’école  d’architecture  J.L.  découvre  le  travail  des  images  de  synthèse.  A  l’époque   ses   condisciples   sont   encore   peu   familiarisés   avec   ces   techniques.   Une   fois   sa   plaque  d’architecte  vissée  J.L.  consacre  son  activité  à  l’élaboration  d’images  pour   le   compte   de   ses   confrères.   Face   à   la   forte   demande,   il   décide   de   créer   son   entreprise   en   concevant   et   adaptant   des   outils   informatiques,   proposant   son   savoir  faire  au  niveau  national  et  international.  Au  bout  de  cinq  ans  d’activité  et   face   à   un   relatif   essoufflement   du   marché   de   la   construction,   notre   fondateur   souhaite   se   diversifier.   Pour   cela   et   en   raison   de   sa   méconnaissance   des   autres   domaines  utilisant  les  images  de  synthèses,  il  décide  d’attirer  dans  ses  locaux  des   entreprises  dans  le  domaine  du  multimédia,  leur  proposant  de  leur  louer  tout  ou   partie  du  matériel  informatique  possédé.  Une  première  entreprise  alliée  propose   des  logiciels  pédagogiques,  une  autre  travaille  dans  l’imagerie  médicale.  Puis  une   troisième,   achetant   également   le   savoir   faire   technologique   et   les   logiciels   de   Syntex   s’oriente   vers   la   clientèle   de   décorateurs   et   de   fournisseurs   de   revêtements.  Les  décorateurs  travaillant  eux  aussi  avec  des  architectes,  amènent   en  retour  des  nouveaux  clients  à  Syntex.  Ainsi  cette  entreprise  élargit  ses  activités   en   se   diversifiant   dans   la   décoration   tout   en   vendant   son   savoir-­‐faire   dans   les   domaines   médicaux   et   de   formation   et   contribue   ainsi   à   l’implantation   d’un   groupe  d’entreprises  aux  diverses  activités  complémentaires.    

Dans cette perspective les ambitions des E.N.C. seraient perceptibles à leur manière d’entrer sur le marché : la firme aspirant à une forte croissance et à une taille respectable -la future grande- aura tendance à adopter une stratégie large et agressive, tandis que la firme ambitieuse débutera avec une stratégie plus progressive. De même les entreprises n’ayant pas d’objectif de croissance s’attacheront à des stratégies plus étroites, soit pour être le leader du segment avec une stratégie agressive soit pour grignoter des parts de marché au fil du temps avec une stratégie progressive. Les ambitions du nouvel entrant se matérialisent par l’étendue de la cible à atteindre et par la cadence avec laquelle les objectifs se réalisent. Elles peuvent également reposer sur un ou plusieurs avantages concurrentiels perçus comme autant de voies de différenciation.

Les quatre cas présentés précédemment, que nous retrouveront lors de l’exploration empirique, peuvent être classés sur ce schéma. Syntex produit des images de synthèse pour les architectes et souhaitant se diversifier dans d’autres domaines, cette entreprise présente un potentiel de développement, que le maintien dans le seul secteur de la construction ne laissait pas présager au démarrage. Vigne Service, intérim dans les travaux du vignoble du Médoc, est sur une niche très étroite en raison de l’activité exclusivement viticole voulue par l’entrepreneur et peut espérer grignoter quelques compléments d’activités en “ franchisant la formule ” ou en formant d’autres entreprises d’intérim dans d’autres vignobles. Check-up, bilan médicaux pour expatriés, s’adresse à tous types d’entreprises qui envoient un salarié à l’étranger et cela sur tout le territoire français grâce à la création simultanée de 5 centres. Les

Figure 6 : les stratégies d’entrée des E.N.C. en fonction du nombre de segments visés et du rythme d’entrée

 

Nombre  de  segments    

Nombre  d’activités   effectuées   simultanéement   stratégie     large   Stratégie   étroite   Stratégie   progressive   Stratégie  agressive   Grignotage   Potentiel  de   développem ent   Future   grande     Leader  

services proposés sont les plus complets possibles avec des liens avec les hôpitaux locaux qui leur permettent de faire des examens médicaux très complets. Tous ces éléments nous font dire que l’on peut qualifier cette entreprise de “ future grande ”, du reste les banquiers ne s’y sont pas trompés en leur prêtant près de deux fois leur apport initial (les capitaux permanents sont constitués à 65 % d’emprunt et à 35% de l’apport initial). Enfin, Informatique Superstore propose peu de références d’ordinateurs à une clientèle de centre ville constituée de jeunes travailleurs et d’étudiants et souhaite être le leader sur ce type de magasin à Bordeaux.