Section II La réduction du phénomène entrepreneurial aux seules entreprises nouvellement créées ou E.N.C.
Encadré 16 : les organisations incubatrices
A) Arguments de contingence et d’adéquation stratégique
On met ici en exergue le rôle proactif des entrepreneurs dans les choix stratégiques. Réagissant à la perspective précédente, cette approche plus volontariste restaure le rôle et l’influence des dirigeants et reconnaît leur autonomie par rapport à un certain nombre de contraintes organisationnelles et environnementales (Child 1972121, Drucker 1985122, Vesper 1993123). Plusieurs arguments étayent cette thèse : la
nouvelle entreprise choisissant d’abord parmi l’éventail des stratégies possibles celle qui lui semble la plus cohérente avec l’ensemble des facteurs internes et externes en jeu lors du lancement (A); avec la volonté de ne pas se priver de portions de marchés génératrices de profit, les choix reposent également sur des arguments d’efficience (B), avec une plus ou moins grande attention portée par les entrepreneurs à des conditions concurrentielles favorables (C) qui permettent à la nouvelle firme d’avoir recours à toute la palette des choix possibles.
A) Arguments de contingence et d’adéquation stratégique
Il s’agit de choisir une stratégie adaptée aux activités envisagées, au projet de l’entreprise, aux objectifs de l’entrepreneur et aux conditions environnementales et non de se priver a priori de segments de marchés qui pourraient se révéler prometteurs, dans le but masochiste de s’enfermer dans un segment étroit, de peur qu’un secteur large attire des concurrents. Dans cette optique, les choix stratégiques ne sont pas dictés d’avance mais résultent d’une conjonction unique de variables. La contingence est de règle et la stratégie naît de la rencontre entre les aspirations de l’entrepreneur, les ressources possédées et les possibilités de l’environnement. La thèse de l’adéquation contredit le déterminisme précédent car on ne postule pas, ex ante la supériorité des stratégies de spécialistes pour les nouvelles venues, en ne présageant pas à l’avance des choix stratégiques qui conviennent.
121CHILD, J., Organizational structure, environment and performance: the role of strategic choice, Sociology, 6, 1972, p.1-21
122DRUCKER, P., Les entrepreneurs, l’expansion hachette, J.C. Lattes editeur 1985, 341p. 123VESPER, K , New venture mechanics. Prentice Hall 1993, 376p.
Le degré d’adéquation -‐ “ fit ” en anglais -‐ entre différentes variables organisationnelles, stratégiques et environnementales apparaît, dans la recherche de Naman et Slevin, comme corrélé aux performances financières de la firme (Naman et Slevin 1993124). Cette notion correspond ici au degré de consistance entre deux ou
plusieurs composantes. Définissant un niveau souhaité d’entrepreneuriat comme étant un comportement à la fois proactif, innovateur et ne dédaignant pas les risques, les chercheurs interrogent 82 cadres -‐ dirigeants de petites et moyennes entreprises manufacturières de produits à vocation technologique sur la structure organisationnelle et sur leurs choix stratégiques. Ils mesurent au moyen de différents scores, le degré d’adéquation entre les différentes variables organisationnelles, stratégiques et environnementales et le niveau d’entrepreneuriat. Le score final d’adéquation apparaît corrélé aux performances financières de la firme. Il n’y a donc pas un bon choix
stratégique pour une firme entrepreneuriale mais plutôt certains choix stratégiques apparaissent comme plus ou moins adaptés à un type d’environnement et de structure. Cette rencontre entre des conditions
environnementales, des aspirations entrepreneuriales et les choix stratégiques a été illustrée par Bruyat en création d’entreprise lorsqu’il développe la notion de configuration stratégique instantanée perçue, ou CSIP, et l’applique au phénomène de création d’une entreprise, R. Paturel proposant d’utiliser cette notion comme outil de diagnostic stratégique (Bruyat 1993 et Paturel 1997125)
124NAMAN, J.L.et SLEVIN, D.P., Entrepreneurship and the concept of fit: a model and empirical tests, Strategic management journal, vol.14, 1993, p.187-153
125BRUYAT, C., Création d’entreprise : contributions épistémologiques et modélisation. Thèse pour le Doctorat ès sciences de gestion, Université P. Mendès-France (Grenoble II), 20 octobre 1993, 424p voir p.239-255 PATUREL, R. Pratiques du management stratégique, Presse Universitaire de Grenoble, 1997, 150p. voir p. 9-16
Figure 4 : Une application des théories de la contingence en entrepreneuriat - la Configuration Stratégique Instantanée Perçue (CSIP) d’après Bruyat 1993
Les décisions de l’entrepreneur sont le fruit d’une histoire et d’un contexte et les projets naissent dans la zone de cohérence de la CSIP, c’est-‐à-‐dire à l’intersection des aspirations et ressources de l’entrepreneur ainsi que des possibilités de l’environnement. Les choix stratégiques sont soumis au hasard d’un alignement favorable entre des conditions internes et externes à la nouvelle entreprise.
Aspirations Compétences et ressources perçues Possibilités de l’environnement Choix stratégiques
Certes ces applications des théories de la contingence laissent une place relativement faible à la volonté des acteurs, tant cette dernière se trouve partagée entre les actions environnementales et les choix structurels et entre le mélange unique représenté par la congruence entre variables. A ce titre, la contingence comme argument à la pluralité des choix stratégiques est discutable. Néanmoins, nous sommes bien obligée de constater que la variété des configurations possibles ne limite pas les choix stratégiques et qu’une infinité d’options stratégiques est envisageable. Par conséquent les perspectives de la contingence, même si elles n’appartiennent pas strictement aux thèses volontaristes, permettent toutefois d’envisager des choix stratégiques multiples.
B) Arguments d’efficience
Une démarche efficiente consiste à chercher le meilleur rapport avantages/ coûts et à utiliser les moyens disponibles de la manière la plus productive. Si l’on conseille à chaque fois aux nouvelles entreprises de démarrer avec de faibles ressources et de chercher la stratégie la moins coûteuse, il se trouve pourtant des situations où, possédant d’importants moyens, il serait peu opportun de ne pas adapter la stratégie aux ressources. C’est particulièrement le cas des entreprises démarrant avec un capital appartenant en majorité à d’autres entreprises ou l’exemple plus particulier des filiales communes ou “ joints ventures ”. Les nouvelles venues pouvant bénéficier d’économies d’échelle et de champ ainsi que de la réputation des entreprises -‐ mères, il n’y a plus de raison valable à vouloir se cantonner à des niches inoccupées. Les performances des entreprises s’emparant d’une portion convenable de la demande et s’y maintenant sont supérieures à celles démarrant timidement et voulant croître par la suite. Ainsi, les choix stratégiques s’opérant bien en fonction des moyens et des objectifs, sont à ce titre très variés.
Biggadike, dans une recherche souvent citée, étudie les performances de 68 activités de biens industriels lancées par 35 firmes déjà existantes, dans des domaines sur lesquels elles n’intervenaient pas auparavant (Biggadike 1979126). Il remarque que
des manoeuvres de diversification consistant à démarrer sur un petit segment et à