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Une portée extraterritoriale de la législation des Etats-Unis d’Amérique

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 97-100)

La société numérique, un cadre hétérogène de protection des libertés

Section 1. Les droits fondamentaux dans la société numérique Comme précisé par le Conseil d’État, « l’ensemble de la législation existante s’applique aux

C) La difficile harmonisation internationale des réglementations en matière de liberté d’expression dans un monde numérique

1) Une portée extraterritoriale de la législation des Etats-Unis d’Amérique

‑ace aux litiges portés devant les juridictions nord-américaines, les décisions diffèrent selon que le défendeur soit ou non d’origine nord-américaine. Alors que les lois des ‐tats-Unis d’Amérique peuvent devoir être appliquées par des sociétés européennes ou autres hors du territoire des ‐tats-Unis424, les juges protègent les sociétés nord-américaines qui contreviendraient à une législation européenne sur le territoire de l’Union européenne.

‐n 2000, le tribunal de Grande Instance de Paris a condamné Yahoo pour avoir donné accès à une vente aux enchères d’objets nazis, sur son site via Yahoo US. Le juge français a rejeté l’argumentation de Yahoo, selon laquelle instituer un blocage en fonction de l’origine géographique était impossible. L’ordonnance425 rendue par le tribunal imposait à l’entreprise américaine de : «prendre toutes les mesures de nature à dissuader et à rendre impossible toute consultation sur Yahoo.com du service de ventes aux enchères d’objets nazis et de tout autre site ou service qui constituent une apologie du nazisme ou une contestation des crimes nazis ». Suite à cette décision soulevant la question de l’applicabilité de l’injonction d’un juge français sur le territoire des États-Unis, la Cour du District de San José (Californie), saisie par Yahoo!

Inc., dans un jugement du 7 novembre 2001, considéra que «bien que la France ait le droit souverain de contrôler le type d’expression autorisée sur son territoire, cette cour ne pourrait appliquer une ordonnance étrangère qui viole la Constitution des États-Unis en empêchant la pratique d’une expression protégée à l’intérieur de nos frontières »426. Ce jugement fut cependant annulé par la cour d’appel du 9e District, dans un arrêt du 23 août 2004, pour des raisons de procédure.

La Cour d’appel fédérale de San ‑rancisco a rendu le 12 janvier 2006 une décision au fond s’agissant de l’application de la décision française sur le territoire américain427. Son raisonnement suit plusieurs points. Tout d’abord, elle a relevé que : Yahoo! Inc. n’avait pas

424 Par exemple, les règles d’embargo édictées par les ‐tats-Unis d’Amérique doivent être respectées dès que le dollar est utilisé comme monnaie de transaction.

425 Tribunal de Grande Instance de Paris, Ordonnance de référé du 22 mai 2000, UEJF et Licra c/Yahoo! Inc. et Yahoo France.

426 Judge Jeremy ‑ogel ''Although France has the sovereign right to regulate what speech is permissible in France, this court may not enforce a foreign order that violates the protections of the United States Constitution by chilling protected speech that occurs simultaneously within our borders,'' ‑ederal District Court for the Northern District of California, in San Jose.

427 “Court throws out Yahoo case over ‑rench W‐B restrictions”, Juanary 18, 2006, URL:

https://www.rcfp.org/browse-media-law-resources/news/court-throws-out-yahoo-case-over-french-web-restrictions, consulté le 16 février 2017.

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choisi d’effectuer un recours devant les juridictions françaises, mais directement devant les juridictions américaines. Puis, elle a rappelé que Yahoo! Inc. avait respecté les mesures ordonnées par le tribunal français en restreignant l’accès du site aux ‑rançais uniquement et que, dès lors, il n’y avait pas lieu de se prononcer sur l’entrave au premier amendement. ‐n outre, elle a considéré que les restrictions ne s’appliquant qu’au public français et n’ayant aucune incidence sur le public américain, l’atteinte substantielle au premier amendement ne pouvait être invoquée : «Comme indiqué précédemment, l’extension - en fait l’existence - d’un tel droit extraterritorial en vertu du premier amendement est incertaine »428.

La Cour a relevé le fait que l’accès à de tels contenus était interdit en ‑rance et qu’il ne fallait en aucun cas faciliter la violation par les ‑rançais de la législation française. Concernant l’argument, mis en avant par Yahoo! Inc., selon lequel la décision française, restreignant l’accès du site, était susceptible d’avoir des répercussions, de manière indirecte, sur le public américain, elle a estimé que les conséquences, en matière d’accès, sur les utilisateurs américains n’étaient pas démontrées en l’espèce. ‐lle a ajouté que même si cela avait été démontré, l’application du premier amendement ne pouvait être étendue à la ‑rance.

‐nsuite, elle a envisagé la possibilité pour les juridictions françaises de condamner Yahoo! Inc.

à de nouvelles restrictions. Pour la Cour, une interdiction générale d’accès au site, ayant des conséquences sur les utilisateurs américains, aurait constitué une atteinte à la liberté d’expression sur le sol américain.

‐nfin, la cour d’appel américaine a émis de vives interrogations s’agissant de restrictions excessives pouvant être prononcées par les juridictions étrangères et susceptibles de porter atteinte aux droits des citoyens américains : «Ce niveau de préjudice n’est pas suffisant pour éliminer l’incertitude factuelle portant sur la question juridique présentée et ainsi rendre cette poursuite acceptable»429. ‐lle a cependant admis les difficultés liées à l’utilisation internationale de l’Internet. ‐n effet, elle a considéré que les problèmes liés à la liberté d’expression sur l’utilisation internationale d’Internet sont «nouveaux, importants et difficiles» : « Nous devons agir avec précaution, avec conscience des limites de notre compétence judiciaire dans ce domaine peu développé de la Loi. Précisément de la nouveauté, de l’importance et de la difficulté des implications du premier amendement dont YAHOO!

428 “As we indicated above, the extent – indeed the very existence – of such an extraterritorial right under the First Amendment is uncertain”.

429 “This level of harm is not sufficient to overcome the factual uncertainty bearing on the legal question presented and thereby to render this suit ripe”.

cherche à débattre, nous devons observer scrupuleusement les limites prudentielles dans l’exercice de notre pouvoir »430.

Les associations françaises ont formé un recours devant la Cour suprême afin d’obtenir confirmation de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale de San ‑rancisco. La Cour suprême, disposant d’un pouvoir discrétionnaire, a refusé le 30 mai 2006 l’examen de ce recours. Yahoo! Inc. peut donc saisir d’autres juridictions pour tenter d’obtenir des décisions en sens contraire de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de San ‑rancisco. Cette décision n’est pas définitive en droit américain, pays de Common Law. D’autres sociétés peuvent se prévaloir de cette affaire pour rester hors de portée des législations européennes et des décisions de justice les condamnant.

Cette affaire Yahoo! montre la difficulté de faire appliquer une décision d’un tribunal français sur un territoire étranger, la procédure d’exequatur se heurtant alors aux droits locaux. Si la Cour d’appel fédérale de San ‑rancisco a reconnu au gouvernement français la possibilité d’agir pour faire respecter sa législation sur son territoire, ce jugement n’est pas définitif, car non confirmé par une Cour suprême. Comme le constate Jean-Jacques Lavenue431, la situation inverse, une violation des lois américaines par un serveur situé hors du territoire des États-Unis a connu une réponse complètement inverse432. Ainsi, alors que les tribunaux américains poursuivent des entreprises non américaines pour non-respect de la législation américaine433, les entreprises américaines condamnées par un tribunal non américain quand elles violent une loi non américaine, voient l’effectivité de la condamnation remise en cause si elles respectent une législation américaine moins contraignante. Si pour les États-Unis d’Amérique, la législation américaine a une portée extraterritoriale, les législations d’autres États ne peuvent que difficilement s’imposer aux entreprises américaines434.

430 “We should proceed carefully, with awareness of the limitations of our judicial competence, in this undeveloped area of the law. Precisely of the novelty, importance and difficulty of the First Amendment issues Yahoo! seeks to litigate, we should scrupulously observe the prudential limitations on the exercise of our power”.

431 Jean-Jacques Lavenue, « Internationalisation ou américanisation du droit public : l'exemple paradoxal du droit du cyberespace confronté à la notion d’ordre public », Lex Electronica, vol. 11 n°2 (Automne / ‑all 2006).

Disponible en ligne à l’URL : http://www.lex-electronica.org/articles/v11-2/lavenue.pdf consulté le 14 décembre 2017.

432 Affaire World Sport Exchange, citée par Jean-Jacques Lavenue dans l’article précité.

433 Juin 2014, BNP Paribas s’est vu infliger une amende de 8,9 milliards de dollars pour avoir utilisé le dollar dans des transactions avec des « ennemis des États-Unis » sous embargo américain.

Décembre 2014, Alstom est condamné à payer une amende de 772 millions de dollars pour violation des lois américaines sur la corruption pour avoir payé des pots de vin en Chine, Inde et Indonésie.

434 Jean-Jacques Lavenue, « Internet : efficacité des poursuites et ordre public international » in Irène Bouhadana, William Gilles (sous la direction.), Cybercriminalité cybermenaces et cyberfraudes, pp. 84-91, Les éditions Imodev, mars 2012.

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Un site américain peut continuer à favoriser l’apologie du nazisme ou de crimes contre l’humanité au titre du premier amendement, même si un tribunal américain reconnaît des problèmes liés à la liberté d’expression sur un réseau international. Mais la censure pratiquée par les sites ‑acebook ou YouTube n’est pas justifiée par la loi et contrevient donc aux protections internationales, en particulier à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1946, signée par les États-Unis d’Amérique. Plutôt que pratiquer une censure basée sur les mentalités américaines, une déclinaison de versions locales des sites Internet, respectant les législations nationales ou régionales, permettrait un respect de la liberté d’expression dans le cadre des lois ou traités internationaux.

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