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CHAPITRE 3 : LA BATAILLE DE BAGA, AU NIGÉRIA, MENÉE PAR LE GROUPE

3.4. Esquisse historique de Boko Haram

3.4.9. Cibles privilégiées de Boko Haram

Boko Haram n’écarte rien sur son passage : femmes, hommes, vieillards, nourrissons, etc. Personne n’est à l’abri de ses actes déshumanisants. Les tueries aveugles, les enlèvements et les ventes des jeunes filles comme esclaves sexuelles, les viols et les incursions contre des villages entiers attestent la violence du groupe. Concernant l’enlèvement des jeunes filles et

317 FIDH, « Nigeria les crimes de masse de Boko Haram… », p. 17. 318 Ibid.

319 P. Guibbaud, Boko Haram…, p. 71.

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celui des femmes mariées, la FIDH précise que c’est celui du 14 avril 2014 perpétré à Chibok, ville située dans l’État de Borno, qui a réussi à attirer l’attention internationale sur le drame des femmes et des filles ciblées par Boko Haram. Cet acte a révélé au monde le triste sort réservé à ces jeunes filles : mariage forcé, esclavage, viols et mort. Toutefois, cet enlèvement qui a été, évidemment, un événement tragique et spectaculaire ne constitue pas le premier à être perpétré par les hommes d’Aboubacar Shekau. Shekau déclare dans une vidéo que les jeunes filles seront converties, mariées de force, réduites en des esclaves des islamistes ou vendues à l’étranger.321 Il dira également dans une autre vidéo qu’il a un marché de vente des

êtres humains où il ira vendre ces collégiennes. Et, il le fera parce que c’est un ordre qu’il a reçu d’Allah322.

Le groupe islamiste Boko Haram a commencé à s’intéresser aux femmes depuis l’année 2013. Comme le remarque Jacob Zenn : « Dans le seul État de Borno, Boko Haram aurait enlevé entre 500 et 2000 femmes depuis 2013, même si la plupart des enlèvements ne sont pas signalés, laissant à craindre un bilan plus élevé323 ». Dans sa technique opératoire, le groupe fait des descentes dans les écoles et enlève les filles. Selon la FIDH, le groupe fondamentaliste kidnappe les élèves, les étudiantes et les enseignantes qui constituent leurs cibles privilégiées324.

Le triste sort que subissent les filles et les jeunes femmes ne se limite pas seulement aux viols, à la vente, à l’esclavage sexuel et au mariage forcé. Joe Brock dira qu’elles sont utilisées comme monnaie d’échange contre leurs prisonniers ou comme appâts pour attirer les troupes de l’armée nigériane dans des embuscades. Par ailleurs, elles leur servent de porteuses de charges (armes) et de cuisinières325. Elles participent également aux combats sur le terrain en combattant aux côtés des hommes. Elles sont surtout utilisées comme des kamikazes.

321 Ibid., p. 15.

322 YouTube, « Enquête exclusive Boko Haram, la secte terroriste 720p HDTV 8 mai 2016 » 323 FIDH, « Nigeria les crimes de masse de Boko Haram…, » p. 15.

324 Ibid. 325 Ibid., p. 15.

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Ainsi, la gent féminine constitue à la fois leur cible et leur victime ainsi que leurs combattantes redoutables de nos jours. La FIDH dans son rapport de 2015, relate que cette violence unique et inique contre les femmes est également idéologique. Car, nombre des femmes enlevées, que ce soit à Chibok (les 276 lycéennes) ou dans les autres villes du Nord du Nigéria est probablement destinée à être convertie à l’islam et mariée de force. Et ce, afin de servir « d’esclaves » aux combattants de Boko Haram selon les propres mots de son leader actuel Abubakar Shekau. En plus, Boko Haram semble vouloir légitimer l’esclavage des femmes en invoquant une interprétation particulière du Coran. La secte a été aussi galvanisée par le soutien reçu de la part de l’État islamique en Irak et au Levant (EI) et des Shebabs somaliens à la suite de l’enlèvement des lycéennes de Chibok. Il ressort également que dans son édition d’octobre 2014, le journal de l’EI, Dabiq, a ainsi cité les moudjahidins (combattants) nigérians en exemple pour justifier les enlèvements commis par l’EI de plusieurs centaines de femmes non musulmanes Yezidi dans le Nord de l’Irak. Celles- ci ont été réduites en des « esclaves sexuelles » pour fidéliser les combattants. En outre, cette pratique tendrait à « affirmer la puissance » du groupe sur les « femmes de leurs ennemis ». L’utilisation des femmes enlevées a pour but premier de contribuer à la formation de la prochaine génération du Califat.  Vu sous cet angle, le groupe entend légitimer ses pratiques d’abus et de viols sur les femmes et les jeunes filles. Ces viols sur les femmes traduisent également de la volonté de domination de l’ennemi par leurs épouses, selon la vision et la terminologie du groupe326. 

Dans cette logique d’expansion de la violence, tous ceux qui n’accompagnent pas la vision du groupe en le soutenant d’une manière ou d’une autre, deviennent automatiquement des cibles potentielles. Raison pour laquelle : « Le groupe islamiste cible les chrétiens, mais tue également les musulmans accusés de ne pas appliquer correctement la charia, d’être “apostat” ou des traîtres à la solde des autorités nigérianes.327 »

À ces diverses cibles s’ajoutent les attentats et les attaques armées contre des casernes militaires, des prisons, des commissariats de police, des bâtiments officiels, des banques, des

326 Ibid., p. 12. 327 Ibid., p. 18.

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mosquées et des églises328. Bref, tout ce qui représente ou symbolise l’État se trouve, désormais, dans le viseur du groupe. Le but est de toucher des cibles qui feront l’objet d’un large recouvrement médiatique, voire une médiatisation à l’échelle planétaire. Ces mêmes actes de violence sont infligés aux pays voisins (Niger, Cameroun, Tchad) et partout ailleurs. L’attentat-suicide contre les bureaux de l’Organisation des Nations Unies (ONU) à Abuja témoigne aussi de l’internationalisation des cibles visées par la secte329.

Tout laisse croire a priori que l’attitude de la secte envers les filles et les femmes serait une réaction ou une vengeance prolongée, à lire certaines sources. En effet, selon Associated Press, cette évolution opérationnelle significative et récente du groupe, d’instrumentaliser les femmes, est en fait une réponse à des pratiques similaires du gouvernement nigérian à leur endroit. Le premier signe de l’émergence de cette tactique apparaît en janvier 2012 lorsque Shekau, le leader du groupe, a publié un message vidéo menaçant de séquestrer les épouses des fonctionnaires du gouvernement en réponse à l’emprisonnement par le gouvernement des épouses de ses hommes330.

Le gouvernement nigérian et son armée n’ont pas usé de clémence envers les femmes des leaders et des combattants du groupe islamiste au cours de leurs arrestations. Ces arrestations massives étaient stratégiques. Le gouvernement en place croyait atteindre ou décourager le groupe par l’entremise de leurs épouses et de leurs familles. Selon, Jacob Zenn et Elizabeth Pearson, rapporte la FIDH,

[p]lus de 100 femmes et enfants de militants de Boko Haram avaient été arrêtés en 2012, parmi lesquels les propres épouses [d’]Aboubakar Shekau, l’épouse et les enfants du commandant de Kano, Suleiman Mohammed ; la femme enceinte du commandant de Sokoto, Kabiru Sokoto, qui a donné naissance en prison ; et la femme du kamikaze qui a attaqué le journal This Day à Abuja en avril 2012331.

328 M.-A. P. de Montclos, « Questions de recherche/ Research Questions – n° 40 – Juin 2012… », p. 13. 329 Ibid., 13.

330FIDH, « Nigeria les crimes de masse de Boko Haram… », p. 15. 331 Ibid., p. 15-16.

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Cette stratégie d’arrestation des femmes et des enfants des islamistes a eu un impact très remarquable sur la stratégie de Boko Haram qui, désormais, l’intègre dans son mode opératoire. La FIDH ajoute que,

l’une des premières « fonctions » des enlèvements de femmes et de jeunes filles est donc l’instrumentalisation des femmes comme « objet » de revanche. Dans cette optique, les membres de Boko Haram ont voulu soumettre les femmes capturées aux mêmes traitements que ceux réservés à leurs épouses arrêtées et détenues par les autorités nigérianes et qui auraient subi des viols et [de] mauvais traitements au cours de leur détention332.

Désormais, abus physiques et psychologiques, travaux forcés, participation obligatoire aux opérations militaires, mariages forcés, viols et autres crimes sexuels, voici le sort quotidien des femmes, des jeunes filles et des enfants, entre les mains des islamistes terroristes de Boko Haram. Les femmes esclaves s’occupent de toutes les tâches ménagères, transportent les munitions et participent de gré ou de force aux combats. Aussi sont-elles forcées à tuer des personnes capturées ou achever les blessés333.

La somme des connaissances historiques sur le Nigéria et sur la secte islamiste terroriste Boko Haram permettra une meilleure compréhension des intentions du groupe, des enjeux et de la problématique de la bataille de Baga survenue le 3 janvier 2015.