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CHAPITRE 3 : LA BATAILLE DE BAGA, AU NIGÉRIA, MENÉE PAR LE GROUPE

3.6. Les effets des actions de Boko Haram

Boko Haram a une vision politicoreligieuse. Il cherche à instaurer un État islamique et théocratique. Le Journal Les Alternatives résume l’idée : « Son nom : Boko Haram, ou “l’éducation occidentale est interdite” en langue haoussa. Son but : instaurer un régime islamique au Nigéria. Ses moyens : éradiquer tous ceux qui s’opposent à son

351 William Assanvo, Jeannine Ella A Abatan et Wendyam Aristide Sawadogo, « Institut d’études et de sécurités, no 19, aout 2016, Rapport sur l’Afrique de l’Ouest, La Force multinationale de lutte contre Boko Haram : quel bilan ?, p. 3 » [https://oldsite.issafrica.org/uploads/war19-fr.pdf] (consulté le 11 février 2018). 352 S. De Sena Lelo Pessoa, « Boko Haram à l’aune du droit international pénal, 16 mars 2015 »

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fondamentalisme 353». P. Guibbaud préfère parler de « revendications » au lieu d’objectifs du

groupe. Elle souligne que le message délivré par la secte est avant tout politique et il se structure autour des grands principes énoncés par son ancien leader, Mohamed Yusuf. Le premier et le principal est l’application globale de la charia, et la pratique d’un islam radical dans les régions où la charia est déjà en vigueur. Il s’agit pour le groupe, la solution idoine pour faire face à l’injustice sociale dont souffre le Nord. Par extension, la secte vise l’établissement d’une République islamique et l’application de la loi islamique sur les trente- six États du pays. Car, dit-il, il est impossible de concilier État laïque et loi islamique. P. Guibbaud relate que le groupe manifeste un rejet de toute influence occidentale. D’où sa décision de détruire les institutions politiques inspirées de l’Occident et sa condamnation sans appel de l’éducation occidentale. Néanmoins, le groupe n’hésite pas à utiliser des objets en provenance de l’Occident ou de la technologie : motos, voitures, téléphones portables, YouTube et les sites Internet354.

Les sens des actions Boko Haram ressortent plus explicitement dans le rapport présenté par la FIDH. Il est écrit que

[l]a stratégie de Boko Haram a pendant plusieurs années été centrée sur des visées nationales et contre les autorités nigérianes […]. L’objectif est aujourd’hui clairement affiché : recréer le califat de Sokoto, cet ancien empire islamique peul [s’écrit aussi peulh] créé au début du XIXe siècle par Usman Dan Fodio et qui

s’étendait du Niger au Cameroun en passant par le nord du Nigéria. Ce sont bien ces États qui sont en première ligne contre Boko Haram, même si rien ne dit que les ambitions de Boko Haram ne dépasseront pas l’antique califat peul355.

Il s’agit évidemment d’un Califat de sang. Boko Haram veut restaurer le Califat de Sokoto explique son soutien aux groupes terroristes du Sahel y compris ceux du Burkina Faso et ses interventions au Cameroun. En effet, C. Varin écrit que, « [t]he caliphate was built by conquest following dan Fodio's jihad (struggle) against the Hausa rulers who had become oppressive and unpopular. The Sokoto Caliphate, a loose confederation of 30 emirates under

353 Le Journal Les Alternatives, « Boko Haram, la mitraillette à la tempe du Nigéria, p. 2. »

[http://journal.alternatives.ca/IMG/article_PDF/Boko-Haram-la-mitraillette-la-tempe-du-Nigria_a6627.pdf] (consulté le 11 février 2018).

354 P. Guibbaud, Boko Haram…, p. 62-63.

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the leadership of the sultan, stretched over 1,500 km, including parts of Burkina Faso, Cameroon, and northern Yorubaland356. » Cela est d’autant réel dans ce sens que, Aboubacar Shekau, le leader actuel du groupe, légitime ses actes en se présentant comme le successeur de Dan Fodio357.

L’expansion du groupe en 2014 et son contrôle effectif sur de larges portions du territoire lui ont permis d’annoncer en août 2014 l’instauration du califat de Boko Haram. À l’instar de l’État islamique en Irak et au Levant en Syrie, l’instauration d’un califat au Nord du Nigéria s’accompagne d’une campagne de terreur et d’exécutions massives des populations considérées comme opposantes à sa vision. Le sort de la population civile va de mal en pis. Chaque Nouvel An se présente plus sanglant que le précédent. Par sa vision mortifère et de martyr, Boko Haram terrorise les populations et multiplie les massacres pour empêcher les milices des CJTF de s’implanter. Ainsi, il massacre les villages où se créent des cellules des CJTF pour leur tenir tête. En revanche, les militaires et les CJTF considèrent que si un village refuse de créer son groupe de miliciens d’autodéfense, il est pour Boko Haram, et donc voué à l’extermination358.

Cette vision de Boko Haram est hautement soutenue par le groupe Jama’atu Ansaril Muslimina fi Biladis Sudan (L’Avant-garde pour la Protection des musulmans en Afrique noire), plus connu sous le nom d’Ansaru. Dissidence de Boko Haram, née en début 2012, Ansaru a pour leader Abu Usmatul al-Ansari. Ce compagnon de lutte de Boko Haram travaille et cherche à restaurer la dignité perdue des musulmans d’Afrique noire et le temps glorieux du califat de Sokoto359.

La visée ultime du groupe islamiste terroriste Boko Haram est donc politicoreligieuse. Cette visée qui paraît double est, pourtant, indissociable. Le groupe vise la création d’un État islamique et la restauration de l’ancien califat de Sokoto. Il s’agit d’un gouvernement théocratique qui sera régi par les prescriptions du Coran et une application stricte et

356 C. Varin, « Boko Haram and the War on Terror…», p. 13. 357 Ibid., p. 14.

358 FIDH, « Nigeria les crimes de masse de Boko Haram… », p. 10. 359 Ibid., p. 22.

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implacable de la charia comme justice sociale. Pour parvenir à cette fin, le groupe manifeste d’autres intentions non négligeables : supprimer l’éducation occidentale, fomenter un conflit interreligieux, renverser le pouvoir démocratique, susciter une génération pour le Califat à venir. Ces aspirations de la secte constitueront pour nous des pistes d’interprétations.

Conclusion

La secte islamiste terroriste Boko Haram est née au Nigéria dans un contexte social, politique, économique et religieux très difficile : forte démographie, mauvaise gouvernance, corruption généralisée, guerres fratricides, conflits interreligieux, mauvaise gestion et répartition inégale des revenus du pays, foisonnement des mouvements réformistes islamistes dans le Nord. À sa naissance, la secte n’avait pas des intentions terroristes ni insurrectionnelles. Elle s’est virée, voire convertie, au terrorisme après la mort de son premier leader Mohammed Yusuf tué par la police en 2009. Le groupe est actuellement bien implanté dans trois États (Borno, Yobé, Adamawa) où il étend son influence dans les pays membres de la commission du bassin du lac Tchad, en Afrique de l’Ouest et partout ailleurs, et ce, par la force de ses alliances avec les autres mouvements djihadistes du Sahel et du Moyen-Orient. Boko Haram s’en prend à tout ce qui représente l’État et qui pourrait être l’objet d’une couverture médiatique de large portée. Toutefois, elle manifeste un intérêt particulier à l’égard des femmes. On retrouve dans son armée toutes sortes de combattants : des mendiants, des chômeurs, des marginalisés, des hommes, des femmes, des enfants, des intellectuels et des illettrés. Dans son mode opératoire, la secte armée Boko Haram utilise des techniques de destruction massive de tout ordre en vue de s’imposer comme leader sur les autres groupes. Elle se réfère au livre (le Coran) pour légitimer et revendiquer ses actes de violence. Par ailleurs, elle s’inspire du courant salafiste djihadiste. Le groupe s’identifie à Al-Qaïda et se réfère également à certains conquérants islamistes comme Ousmane Dan Fodio, Ibn Taymiyya et des idéologues djihadistes comme Sayyid Qotb. La secte est organisée autour d’un gourou et elle est répartie en plusieurs cellules. Pour des raisons financières, le groupe se laisserait souvent instrumentaliser par certains hommes politiques.

Lors de la bataille de Baga en janvier de 2015, le groupe a visé la base militaire de la FMM et les milices civiles d’autodéfense qui étaient dans la ville. Cependant, la bataille s’est soldée

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par la mort de milliers de personnes, la destruction par le feu des bâtiments et des habitations, la séquestration des femmes et le déplacement massif des rescapés. En dépit de ses déviations flagrantes, la secte a une visée politicoreligieuse qui constitue son objectif fondamental, et des objectifs secondaires visant à soutenir le principal. Au regard de tout ce qui précède, quelles interprétations peut-on apporter à cette visée politicoreligieuse du groupe islamiste terroriste Boko Haram, ses embranchements ainsi que ses sources d’inspirations ? Mais avant d’en arriver là, nous allons procéder à une comparaison des actions et des effets liés au discours de Boko Haram avec ceux du récit de la bataille de Jéricho (Jos 6).

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CHAPITRE 4 : PRISE DE JÉRICHO ET ATTAQUE DE BAGA : COMPARAISON