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CHAPITRE 2 : ANALYSE NARRATIVE DE JOSUÉ 6 INSPIRÉE PAR L’ARL

2.3. La portée théologique du récit

Le récit de Jos 6 à une portée théologique. Le texte nous livre un discours sur Dieu. Comme l’écrit A. Wénin, « [l]a réécriture fictionnelle de l’histoire du peuple d’Israël et de ses ancêtres procède de la nécessité de montrer comment le Dieu d’Israël se mêle à l’histoire des hommes pour entrer dans une interaction complexe, mais féconde avec les libertés humaines231. » Dans la même veine, R. Alter écrit que « [l]a narration biblique […] est […] une sorte de

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discours sur le dessein de Dieu dans l’histoire et sur ce qu’il attend de l’homme232. »

S. Dinsenmeyer à son tour, explique qu’au-delà des différentes méthodes d’études des textes bibliques, l’important dans l’étude d’une histoire c’est, en fin de compte, de découvrir l’histoire de Dieu, une histoire dans laquelle Dieu se révèle à nous. Lorsqu’on étudie le récit biblique, on rencontre également des personnages qui nous renvoient à nous-même, à nos façons de vivre, à nos façons de faire et, au bout du compte, nous remettent en question dans nos relations avec nous-même, avec Dieu et avec les autres233. Parmi les auteurs qui reconnaissent la portée théologique du récit biblique se trouve Claus Westermann. Selon lui, « [le récit] se distingue de l’histoire telle que la conçoivent les historiens modernes en ceci que l’événement relaté se déroule entre Dieu et l’homme, entre le créateur et sa création […], ce qui meut l’histoire survient entre Dieu et l’homme234. » Cela dit, quel discours le récit de

Jos 6 déclare-t-il sur Dieu ?

Comme pour la plupart des récits bibliques, une lecture attentive du récit de Jos 6 laisse voir une image du Dieu d’Israël. Cette découverte que nous qualifions de rencontre avec Dieu peut amener le lecteur à lui confesser sa foi. En effet, Dieu s’est révélé implicitement à nous par l’entremise de quelques-uns de ses attributs. Pendant la lecture nous en avons repéré plusieurs. L’Éternel s’est révélé à nous comme un Dieu guerrier, un Dieu patient, un Dieu tout-puissant, un Dieu miséricordieux, un Dieu de grâce, un Dieu d’amour et de salut, un Dieu fidèle, un Dieu saint et juste. Nous expliquerons ces différents effets en nous focalisant sur le récit. Toutefois, au besoin, nous citerons d’autres versets bibliques qui contribueront à une meilleure compréhension desdits effets.

- Un Dieu guerrier

Dès l’incipit, l’Éternel se présente comme un chef de guerre traçant le plan de la prise de Jéricho (vv. 2-5). Cela fait écho à Ex 15, 3 qui démontre que « [l]’Éternel est un vaillant guerrier. » Le v. 2-5 s’emble également confirmer les propos du psalmiste qui qualifie le Dieu d’Israël de « Dieu guerrier, l’Éternel des armés » (Ps 46,7). L’Éternel est un Dieu qui combat

232 R. Alter, L’art du récit biblique…, p. 211.

233 S. Dinsenmeyer, Expliquer « Le récit biblique, l’approche narrative » …, (consulté le 28 août 2018 234 Claus Westermann, Théologie de l’Ancien Testament, France, Labor et Fides, 1985, p. 9.

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les ennemis de ceux qui observent sa Parole et placent en lui leur foi. Ce caractère offusquerait des lecteurs qui résentent une vision pacifique, voire édulcoré de Dieu.

- Un Dieu patient

Le temps imparti à la procession et à la destruction de la ville (vv. 3-4) met en relief cet attribut de Dieu, qui pouvait infliger à la ville une destruction subite et instantanée. Malgré tout, à l’heure du jugement, seuls Rahab et son clan furent sauvés au prix du sacrifice de leurs altérités. Les Gabaonites, en optant pour le compromis, renoncèrent à la résistance armée et eurent la vie sauve. Le Dieu de Josué est donc patient envers les coupables « [p]arce qu’une sentence contre les mauvaises actions ne s’exécute pas promptement » (Ec 8,11a).

- Un Dieu Tout-puissant

L’Éternel détruit les remparts infranchissables, voire les forteresses de Jéricho. Grâce à son intervention, la muraille s’écroula et le peuple monta dans la ville (v. 20 b). C’est la preuve que « ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. » (Lc 18,27). Il n’y a rien qui soit impossible à Dieu (Lc 1,37).

- Un Dieu miséricordieux

Dans le récit, Dieu a accordé sa miséricorde à Rahab et à sa famille : « on laissera la vie à Rahab la prostituée et à tous ceux qui seront avec elle dans la maison » (v. 17 b). La miséricorde est un aspect de son amour. Il ressort ici l’idée que le Dieu de Josué est miséricordieux même s’il est davantage présenté dans le récit comme un Dieu guerrier. Certes, il l’est, mais, dans la vision de la conquête et de la construction de l’identité du lectorat du récit. Le récit présente l’Éternel comme celui qui s’engage du côté de son peuple pour décimer les habitants de Jéricho. Toutefois, à travers cet engagement, il y a de la compassion, la misécorde et l’ouverture. De part notre posture de lecteur situé que nous décrivons plus haut, ce sont ces éléments que nous mettons de l’avant. Nous l’aurons compris, la lecture féministe postcoloniale n’interprète pas les choses sous cet angle.

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- Un Dieu de grâce

Cet attribut de Dieu s’est également manifesté dans le récit en assurant le salut immérité de Rahab et celui de son clan (v. 17 b). Si dans l’Ancienne Alliance la Loi prévalait sur la grâce, la grâce accordée à Rahab et à sa famille constitue une lueur d’espoir à venir pour toute l’humanité : « [C]ar la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus- Christ. ». La loi du talion, cette loi qui stipule que « s’il y a un accident, tu donneras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure » (Ex 21 ; 23-25), est abrogée. Jésus, ‘‘le Josué’’ de la Nouvelle Alliance, déclare à ses auditeurs : « Vous avez appris qu’il a été dit : œil pour œil, et dent pour dent. Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre » (Mt 5,38-39).

- Un Dieu d’amour et de salut

Le récit exprime la bonté de Dieu à l’égard de son peuple et surtout envers la maison de Rahab la prostituée qu’il a épargnée (v. 23). C’est un amour qu’il offre à quiconque croit en lui. Cela fait écho au discours de Jésus sur l’amour et le salut que Dieu accorde à l’humanité : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. » (Jn 3,16). Parlant du salut, plusieurs auteurs le perçoivent également à travers Josué, le héros du récit. Son nom veut dire « l’Éternel sauve », ce qui est une illustration du salut de Dieu. Le nom Josué est la forme hébraïque de Jésus235. Suivant cette logique, Shmuel Trigano stipule que « [l]a violence n’est plus infligée par Dieu, mais prise en charge par Dieu contre lui-même : c’est le schéma de la passion de Josué-Jésus, origine d’une aventure nouvelle, à lui seul, origine d’un nouveau peuple élu, étendu au-delà des limites du peuple juif236 ».

- Un Dieu fidèle

La fidélité de Dieu dans le récit se manifeste par l’accomplissement de sa promesse de livrer la ville, son roi et ses vaillants soldats, à Josué (v. 2). Cette promesse fut accomplie à la lettre,

235 Nouveau commentaire biblique…, p. 244.

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car la « la muraille s’écroula ; le peuple monta dans la ville, chacun devant soi. Ils s’emparèrent de la ville. » (v. 20 b). Cette victoire met l’accent sur la fidélité de Dieu en ce sens qu’elle constitue l’accomplissement de la promesse de la Terre de Canaan qu’il a faite à Abraham (Gn 15,7 ; 18,21)237.

- Un Dieu saint et juste

La sainteté de Dieu dans le récit est exprimée par la négation du mal. « Elle apparaît sur le jugement qu’il rend sur les premiers habitants du pays238 ». Ne cohabitant pas avec le péché

ou toute forme de souillure, la ville doit être complètement détruite (v. 17) et dévorée par les flammes comme un holocauste. En effet, « [i]ls brûlèrent la ville et tout ce qui s’y trouvait » (v. 24a). Cette situation rappelle Ex 29, 25 où il est écrit : « [T]u les brûleras sur l’autel, par- dessus l’holocauste ; c’est un sacrifice consumé par le feu devant l’Éternel ».

Conclusion

En lisant superficiellement le récit de Jos 6, on est indigné d’apprendre qu’« ils dévouèrent par interdit, au fil de l’épée, tout ce qui était dans la ville, hommes et femmes, enfants et vieillards, jusqu’aux bœufs, aux brebis et aux ânes » (v. 20). Toutefois, notre analyse narrative, inspirée par l’ARL a produit des effets qui nous proposent autre chose qu’un génocide, une épuration ethnique, un djihad, une action patriarcale et impérialiste, une guerre sainte ou un terrorisme au sens actuel du terme.

Déjà, l’étude de l’intrigue nous a présenté distinctement les différentes étapes du récit à savoir la succession des événements. Elle a prouvé la fiabilité du narrateur qui nous a offert une intrigue complète allant d’une situation initiale très compliquée à une situation finale très heureuse. En effet, cette étude a révélé le déroulement des actions majeures telles que la préparation militaire pour la bataille, la procession autour de la ville, la grande tuerie, le secours porté à la prostituée et son clan, la consécration du butin de guerre à l’Éternel, et la destruction de la ville de Jéricho par le feu. Selon nous, ces actions que le narrateur légitime

237 Nouveau commentaire biblique…, p. 244. 238 Ibid.

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par sa narration chercheraient à protéger l’identité de son lectorat, auquel nous nous identifions du fait que confessons le Dieu du récit. Plusieurs idées gravitent autour de cet élément central (l’identité) à savoir celles d’un Dieu tout-puissant et vainqueur, d’un peuple très soudé, d’une Loi contraignante, d’une Terre comme héritage et d’une inclusion de l’« autre ».

En tant que narration étiologique, le récit nous transmet plusieurs enseignements. Grâce à l’étiologie, le narrateur a réinterprété l’histoire de la conquête militaire de Jéricho. Il y a rapporté avec une certaine exagération et sublimation les actions des personnages. Plusieurs éléments du récit ont un lien avec culte en honneur du personnage divin. Par sa narration étiologique, le narrateur a pu créer une épopée panisraélite de la conquête de la Terre de Canaan. Celui-ci a narré Jos 6 comme une action liturgique, voire une liturgie guerrière qui laisse voir l’idée d’une intervention divine dans la conquête en vue de la possession de la Terre promise. À travers sa narration étiologique, il a montré également l’exécution rituelle de l’anathème.

Le narrateur a aussi mis en scène deux types de personnages ayant des points de vue, des rôles et des caractéristiques divergents. Josué et ses hommes ont le même point de vue que le personnage divin. Les actions qu’ils ont assumées dans le récit ont été légitimées par le narrateur du fait qu’elles concourent à la protection d'une identité. Quant à la population dont le point de vue est contraire à celui du personnage divin, son rôle d’opposant a attiré une tragédie sur elle.

L’étude de la temporalité et les éléments qu’elle renferme a produit des effets sur le lecteur situé que nous sommes. Elle a créé le suspense, engendré la surprise et suscité la curiosité chez nous. De même, nous avons éprouvé non seulement l’empathie, mais aussi l’insensibilité envers certains personnages pendant la lecture du récit. Ces différentes émotions que nous avons éprouvées seraient l’image de celles que vivaient les personnages du récit.

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Au regard de tout ce qui vient d’être évoqué, nous avons conclu les effets qui pourraient recevoir une interprétation étaient que le récit produit des effets comme l’unité nationale, l’intérêt pour les ancêtres, le nationalisme, le culte, le salut, l’espoir et le vivre-ensemble. Pour finir, retenons que Jos 6, en tant que récit biblique, nous a dévoilé sa portée théologique. Dieu s’est révélé à nous pendant la lecture par l’entremise de ses attributs. Nous y avons repéré un Dieu guerrier, un Dieu patient, un Dieu tout-puissant, un Dieu miséricordieux, un Dieu de grâce, un Dieu d’amour et de salut, un Dieu fidèle, un Dieu saint et juste.

C’est la somme des influences de nos communautés interprétatives jointes à notre personnalité qui nous ont conduit à une telle conclusion qui admet la critique.

Après avoir analysé le récit de Jos 6, nous interpréteront au chapitre 4 les actions telles que la parade militaire autour de la ville, l’application de la loi de l’interdit sur la population de Jéricho, le sauvetage de Rahab et les gens de sa famille, la consécration du butin de guerre à l’Éternel et l’incendie de la ville. Nous interpréterons, de même, les effets tels que la protection d’une identité, l’unité nationale, le rapport avec nos ancêtres, le nationalisme, la propagande de Dieu de Josué, le salut au prix du reniement de soi, l’espoir et le vivre- ensemble. Le but est d’éclairer davantage certains aspects de ces actions et effets qui divisent les lecteurs et limitent la compréhension du récit. Mais avant, nous analyserons le discours de la bataille de Baga au Nigéria au chapitre suivant en commençant par étudier son contexte de production afin de mieux sentir les effets que produit un tel discours.

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CHAPITRE 3 : LA BATAILLE DE BAGA, AU NIGÉRIA, MENÉE PAR LE