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CHAPITRE 1 : APERÇU DE LA MÉTHODE D’ANALYSE NARRATIVE ET CADRE

1.1. Aperçu de la méthode d’analyse narrative

Parmi les différentes méthodes de lecture des récits que propose l’exégèse biblique, il nous a paru avantageux de retenir la méthode d’analyse narrative. Mais en quoi consiste cette méthode de lecture ?

1.1.1. Analyse narrative (narrative criticism66)

D. Marguerat et Y. Bourquin définissent l’expression « analyse narrative » comme une méthode de lecture qui explore et analyse ce qui, dans un texte, exprime la narrativité. L’analyse s’intéresse aux différentes fonctions du texte, à leur ordre d’apparition et aux informations qu’elles fournissent au lecteur67. Ils renchérissent qu’elle est une

lecture de type pragmatique étudiant les effets de sens dégagés par la disposition du récit ; elle présuppose que cette disposition concrétise une stratégie narrative déployée en direction du lecteur. Ce type de lecture est situé : « Non pas sur l’axe de la représentation, mais sur celui de la communication ». Sa question : comment l’auteur communique-t-il son message au lecteur ? Par quelle stratégie l’auteur organise-t-il le déchiffrement du sens par le lecteur ? L’étude porte ici sur la structuration qui permet au message d’atteindre l’effet recherché par l’émetteur68.

66 L’appellation narrative criticism (analyse narrative) émane de David Rhoads (source : Daniel Marguerat, et Yvan Bourquin, Pour lire les récits bibliques, Paris, Cerf, 1998, p. 15).

67 D. Marguerat, et Y. Bourquin, Pour lire les récits bibliques, Paris, Cerf, 1998, p. 9. 68 Ibid, p. 12.

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La lecture pragmatique est une « méthode de lecture questionnant le texte à partir des effets qu’il exerce sur le lecteur ; elle en repère les indices pragmatiques, qui sont les instructions suggérant au lecteur de quelle façon le texte [doit] être reçu. L’analyse narrative s’attache au récit, l’analyse rhétorique couvrant le champ du discours69. »

Abordant l’évangile de Marc, G. Bonneau dira que : « [l]’étude narrative […] met en valeur la cohérence d’ensemble du récit. Pour en saisir la trame, on cherche à déterminer le rôle du narrateur, les situations de temps et d’espace, l’intrigue, les différents personnages, bon ou mauvais, de même que leurs points de vue respectifs70. »

Prenant appui sur la présentation schématique de la communication verbale du linguiste Roman Jakobson71, D. Marguerat et Y. Bourquin l’adaptent à la lecture du texte narratif.

Il ressort de leur étude que toute communication verbale vise l’envoi d’un message, ce dernier comportant toujours, deux aspects, à savoir le contexte et le code. Le contexte est le monde de représentation auquel le message renvoie. Le code linguistique vise la différenciation des phonèmes (les unités minimales distinctives) qui forment les monèmes (unités minimales significatives). Ainsi, étudier le contexte, c’est analyser la fonction référentielle du message, c’est-à-dire la réalité à laquelle il se réfère. S’intéresser au code, c’est analyser la fonction

69 Ibid, p. 15.

70 G. Bonneau, Stratégies rédactionnelles…, p. 29.

71 D. Marguerat, et Y. Bourquin, Pour lire les récits bibliques…, p. 10. CONTEXTE

DESTINATEUR → MESSAGE → DESTINATAIRE ↓

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métalinguistique du message. C’est le lieu où l’on identifie le code commun au destinateur et au destinataire72.

Le schéma de R. Jakobson appliqué à la lecture du texte narratif par D. Marguerat et Y. Bourquin présente une autre configuration par rapport au premier (schéma ci-dessus). Nous tenons à signaler que la forme du schéma ci-dessous n’est pas tout à fait conforme à celle de l’original.

D. Marguerat et Y. Bourquin expliquent que « l’auteur transmet au lecteur une œuvre littéraire, qui d’un côté renvoie au monde représenté (l’information), d’un autre côté articule et met en réseau des signes verbaux (le langage)73 ».

Nous repérons d’ores et déjà quelques éléments fondamentaux de l’analyse narrative, tels que l’étude des personnages, l’intrigue, la situation de temps et d’espace, le contexte de la narration du récit, le message que véhicule le texte, la façon dont l’auteur communique son message, l’effet du message sur le lecteur. La liste n’est pas exhaustive. D’autres éléments de la narration seront abordés dans l’étude de Jos 6 au chapitre suivant.

72 Ibid., p. 10. 73 Ibid., p. 11. ŒUVRE LANGAGE INFORMATION A U T E U R L E C T E U R signes verbaux monde représenté appel el appel énoncé

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1.1.2. Quelques principes de la lecture narrative

Toute lecture de texte qui se veut sérieuse est régie par des règles qui l’orientent vers un but précis. La lecture narrative ne déroge pas à ce principe. De tout évidence, comme le soulignent D. Marguerat et Y. Bourquin, l’analyse narrative

s’inscrit dans un changement radical de paradigme des études littéraires, annoncé par la H. R. Jauss en 1969, et qui fait basculer l’intérêt du pôle de l’auteur vers le pôle du lecteur. L’ambition est de libérer le texte de toute tyrannie qui le fasse dépendre de son auteur, de son histoire, de son milieu de production. […]. [Ainsi,] [l]e texte n’est pas lu comme un document renvoyant à un monde historique en dehors de lui ; il n’est pas reçu comme un document, mais comme un monument qui a valeur en lui-même, comme une œuvre autonome, déployant un monde narratif dont il s’agit de repérer la cohérence74.

Partant de ce principe, ils ajoutent que le « [l]e texte est lu dans sa forme achevée, et la compréhension de son fonctionnement ne se fait pas guider par sa généalogie. La question glisse du « pourquoi » au « comment » : comment la narration fait-elle sens ? comment et par quelles étapes se construit-elle ? 75» C’est pour cela que « l’œuvre doit être lue indépendamment d’une hypothèse sur le contexte de communication de l’écrit76. » Il ressort

également de l’analyse de ces auteurs que

le récit est reçu en narratologie comme un objet textuel communiqué par l’émetteur au récepteur. Il est postulé que par le texte, l’émetteur veut agir sur le destinataire, et les narratologues s’intéressent à repérer la stratégie narrative déployée dans le récit en vue d’agir sur le récepteur […]. [L]a narratologie abdique devant la possibilité de reconstruire l’identité de l’auteur et des récipiendaires historiques de l’écrit. [Toutefois], elle ne renonce pas pour autant à reconstruire leur identité narrative […]. De même, le texte nous donne accès à l’image que le narrateur se fait (ou veut donner) de ses destinataires, et non à leur identité réelle77.

Conscients désormais de principes fondamentaux qui régissent l’analyse narrative, nous pourrons l’appliquer au texte de Jos 6. De ce fait, toute possibilité de reconstruction de l’identité historique de l’auteur du récit ainsi que celle des lecteurs originels de l’écrit ne

74 Ibid., p. 16. 75 Ibid. 76 Ibid. 77 Ibid., p. 17.

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seront pas prises en compte. Nous lisons Jos 6 indépendamment des contextes primitifs de communication de l’écrit. Cela sous-entend que les étapes de composition du récit, les supposés ajouts dont il semble avoir été l’objet, ne feront pas partie de l’analyse narrative en cours. En revanche, nous aborderons Jos 6 comme un produit fini et prêt à être « consommé » par le lecteur que nous sommes. Notre tâche est de repérer la stratégie narrative déployée dans Jos 6 et son effet sur nous. Nous adhérons à ce propos de Stanley Fish repris par R. J. Hurley qui stupile que « c’est le lecteur, défini comme un réseau d’expériences et de connaissances, qui est la source de toute signification et de tout sens textuel78. »

1.1.5. Nos référents de base

En adoptant la méthode d’analyse narrative, nous nous appuierons sur quelques auteurs. Pour aborder le volet narratif de la méthode nous avons retenu Robert Alter79, Jan P. Fokkelman80, Daniel Marguerat et Yvan Bourquin81. Nous nous référons à Robert J. Hurley82 et à Sébastien Doane83 pour mieux applique l’ARL au texte à l’étude (Jos 6).

Toutefois, au besoin, nous aurons recours à d’autres analystes dont les écrits s’inscriront dans la même perspective et orienteront davantage notre réflexion sur le sujet.