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III. Méthodologie

III.2 Population

III.2.1. Contexte du recueil des données

Il est important de préciser en préambule la particularité de ma position dans cette recherche que j’ai menée sur mon lieu de travail, à l’Unité de Consultations et de Soins Ambulatoires du Centre de Détention de Saint-Mihiel, où j’exerce depuis 2001 en tant que psychologue clinicienne rattachée au Centre Hospitalier Spécialisé de Fains-Véel.

Etant la seule psychologue de ce service (à part un collègue qui n’intervenait que pour des vacations d’une demi-journée par semaine et qui a changé de poste sans être remplacé), je me trouve dans l’obligation de réaliser les bilans de personnalité des patients que je suis amenée à suivre par ailleurs.

Il en a donc été de même pour ce travail de doctorat puisque les sujets qui ont accepté de participer à cette étude étaient des personnes qui avaient préalablement fait une demande pour rencontrer l’équipe de soins psychiatriques.

Il est vrai que cela introduit un biais à la fois au niveau de la recherche et de la prise en charge ultérieure mais, d’une part, il m’aurait été très difficile d’obtenir une autorisation de l’Administration Pénitentiaire pour cette investigation dans un établissement où je n’intervenais pas et, d’autre part, j’ai choisi l’option qui me paraissait être la moins préjudiciable pour les patients.

Dans un premier temps, sur une période de 3 ans (de 2003 à début 2006), j’ai proposé aux sujets déclarant, lors de notre premier entretien, être condamnés pour des agressions sexuelles ou des viols, un bilan de personnalité exhaustif, correspondant au protocole de ma recherche, mais uniquement à ceux pour lesquels cela me paraissait pouvoir être utile à la prise en charge ultérieure, c’est-à-dire à ceux qui me disaient ne pas avoir été jusque-là soumis à cette exploration, qui n’avaient pas encore véritablement entamé de prise en charge et pour lesquels ce bilan pouvait conduire l’équipe à choisir une orientation thérapeutique adaptée.

Une dernière condition était requise, la reconnaissance au moins partielle (Coutanceau, Martorell, 1997) des faits pour lesquels ces personnes étaient condamnées : j’avais, en effet, l’intention de faire porter une partie de mon étude sur ce point, en particulier sur la relation de l’agresseur avec la ou les victimes comme cela sera développé plus loin.

Ce n’est que dans un deuxième temps, et après leur avoir fait un compte-rendu personnalisé du bilan psychologique ainsi qu’une proposition de prise en charge, que je leur ai demandé à chacun s’ils m’autorisaient à utiliser les données que j’avais recueillies pour mon doctorat, en leur faisant signer un consentement écrit garantissant l’anonymat et précisant que leur décision n’aurait aucune influence, ni sur la suite de leur parcours de soins, ni, bien évidemment, sur leur détention (document I.1 des annexes).

J’ai obtenu, en tout, 14 protocoles, correspondant globalement au tout-venant de ma pratique quotidienne, dont 8 étaient exploitables.

En effet, par rapport à l’échantillon de départ, un homme ne correspondait pas aux critères de sélection puisqu’il était mineur au moment des faits, une personne a refusé de donner son accord, 3 autres ont été libérées avant que je puisse leur demander leur consentement et un

homme s’est avéré extrêmement hostile lors de la proposition de prise en charge de l’équipe au point d’opérer une rupture, ce qui m’a conduit à penser qu’il n’était pas opportun de lui faire la proposition de participer à cette recherche.

Enfin, étant donnée la lourdeur de la passation des protocoles et de l’exploitation de la grande quantité des données recueillies, en accord avec mon directeur de thèse, j’ai choisi de m’en tenir à un petit échantillon de sujets pour me centrer sur une analyse clinique qualitative. Je me suis basée sur la position de Widlocher (1990, 1999) qui soutient qu’il est pertinent de mener une recherche clinique sur un petit nombre de cas quand celle-ci est exploratoire puisqu’il s’agit de l’étude d’une problématique nouvelle qu’il est nécessaire d’aborder en profondeur, de façon extrêmement fine.

III.2.2. Description de la population

Le centre de détention de St Mihiel accueille environ 400 détenus de sexe masculin tous condamnés (et non prévenus), pour des peines dont les motifs et la durée sont très variables. Il compte environ 30% de détenus dont le motif d’incarcération sont des agressions sexuelles au sens large.

A titre indicatif, ces patients constituaient 30% de la file active du service de soins psychiatriques dans lequel nous exerçons (qui était de 270 détenus en 2006), ce qui représentait donc, à peu près 80 personnes bénéficiant d’une prise en charge spécialisée.

Nous avons pu constater que cette proportion restait stable au fil des années.

Nous avons choisi de ne pas sélectionner les sujets de notre étude en fonction de la qualification pénale des crimes et délits qu’ils avaient commis (même si nous avons fait en sorte de ne pas inclure des actes où la violence est allée jusqu’au meurtre afin de garantir une certaine homogénéité de notre échantillon, comme nous l’avons précisé plus haut) ni en fonction de l’âge et du sexe de leurs victimes.

Le seul dénominateur commun a été le fait que les victimes soient majoritairement, pour chaque individu, des mineur(es) de moins de 15 ans

Notre priorité était, en effet, surtout de délimiter un champ précis concernant la personnalité des auteurs d’agressions sexuelles et nous n’avons pas contrôlé strictement les autres facteurs afin de ne pas être trop restrictifs. De plus, comme le soulignent un certain nombre d’auteurs (par exemple, Bouchet-Kervella, 2002 ; Neau, 2001 ; Roman, 2007), l’acte ne rend pas compte de la personnalité et les caractéristiques de la victime a priori non plus, comme nous allons tenter de le faire ressortir ci-dessous.

III.2.2.1. Critères concernant les auteurs d’agressions sexuelles :

III.2.2.1.1. Qualification des délits ou crimes

La population que nous avons choisie d’étudier se caractérise par le fait qu’il s’agisse de sujets étant passés à l’acte et ayant été condamnés pour des délits ou des crimes dont la qualification pénale est « agressions sexuelles sur mineur(es) de 15 ans » ou « viol(s) sur mineur(es) de 15 ans » -au delà de 15 ans, la loi parlant de majorité pénale.

Le nouveau Code Pénal, en vigueur depuis 1994, dans la section 3 du livre II, intitulé « Des agressions sexuelles », définit le « viol », dans l’article 222.23, comme « tout acte de pénétration de quelque nature qu’il soit » et il est distingué des « autres » « agressions sexuelles » (article 222.27).

Cependant, la qualification pénale ne correspond pas toujours à ce que l’individu reconnaît avoir commis. Or, nous nous sommes basés, dans une perspective clinique, sur le discours des sujets concernant leurs actes. C’est une autre raison pour laquelle la sélection de notre échantillon, en fonction de la qualification pénale, paraissait peu pertinente.

Le tableau II des annexes donne une description de notre population en ce qui concerne l’âge des individus (qui va de 32 à 48 ans), leur niveau scolaire (seul un sujet a un niveau supérieur au bac ; les autres étant tous en deçà du collège en troisième), la qualification pénale précise des faits pour lesquels ils sont incarcérés au moment où nous les avons rencontrés (5 individus condamnés pour viols et 3 pour attouchements, ce qui correspond aux « autres agressions sexuelles » du Code Pénal) et le fait que cela constitue ou non une récidive (50% des sujets sont récidivistes, le terme n’étant pas entendu ici dans son sens légal).

III.2.2.1.2. Auteurs d’agressions sexuelles de mineurs et pédophilie

La distinction entre les termes d’« agresseur sexuel de mineurs » et de « pédophile » est très rarement interrogée dans les recherches que nous avons parcourues.

Peut-on dire que tous les auteurs d’agressions sexuelles sur des mineurs sont des « pédophiles » ? Qu’est-ce qu’un « pédophile » ? S’agit-il de meurtriers d’enfants tel que Marc Dutroux, de pères incestueux ou d’hommes condamnés pour des attouchements ?

Selon Coutanceau (2002), « l’attrait pédophilique peut être un choix d’objet exclusif, prévalent ou simplement secondaire. D’un point de vue purement clinique, le choix d’objet pédophilique suppose un attrait exclusif ou au moins prévalent. Et la réalité clinique souligne par ailleurs la fréquence d’attrait pédophilique secondaire chez des sujets hétérosexuels adultes ou homosexuels adultes prévalents, ayant de fait une sexualité peu épanouie, avec l’émergence d’une attirance secondaire pour l’enfant. ».

Nous avons l’intention ici d’étudier des individus ayant commis un ou plusieurs passages à l’acte sexuels sur des mineurs et non uniquement la « pédophilie » au sens restrictif d’attrait « exclusif ou prévalent » pour les enfants (Coutanceau, 2002).

III.2.2.2. Critères concernant la victime :

Nous n’avons pas retenu de critère de sélection concernant l’âge ou le sexe des victimes ni la nature incestueuse ou non des passages à l’acte, ni le nombre de victimes par agresseur.

En effet, nous avons souhaité faire porter des hypothèses sur les questions de l’âge et du sexe des victimes et nous avons pu constater que, même si tous les faits commis par les sujets de notre échantillon n’étaient pas d’ordre incestueux, chacun d’entre eux avait fait au moins une victime (reconnue ou non) ayant un lien de parenté plus ou moins éloigné avec lui (ce qui reflète les statistiques données, par exemple, par Ciavaldini, 2001).

De même, concernant l’âge des victimes, nous nous sommes aperçus que la plupart des auteurs d’agressions sexuelles de notre population étaient passés à l’acte à la fois sur des enfants de moins et de plus de 10 ans, ce qui rend la distinction, mise en avant par Gourlaouen-Couton (2002), caduque pour notre propre étude.

Ce chercheur a, de fait, « opté pour la limite des 10 ans », « garantissant un minimum l’aspect physique de la victime puisque statistiquement la puberté n’a pas encore débuté » (il n’existe donc pas de traits sexuels secondaires), pour différencier ce qu’elle nomme les pédophiles (victime dont l’âge est inférieur à 10 ans) des violeurs (victime dont l’âge est supérieur à 10 ans).

L’âge inférieur, quant à lui, a été fixé par cet auteur à 3 ans, ce qui est considéré comme la « limite entre le bébé et le petit enfant » par l’Association Mondiale de Psychiatrie du nourrisson : aucune victime dans notre recherche n’a moins de 3 ans.

Nous nous sommes rendus compte que deux sujets de notre échantillon (M.E et M.F), qui ont fait plusieurs victimes, avaient parmi celles-ci des adolescents de plus de 15 ans (en plus de M.D qui a agressé sexuellement un jeune adulte en détention, après sa condamnation dans le cadre de laquelle nous l’avons rencontré ) mais nous les avons, malgré tout, inclus dans notre recherche parce qu’il ne semblait s’agir que d’épiphénomènes (la majorité de leurs victimes étant mineures de moins de 15 ans).

Les tableaux IV.2.6.1 des annexes donnent une description succincte (âge, sexe, lien de parenté avec l’agresseur) de l’ensemble des victimes des auteurs d’agressions sexuelles de notre population.