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CHAPITRE 3 : LA BATAILLE DE BAGA, AU NIGÉRIA, MENÉE PAR LE GROUPE

3.3. Contexte sociopolitique, économique et religieux du Nigéria

3.3.3. Contexte religieux du Nigéria

Le Nigéria, comme la plupart des pays africains, était un pays animiste; et ce, bien avant l’arrivée des religions dites monothéistes, notamment l’islam et le christianisme. Comme l’indique P. Guibbaud, l’islam n’est arrivé en Afrique sub-saharienne qu’entre les XIe et XIIe

siècles après J. - C.. Né en Arabie au VIIe siècle, l’islam atteint dès le XIe siècle les royaumes

de Kanem Bornou avec les marchands venus de Tripoli. Quant au christianisme, il est arrivé plus tard sur le sol nigérian. Il y avait eu une première tentative d’évangélisation qui n’a pas fonctionné. Elle était entreprise par des Portugais qui avaient débarqué au royaume du Bénin au XVe siècle. Il faut donc attendre 1850 pour que l’évangélisation du Nigéria en milieux animiste commence à porter ses fruits ; et ce, avec le retour des esclaves affranchis de Sierra Leone. Au XXe siècle, le christianisme va s’enraciner davantage dans la société et les esprits, avec la colonisation britannique256.

Le Journal Les Alternatives nous éclaire davantage sur le contexte religieux du Nigéria. Il rapporte que les racines des troubles que connaît présentement le Nigéria s’enfoncent profondément dans le passé. Les colons britanniques à leur arrivée sur le sol nigérian découvrent à l’occasion, une région du Nord qui connaissait une grande stabilité. De fait, le régime féodal des émirs mis en place par les malikites Almoravides au XIe siècle s’était perpétué jusqu’alors, en garantissant une paix sociale, que le Sud divisé en plusieurs ethnies n’avait jamais connue. Les colons britanniques laissent les représentants traditionnels du peuple haoussa cultiver les croyances islamiques de leur peuple, tout en les contrôlant par l’entremise de l’indirect rule257. Ainsi, ils s’imposeront en maître de la région en manifestant

une tolérance intéressée aux ambitions islamistes qui ne tardèrent pas à vouloir instaurer la

255 La Presse.ca, « Nigéria : fermeture d’un important oléoduc après un incendie »

[https://www.lapresse.ca/international/afrique/201306/20/01-4663475-nigeria-fermeture-dun-important- oleoduc-apres-un-incendie.php] (consulté le 2 juin 2019, mis à jour le 20 juin 2013).

256 P. Guibbaud, Boko Haram…, p. 24.

257 « Sir Fréderick Lugard nommé gouverneur général du Nigéria en 1912, impose le système de l’Indirect rule. Il consiste à remettre certains pouvoirs entre les mains de chefs traditionnels, les natives authorities, qui

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justice de la charia. Parlant de l’application de la charia comme source principale du droit, Élie Barnavi rapporte que dans les États musulmans de la fédération nigériane, une femme fut déjà condamnée à être enterrée vive et lapidée pour adultère. Il a donc fallu une mobilisation internationale avant qu’elle ne soit épargnée258.

La proclamation de l’indépendance, le 1er octobre 1960, chasse les Britanniques et dote le

pays d’une constitution laïque. Après leur départ, les militaires s’emparent du pouvoir et mènent une politique partiale qui favorise, tout au long des quatre décennies de leur règne, la communauté dont ils sont issus (chrétienne). La situation a créé de vives tensions entre les protestants et les musulmans qui avaient cohabité pacifiquement pendant des siècles. Cette forme de démocratie est vite qualifiée par les uns de corrompue et les autres la pensent injuste. Désormais, le Nord musulman habitué à diriger ses propres affaires avec son propre système, s’intègre mal à la donne démocratique vue comme l’agent causeur de l’inégalité économique dont ils sont les victimes. Sur ce, la laïcité de l’État est, dorénavant, ressentie comme un bannissement de l’islam259.

Le Nigéria est également connu pour ses affrontements et ses tensions interreligieux qui opposent le Sud et le Nord. Le Middle Belt qui est comme une ligne de démarcation entre le Sud chrétien et le Nord musulman constitue le principal lieu d’affrontements récurrents entre les deux communautés religieuses. Jos260 représente la ville qui a le plus connu de telles bavures au nom de la religion. En effet, selon Human Right Watch (HRW) et le journal Libération,

[d]es combats violents y ont opposé la communauté musulmane à celle des chrétiens du 7 au 13 septembre 2001. Ces violences ont été à l’origine d’un millier de morts et de disparus et de la destruction de milliers d’habitations et bâtiments. En novembre 2008, de nouveaux heurts interreligieux font rage à Jos et causent la mort de 700 personnes […] En janvier 2010 à nouveau, des affrontements provoquent la mort de 300 personnes261.

258 Élie Barnavi, Les religions meurtrières, Espagne, Novoprint, 2008, p. 118. 259 Le Journal des Alternatives, Boko Haram, la mitraillette…, p. 2-3.

260 « Jos » ici est le nom d’une ville au Nigéria et non l’abréviation du livre de Josué (Jos). 261 P. Guibbaud, Boko Haram…, p. 40.

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Dans la même veine, C. Varin écrit que, « [i]n recent years, religious extremism in particular appears to be on the rise. Between 1999 and 2003, over 10,000 people were killed in religiously motivated violence - even before the advent of Boko Haram262. »

Le Nord, fortement peuplé de musulmans, va connaître un foisonnement des sectes religieuses différentes entretenant des rapports de rivalités. En effet, à côté de l’islam confrérique et soufi, naîtront d’autres groupes radicaux réformateurs et protestataires. Ils accusent l’islam confrérique d’être trop moderne et l’invitent à un retour à la racine. Dans le même ordre d’idées, P. Guibbaud souligne que le Nigéria constitue un cas particulier de l’islam sub-saharien du fait que l’ensemble du territoire n’est pas de confession unique. Il y a un partage presque équitable du territoire nigérian entre le christianisme et l’islam. Schématiquement, nous pouvons dire que le Nord musulman, héritier du califat de Sokoto, s’oppose au Sud, christianisé, avec une enclave animiste au Sud-Ouest du pays. À l’instar du reste de l’Afrique sub-saharienne, le Nigéria regroupe des mouvements réformistes qui prônent vivement un retour à islam originel libéré de toutes ses impuretés263. De ces nouveaux groupes radicaux figure la secte terroriste islamiste Boko Haram.

En ce qui concerne ces mouvements réformistes, Marc-Antoine Pérouse de Montclos indique que l’on y distingue historiquement quatre principales tendances réformatrices, voire révolutionnaires suivant les époques. Il les classe par ordre décroissant d’importance au regard de leur audience :

– les confréries soufies, essentiellement la Qadiriyya et la Tijaniyya, qui pratiquent la méditation, cherchent le salut dans l’extase et suivent les enseignements d’un cheikh charismatique et parfois mystique ;

– les mouvements de type salafi, qui s’inspirent du wahhabisme saoudien et préconisent un retour à la religion originelle des ancêtres (salaf), notamment la « Société pour l’éradication des innovations maléfiques et le rétablissement de l’orthodoxie » (Jama‘at Izalat al-Bida wa Iqamat al-Sunna) de feu cheikhs Abubakar Mahmud Gumi et Ismaila Idriss ibn Zakariyya. Officiellement établie en 1978, cette dernière s’est scindée en deux factions, l’une basée à Kaduna sous l’égide de cheikh Yusuf Sambo Rigachikun, l’autre à Jos sous la direction des cheikhs Samaila Idriss puis Sani Yahaya Jingir, qui les a finalement réunifiées sous sa coupe à la fin de l’année 2011 ;

262 C. Varin, Boko Haram and the War on Terror…, p.35. 263 Ibid., p. 48.

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– les mouvements mahdistes et messianiques, parfois millénaristes, qui croient à la venue d’un prophète et qui ont pu mener l’insurrection Maitatsine (« Celui qui maudit ») sous l’égide de Muhammad Marwa à Kano en 1980 ;

– les islamistes « modernes » et républicains sous influence égyptienne ou iranienne, à l’instar des Frères musulmans, des « chiites » (yan schi’a) d’Ibrahim el-Zakzaky et d’un groupe dissident fondé à Kano en 1994 par Abubakar Mujahid, le Mouvement pour le réveil de l’Islam (Ja’amutu Tadjidmul Islami)264.

La secte islamiste Boko Haram est née dans les années 2000 dans un tel contexte religieux. De fait, elle peut être considérée comme la continuité de ces mouvements islamistes au moment où elle était dirigée par son fondateur, Mohamed Yusuf. Mais, la secte va très vite se démarquer de cet islamisme sub-saharien sur quelques points. Yusuf prend ses distances avec le mouvement salafiste des Izala pour leur renoncement à la lutte armée et leur compromis avec le gouvernement nigérian. Boko Haram s’attaque aux symboles du pouvoir en place. Cela révèle au grand jour son caractère extrêmement politique. Ainsi, sa construction en opposition au gouvernement nigérian fait de lui un islamisme particulier qui tend vers une insurrection sociale et politique plutôt que véritablement religieuse. En outre, le mode opératoire de la secte Boko Haram la rend d’autant plus singulière du fait qu’elle est la première à s’être convertie au terrorisme et à avoir adopté la technique de l’attentat- suicide265.

La secte islamiste Boko Haram se distingue donc des autres sectes islamistes présentes dans le pays. M.-A. P. de Montclos dira qu’à la confluence des mouvements salafistes et islamistes républicains, Boko Haram relève d’une espèce assez difficile à définir en ce que

[l]e groupe est sectaire quand il cherche à endoctriner les jeunes ; totalitaire quand il développe une vision holistique d’un gouvernement islamique régulant tous les aspects de la vie privée ; et intégriste quand il prohibe les vêtements serrés et veut interdire aux femmes de voyager seules ou de monter sur des motos taxis. Sa position religieuse n’en est pas moins ambiguë, voire syncrétique, et en tout cas éloignée du modèle wahhabite d’Al-Qaïda. Ainsi, Mohammed Yusuf condamnait dans un même élan le soufisme, le judaïsme, le parsisme, le christianisme, le polythéisme, l’athéisme et la démocratie. Mais il a épargné la confrérie Qadiriyya, peut-être parce qu’elle était plus orthodoxe, prêtait peu le flanc à des controverses dogmatiques et comptait moins d’adhérents que la

264 M.-A. P. de Montclos, « Questions de recherche/ Research Questions – n° 40 – Juin 2012… », p. 5-7 265 P. Guibbaud, Boko Haram…, p. 53.

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Tijaniyya. Depuis 1803, la Qadiriyya incarne en effet l’esprit révolutionnaire de la guerre sainte (jihad) d’Ousman dan Fodio266.

Pour faire court, comme il est écrit dans le journal Les Alternatives, l’islamité a été un substrat idéologique et socioculturel qui a forgé l’identité musulmane au fil des siècles au Nigéria267. De même, en parlant de la charia qui implique la mort par la lapidation, cette

forme de justice était pratiquée dans le pays. En effet, Tariq Ramadan268, dont Raphaël

Liogier rapporte les propos, cite le Nigéria parmi les pays musulmans les plus archaïquement arc-boutés sur des pratiques injustes et cruelles269.

La secte islamiste terroriste Boko Haram est donc héritière des tensions interreligieuses et des différents mouvements réformistes islamistes du Nord nigérian. Toutefois, la secte a son histoire propre qu’il faut retracer pour mieux comprendre ce qui se passe actuellement dans le pays (Nigéria) et en Afrique de l’Ouest.