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CHAPITRE 3 : LA BATAILLE DE BAGA, AU NIGÉRIA, MENÉE PAR LE GROUPE

3.4. Esquisse historique de Boko Haram

3.4.8. Modes opératoires de Boko Haram

S. De Sena Lelo Pessoa, rapportant les propos de l’islamologue Mathieu Guidère, dira que Boko Haram a mis en place une « stratégie du massacre et de propagande par l’acte » dans l’optique de maintenir son contrôle et sa supériorité sur les autres groupes terroristes. Ce rang lui permet de recruter de nouveaux combattants et de dissuader les populations locales de coopérer avec les autorités étatiques. L’un des principaux avantages de Boko Haram réside dans la faiblesse des forces armées, accentuée par le manque de moyens d’un côté, et la corruption de l’autre311.

La secte religieuse qui s’est transformée, sous l’impulsion belliqueuse de son leader Shekau, en un groupe armé, fondamentaliste islamiste aux pratiques radicales et barbares, a diversifié

309 M-A. P. De Montclos « Questions de recherche/ Research Questions – n° 40 – Juin 2012… », p. 19. 310 Ibid., p. 20-21.

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ses techniques opératoires. Le groupe attaque des villes entières, fait des attentats, procède à des enlèvements et entreprend des recrutements forcés. En 2010, nombre d’attaques contre des policiers, des soldats, des chefs locaux et politiciens à Maiduguri, furent effectuées par des hommes armés circulant à moto. Ils attaquent, de même, les chrétiens pendant les célébrations des fêtes religieuses. Ce faisant, le 24 décembre 2010, la secte a mené des attaques sanglantes, a incendié et a planifié des assassinats ciblés contre des églises, occasionnant plusieurs dizaines de morts312.

Galvanisée par ses alliances militaires avec les autres groupes terroristes, Boko Haram a bénéficié de nouvelles techniques de nuisance comme les attentats à la bombe ainsi que les attaques à la voiture piégée. Par ailleurs, les membres de la secte commettent de nombreux attentats-suicides.

L’enrôlement forcé des femmes, dans l’armée de Boko Haram, a débuté en 2013. Il s’agit d’une tactique du groupe pour faire face à l’instauration de l’état d’urgence dans les États du Borno, de Yobe et d’Adamawa, décrété par le gouvernement. Depuis cette date, les forces de sécurité et leurs miliciens supplétifs ont procédé à des arrestations massives et systématiques, et des mauvais traitements qui ne visaient que les combattants de sexe masculin. Le but de ce triage est de mettre la pression sur les combattants du groupe et d’empêcher toute tentative d’infiltration. En réponse à cette nouvelle mesure, Boko Haram se tourne vers les femmes. Dès lors, des armes et des engins explosifs improvisés (IED313) ont été trouvés dans les vêtements de femmes voilées. Elles participent aux opérations d’infiltration, de dissimulation et de trafics d’armes. À l’issue de l’enlèvement des lycéennes de Chibok, Boko Haram a commencé à engager ces jeunes filles dans les opérations suicides. De même, les épouses de militants tués ou arrêtés, les femmes mercenaires ainsi que celles que le groupe parvient à manipuler, participent à ces opérations314.

312 FIDH, « Nigeria les crimes de masse de Boko Haram… », p. 5.

313 «An IED is a simplebomb that is made and used by someone who is not in the army, often using materials that are not usually used for making bombs. IED is an abbreviation for 'improvised explosive device » (source: [https://www.collinsdictionary.com/dictionary/english/ied_1] (consulté le 24 mars 2018). 314 FIDH, « Nigeria les crimes de masse de Boko Haram… », p. 16.

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Boko Haram a aussi bénéficié du soutien militaire et de l’encadrement de ses alliés du Nord Mali, en l’occurrence AQMI. À ce propos, la FIDH rapporte que,

[c]es derniers auraient ainsi formé le groupe nigérian aux stratégies militaires et techniques terroristes en cours sur les différents « théâtres d’[opérations] » du groupe : actions commandos, attaques terroristes, attentats-suicides, IED, etc. De fait, la technicité et la stratégie militaire du groupe nigérian s’[affinent] nettement dès 2012. [À] partir de 2012, Boko Haram développe des actions de plus en plus meurtrières et des succès militaires incontestables sur le terrain315.

Boko Haram adapte ses techniques opératoires à toutes les situations. Lors de certaines interventions sensibles qui nécessitent un camouflage, les acteurs enfilent l’uniforme de l’armée nigériane. Ce fut le cas lors de l’enlèvement des lycéennes de Chibok. Dans cette tenue, les islamistes se font passer pour des soldats de l’armée nationale en mission. On se demande par quelle voie le groupe parvient à se doter de cet équipement en tenues militaires. En réponse à cette préocupation, M.-A. P. de Montclos dira que,

[d]’aucuns voient d’ailleurs dans les attentats de la secte, la main des services secrets nigérians plus que de l’étranger. En effet, le mouvement était très infiltré par les State Security Services (SSS) : chargé d’espionner Mohamed Yusuf […] Sur place, des observateurs remarquent également que la secte a parfois bénéficié de la complicité de la police et de l’armée, ce qui a permis à ses militants les plus aguerris de revêtir des uniformes militaires pour se livrer à des exactions et des viols en vue de discréditer les forces de l’ordre316.

En plus de l’intérêt manifesté envers les femmes et les jeunes filles, les islamistes vont aussi s’intéresser aux jeunes garçons dans l’innovation de leurs modes opératoires. Ces jeunes gens subissent une rééducation, voire un endoctrinement dans les écoles coraniques avant d’être intégrés dans les rangs des combattants. Dans ses opérations militaires, rapporte la FIDH, Boko Haram utilise les jeunes garçons inexpérimentés pour obtenir des renseignements et contribuer à la « première vague » des combattants lors des assauts contre les villages, les casernes militaires ou les bâtiments des services de sécurité. Cette technique lui permet de tester, d’affaiblir et de démoraliser l’ennemi. Les survivants acquièrent de l’expérience et retournent au combat avec la « seconde vague » dont la mission consiste à submerger les

315 Ibid., p. 21.

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forces de sécurité. Les enfants-soldats sont utilisés aussi pour obtenir des renseignements militaires avant ou pendant les attaques317.

Il faut noter que ces jeunes garçons ne sont pas lucides. Il semble qu’ils agissent sous pulsion des stupéfiants et des excitants. Selon Gubai Gatama, rapport la FIDH, : « [i]ls procèdent toujours de la même façon : ils envoient d’abord des enfants endoctrinés, puis viennent de jeunes combattants, souvent shootés [injectés] au tramadol, un antalgique puissant qui, trafiqué et à forte dose, donne une impression de surpuissance 318». Les commandants des milices civiles déclarent avoir libéré plusieurs dizaines d’enfants soldats lors d’un raid mené contre une base de Boko Haram dans la forêt de Sambisa en 2013. D’autres personnes soulignent que les enfants les plus jeunes, enrôlés par le groupe, sont seulement âgés de 12 ans319.

Boko Haram dispose également d’une section de combattantes élues au premier rang, prête à obéir et à passer à l’acte. On les appelle communément les « femmes-kamikazes ». Elles appartiennent à « l’aile féminine » du groupe dirigée jusqu’à son arrestation par Hafsat Bako, veuve d’un commandant de Boko Haram tué. Elle dirigeait, vraisemblablement, aussi une cellule de recrutement et de conditionnement de femmes à la pratique d’attentats-suicides. Ces combattantes s’étaient retranchées dans la forêt de Sambisa, là où une grande partie des [lycéennes] enlevées à Chibok ont d’abord été détenues.320

Boko Haram dans sa lutte, vise une catégorie de gens que nous avons qualifiés de cibles potentielles, voire des cibles privilégiées.