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Des stratégies en fonction des modes de différenciation

Section II La réduction du phénomène entrepreneurial aux seules entreprises nouvellement créées ou E.N.C.

Section 2 La nature des choix stratégiques des E.N.C

C) Des stratégies en fonction des modes de différenciation

Tout d’abord force est de constater qu’une différenciation, entendue comme les actions consistant “ à produire des offres comportant des différences par rapport à l’offre de référence ”142, peut s’effectuer sur un nombre très important de caractéristiques. Face à cette multitude de modes de différenciation, le repérage des dimensions les plus pertinentes pour la nouvelle entreprise s’avère délicat. Deux dimensions nous sont néanmoins suggérées respectivement par McDouggall et al. ainsi que par Bhide : la première a trait au type d’offre et l’on peut opposer une différenciation technologique à une différenciation plus marketing, la deuxième repose sur une particularité organisationnelle de la nouvelle firme, à savoir le rôle prépondérant de son fondateur, nous amenant à distinguer un avantage concurrentiel fondé sur les actifs de l’entreprise à une différenciation reposant davantage sur la personne du fondateur (différenciation organisationnelle / personnaliste) (McDouggall et al. 1994143 et Bhide

1994144).

a) Stratégie de différenciation technologique / différenciation marketing                                                                                                                

142Strategor 1997, p.81

143McDOUGGALL, P., COVIN, J., ROBINSON, R.B., HERRON, L. The effects of industry growth and strategic breadth on new venture performance and strategic content, Strategic management journal, vol. 15, 1994, p.537-554

144BHIDE, A. How entrepreneurs craft strategies that work, Harvard business review, march - april 1994, p.150-161

La différenciation technologique / marketing effectue un parallèle avec les sources d’innovations: celles engendrées par l’évolution technologique étant “ poussées ” par les caractéristiques techniques du produit et les autres au contraire “ tirées ” par le marché et par les différentes variables marketing (Tarondeau 1994 p.38145). Bien sûr ce type de différenciation n’est pas spécifique aux entreprises nouvellement créées ou E.N.C. car portant sur les types de produits proposés qui a priori ne différent pas entre entreprises - c’est plutôt la manière de les proposer qui diffère.

Le recours à une différenciation “ technology push ” dépend bien souvent du degré de maturité de l’industrie - les entreprises existantes laissant aux nouvelles entreprises le soin de tester le potentiel d’un secteur émergent même si ce sont souvent à l’intérieur de ses grandes firmes que naissent les projets - un développement en externe, par le biais par exemple d’une politique d’essaimage, contribuera à la création d’une entreprise qui pourra être rachetée en retour par les firmes installées. Les caractéristiques du produit jouent aussi un grand rôle. En effet, si le produit est relativement standardisé les nouvelles venues préfèrent adopter une position de leader plutôt que de suiveur pour bénéficier au plus vite d’économies d’échelle. A l’inverse si le produit est faiblement standardisé les E.N.C. peuvent sans mal s’engouffrer à la suite d’un pionnier sur une innovation produit (Day 1992146). Les différenciations “ market pull ” sont largement utilisées par les nouvelles firmes, même si elles exigent parfois des investissements en études de marché souvent inaccessibles aux E.N.C., faute de ressources suffisantes.

Ces distinctions seraient banales si l’on n’encourageait pas plus souvent les E.N.C. à forte différenciation technologique plus que marketing en raison de l’avantage relatif des nouvelles firmes. Pourtant comme nous avons tenté de le montrer cet avantage ne doit pas être

                                                                                                               

145TARONDEAU, J.C.Recherche et développement, Vuibert gestion1994, 237p.

146DAY, L.D., Research linkage between entrepreneurship and strategic management or general management, in The state of the art of entrepreneurship, édité par D.L. Sexton et J.D. Kasarda PWS Kent, 1992p.117-163. Cet auteur se fait ici l’écho de transpositions possibles de recherches sur les diffusions de nouveaux produits et d’innovations

étudié de manière générale, comme c’est souvent le cas, mais bien en fonction de la plus ou moins grande maturité du marché et de la plus ou moins faible standardisation du produit.

b) Différenciation organisationnelle/ personnaliste

On distingue les actifs spécifiques possédés par l’entreprise, d’autres indissociables de la personne de l’entrepreneur. Cette opposition est justifiée dans la mesure où le phénomène entrepreneurial repose sur la volonté du fondateur de la nouvelle firme et que l’on peut observer des confusions entre les stratégies de l’entreprise et celles de l’entrepreneur dans le cas d’existence de dialogiques entre le projet d’entreprise et celui de l’individu (Bygrave et Hofer 1991, Bruyat 1993). Cette particularité des E.N.C. étant au coeur de la construction de notre problématique future, nous ne pouvons faire l’économie de ce type de différenciation.

Précisément, d’un côté la firme possède à son actif des ressources comme des brevets, des contrats de franchise ou de licence ainsi que des biens immobiliers et de l’autre, la différenciation tient à la personne du fondateur qui joue le rôle d’agitateur (“ hustle ”) et positionne la nouvelle entité en mettant en avant sa propre personne ou en décidant volontairement de conserver les actifs en nom propre (Bhide 1994). Les deux modes peuvent coexister, mais l’un présente souvent plus d’importance que l’autre et le rapport peut être défini en comparant le prix de cession de la nouvelle entreprise en cas de départ du

fondateur, à l’évaluation actuelle au regard de la seule rentabilité économique. Cette

mesure n’a jamais été faite à notre connaissance, car peut-être demandant de réunir différents experts pour évaluer l’entreprise avec toute la difficulté pour trouver un accord sur la valeur la plus réaliste d’une entreprise dont on anticipe le potentiel futur (Caby et Hirigoyen 1997 147)

Plus les actifs de l’entreprise sont spécifiques et / ou plus les liens qui unissent ces ressources aux performances sont peu explicables, comme c’est souvent le cas des actifs reposant sur des facteurs humains, et plus la différenciation est difficile à imiter

(Aurégan et al. 1997 p. 2060). Il est ainsi des nombreuses sociétés de conseil qui reposent                                                                                                                

souvent sur les capacités relationnelles du fondateur qui sait rassembler autour de lui les compétences nécessaires. Une différenciation fondée sur la personne de l’entrepreneur comporte des risques pour la nouvelle firme dans la mesure où la pérennité de cette dernière dépend des motivations de l’entrepreneur et de facteurs aléatoires comme sa santé - l’entreprise devenant dépendante de son fondateur.

Nous pouvons croiser la dimension source de différenciation (technologie/ marketing) et le mode d’acquisition de l’avantage concurrentiel (avantages fondés sur les actifs de l’entreprise / avantages fondés sur la personne du fondateur).

Cas n°11 : Mini capsule ou l’exemple d’une différenciation tributaire de la personne d’un des fondateurs

 

M.   chercheur   dans   un   important   organisme   public   décide   de   valoriser   un   brevet   qu’il   a   déposé   en   son   nom   et   avec   l’accord   du   laboratoire   initiateur   du   projet.   Il   s’agit   d’un   procédé   innovant   de   micro   -­‐   encapsulage   de   différentes   substances   chimiques  dont  la  diffusion  se  trouve  étalée  dans  le  temps.  Il  décide  de  créer  une   entreprise   et   fait   appel   à   différents   associés.   L’entreprise   démarre   avec   succès   trouvant  diverses  applications  dans  l’industrie  pharmaceutique  et  cosmétique  -­‐  la   libération   prolongée   des   molécules   permettant   un   meilleure   ciblage   de   leur   utilisation   et   par   là   même,   de   substantielles   économies.   Toutefois   M.,   méfiant   par   rapport  au  monde  de  l’entreprise  relativement  nouveau  pour  lui,  souhaite  garder  la   propriété   du   brevet.   Il   se   protège   ainsi   d’une   éventuelle   mésentente   entre   les   associés   qui   l’amènerait,   dans   ce   cas,   à   retirer   l’utilisation   de   la   technique   à   la   société  Mini  capsule.  Les  autres  partenaires  craignent  fortement  cette  éventualité,   l’entreprise   perdant   d’un   coup   la   technologie   qui   lui   est   propre   et   ils   se   sentent   pieds  et  poings  liés  au  bon  vouloir  de  M.  Cette  entreprise  étant  toujours  dans  une   phase  de  développement  des  applications,  ne  génèrent  toujours  pas  de  bénéfices  et   se   retourne   vers   différentes   banques   pour   appuyer   son   expansion.   Celles-­‐ci   constatant  que  le  brevet  n’apparaît  pas  dans  les  actifs  incorporels  mais  en  charge   versée  à  M.  annoncent  qu’elles  ne  prêteront  pas  d’argent  à  la  société  tant  qu’elle  ne   sera  pas  propriétaire  du  brevet,  mais  accepte  que  M.  reste  à  sa  tête  en  dépit  de  ses   méconnaissances   en   gestion,   car   possédant   également   tout   le   savoir-­‐faire   technologique   et   tous   les   contacts   scientifiques   nécessaires   à   l’évolution   de   l’entreprise.  

Lorsque la différenciation est davantage fondée sur la personne de l’entrepreneur que sur les actifs de l’entreprise, cette dernière est tributaire du fondateur et la stratégie repose sur l’individu. Nous intitulons les deux stratégies dont la différenciation est fondée sur les actifs de l’entrepreneur la stratégie du technicien et du séducteur en pensant à deux exemples célèbres : Moréno - le créateur des cartes à puces - dessaisi de son invention faute d’autres ressources que les siennes et aux père et fils Leclerc qui, en ne possédant pourtant que quelques magasins, tiennent tout un réseau sur leur seul nom en dépit de sa fragilité évidente. De manière normative les stratégies du technicien et du séducteur seraient transitoires, décrivant une étape vers les stratégies d’entreprise aux modes de différenciation bâtis sur les ressources de la firme. C’est par exemple le cas de l’artisan, traiteur en plats cuisinés qui décide de passer à la vitesse supérieure et constitue une véritable unité de production de plats cuisinés avec une marque à son nom, déposée par l’entreprise et constituant ainsi les premier actifs détenus par la firme.

En conclusion, un certain nombre d’auteurs et de recherches estiment que les stratégies sectorielles d’entrée des E.N.C. peuvent être décrites au moyen des dimensions comme l‘étendue du segment à atteindre, le rythme d’entrée et le mode de différenciation. Ces dimensions nous permettent de tracer à grands traits l’itinéraire stratégique des nouvelles

Figure 7 : Typologie des stratégies de différenciation des E.N.C.

 

Source  de  différenciation    

Type  d’avantage   concurrentiel   Marketing  

Produit  

Fondée  sur  la   personne  de   l’entrepreneur  

Fondée  sur  les   actifs  de  la  firmes   Stratégie  de  

technicien   Stratégie  

séducteur     Stratégie  tirée  par  le   marché   Stratégie   poussée  par   la  technique  

firmes. Dans la figure précédente, les E.N.C semblent utiliser simultanément plusieurs dimensions, comme si elles appuyaient en même temps sur un ensemble de leviers stratégiques originaux. Il s’agit maintenant d’examiner toutes les combinaisons possibles étudiées par les chercheurs qui fournissent autant de typologies adaptées à la nouvelle entreprise.

§ 2 - Typologies des comportements stratégiques d’entrée des E.N.C.

Les dimensions précédentes ont été combinées par McDouggall et Robinson ainsi que Carter et al. pour mener des recherches empiriques quantitatives dont le but était d’appréhender le comportement réel des nouvelles firmes (McDouggall et Robinson 1990148, Carter et al. 1994149). Pour ce faire ces deux groupes de chercheurs adoptent des postulats originaux (A) et nous proposent des résultats éclairant sous un jour nouveau certaines facettes du concept de stratégie appliqué aux E.N.C. (B).