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II. Cadre théorique de la recherche

II.2 Approche psychologique et psychopathologique de la personnalité des auteurs

II.2.2 Les caractéristiques spécifiques des sujets structurés sur le mode de la perversion

II.2.2.6. Le choix d’objet et la relation d’objet chez les individus structurés sur le

II.2.2.6.1. Le choix de la victime : question du choix d’objet pédophilique

Bouchet-Kervella (1996a et b) propose « quelques hypothèses à propos du choix de l’enfant comme objet-fétiche ».

Elle se demande en effet « pourquoi les pervers pédophiles s’adressent […] à des enfants alors que les autres formes de perversion plus courantes se satisfont de partenaires adultes, pour

mettre en scène la relation spéculaire idéale mère-enfant» et propose les éléments de réponse suivants :

« Tout se passe chez eux comme si s’étaient conjugués, dans des proportions variables selon chaque cas, deux niveaux traumatiques (Bouchet-Kervella, 1996a) :

-d’une part, une carence de la « pédophilie » parentale primaire (Paul Denis, 1993), nécessaire à la fois à l’instauration de l’assise identitaire et à l’organisation des processus d’intrication pulsionnelle ;

-d’autre part des expériences de rejet brutal par le couple parental, souvent concrétisées par des séparations soudaines subies sans préparation, et ressenties comme vœu parental d’expulsion radicale demeurant inélaborable car dépassant en qualité et en intensité le vécu, finalement organisateur quoique toujours douloureux, d’une exclusion provisoire et convenablement modulée de la scène primitive.

La combinaison de ces deux éléments pourrait renvoyer à une confrontation excessive, à la fois trop précoce et trop massive, à la situation psychique considérée par C. et S. Botella20 comme la plus fondamentalement traumatique : « la disparition de la représentation de soi dans le regard de l’autre ». Dans cette perspective, on peut se demander si la désignation de l’enfant comme partenaire érotique d’élection pour un adulte ne serait pas avant tout destinée à dénier et remplacer l’insupportable représentation inverse : celle de l’enfant non désiré et indésirable, voire gêneur à éliminer. Le déni porterait ici sur un manque spécifique concernant, bien au-delà de l’absence de pénis sur le corps de la mère, les investissements narcissiques et érotiques par trop défaillants d’un ou des deux parents. »

Nous constatons donc là que Bouchet-Kervella se situe toujours dans la deuxième approche de la théorie de la perversion.

Gourlaouen-Couton (2002, p.137-138) parle quant à elle de « choix d’objet narcissique » chez le pervers en s’appuyant sur Balier (1996) et Freud (191421) : « l’individu s’identifie à sa mère à défaut de la prendre comme objet ».

II.2.2.6.2 Relation d’objet

II.2.2.6.2.1 Statut de la victime

Bouchet-Kervella (1996 a et b) affirme que « le diagnostic de perversion est retenu quand « l’acte déviant s’inscri[t] dans cette organisation topique, économique et dynamique très particulière où la sexualité est utilisée, au-delà de la satisfaction érotique, à des fins narcissiques diverses concrétisées par la recherche d’une relation spéculaire idéalisée avec la

20 Botella, C. et S. (1995). Du perceptif aux causalités psychiques. Revue française de psychanalyse, 2. 21 Freud, S. (1914). Pour introduire le narcissisme. In : La Vie Sexuelle. Paris : PUF, 1989.

mère ». Elle ajoute que « Les perversions sexuelles peuvent être définies par la tendance compulsive à recourir, en guise de solution aux conflits intra ou intersubjectifs, à une jouissance orgastique, ritualisée selon un scénario immuable et répétitif, dont la mise en acte est fondée sur un mode relationnel prégénital idéalisé. »

Chagnon (2005) précise que « le déni de la différence des sexes et des générations permet de maîtriser le sentiment insupportable d'exclusion de la scène primitive (la mère unie avec le père) en la recréant sur un mode d'agir narcissique : le traumatisme majeur lié à la reconnaissance de l'altérité sexuée de la mère, sa féminité maternelle est ainsi contournée. Le commerce sexuel avec l'enfant confond érotisme et tendresse : les échanges plus maternalisés que génitaux visent à incarner une représentation de complétude entre mère et enfant auxquels le sujet ne veut/ peut pas renoncer, peut-être parce que perdu trop tôt. »

Cette position rejoint celle de Bouchet-Kervella (1996 a et b).

De même, C. Balier (cité par Martorell, Coutanceau, 1998b) « se positionne vis-à-vis des pédophiles « latéralisés », fixés dans leur investissement libidinal, n’investissant de façon prévalente qu’un choix d’objet pédophilique. » : « en fait, la pédophilie sans violences corporelles et sans contraintes (ou dite telle) s’appuie sur la force de la séduction narcissique terriblement destructrice. L’enfant « aimé » est soi-même, on le sait. Soi-même idéalisé dans le regard de la mère, reste de Soi […].Le pédophile s’intéresse à l’enfant en fonction de ses caractères féminins : les jolies bouches, les lèvres ourlées, la peau douce…Il retrouve sensuellement l’unité (mère-enfant) qu’il se refuse à perdre. Il en fait passer le message par sa victime. Nous retrouvons là le phénomène de « captation spéculaire ». C’est dire toute la puissance de la séduction qui aliène l’autre dans le narcissisme de l’agresseur […]. Cette captation est d’autant plus puissante que l’enjeu est d’importance : la dépression qui guette constamment l’arrière-plan, reconnue par tous les auteurs. Une dépression narcissique, fort bien décrite par Rosolato, qui repose notamment sur une expérience de vide (psychique). » Le concept de « captation spéculaire » semble renvoyer en partie à celui d’emprise, dans sa dimension érotisée, décrit par Dorey (1981).

II.2.2.6.2.2 L’emprise dans la relation avec les sujets structurés sur le mode de la perversion

Comme nous l’avons déjà abordé plus haut de façon générale, la relation d’objet avec les sujets pervers serait marquée par l’emprise dans sa dimension érotisée (Dorey, 1981) :

« C'est dire que l'emprise du pervers s'exerce de façon privilégiée sur son partenaire sexuel ; elle n'est guère moins sensible cependant dans toute relation à l'autre et est alors d'autant plus pernicieuse qu'elle se dissimule habilement. L'arme utilisée est essentiellement la séduction, à

entendre ici dans son sens le plus fort, à savoir qu'il s'agit d'une véritable action de séparation, de détournement, de conquête qui parvient à ses fins par l'étalement de ses charmes et de ses sortilèges, c'est-à-dire par l'édification d'une illusion dans laquelle l'autre va s'égarer. Cette séduction, en fait, prend valeur de fascination : toute la stratégie du pervers consiste à arborer tel type de désir érotique qui le caractérise et à tenter de révéler chez l'autre un désir équivalent ou d'obtenir de lui la réponse la plus adéquate à son exigence, traduisant donc l'émergence d'un désir complémentaire du sien. Qu'il parvienne ou non à ses fins, de toute manière, par cette entreprise le pervers nous fait violence […]. Cette séduction ne laisse donc jamais l'autre indifférent; il y réagit tantôt par la rébellion, tantôt par la soumission. Dans ce dernier cas, il est la victime d'une véritable captation par l'image, puisqu'il lui est proposé un désir qui n'est rien d'autre que le reflet de son propre désir. [...]. L'autre, en tant qu'il est réellement prisonnier de cette séduction par l'image, se voit intimement nié dans la singularité même de son désir, dans son altérité; son être désirant, comme tel, n'est pas aboli, mais il n'a d'existence que dans la mesure où il se maintient dans la position de double qui lui est assignée. ».

Dor (1987) précise que ce sont les relations primaires avec la mère qui sont à l’origine de l’emprise chez le pervers, l’enfant « appréhend[ant] l’instance du désir maternel comme principal support de sa propre dimension identificatoire ».

Husain (In : Tychey (de), 2007) résume ainsi les caractéristiques contrastées de « la relation d’emprise », que nous allons développer ici en particulier à travers les écrits de Mc Dougall (1978), Lefebvre (In : Tychey (de), 2007) et Wainrib (2003) : elle «oscille entre faire de l'autre un spectateur nécessaire, qu'il faut capter, fasciner, manipuler et le réduire à un objet méprisable, à dénigrer. ».

Lefebvre (In : Tychey (de), 2007) analyse, à travers les enjeux de la relation thérapeutique avec les « sujets pervers », les particularités de la place qu’ils assignent à l’autre : nous posons que ces spécificités participent de l’instauration de l’emprise.

L’auteur repère tout d’abord le fait que l’autre soit mis dans une position de « spectateur anonyme » » par les sujets pervers : la « « perspective en abîme » engagée par la démarche [du patient] face au thérapeute signe une première caractéristique de la relation perverse en ce qu'elle sert de cadre à un prolongement exhibitionniste et son travail de double renversement : montrer pour être regardé, le raconter pour provoquer le même effet. L'autre n'est pas un miroir, mais une trouée possible pour passer au-delà du miroir et suppléer une pulsion narcissique intériorisée ; être à la fois actif et passif, se regarder, devient alors se montrer pour être vu. L'autre est mobilisé comme ce « spectateur anonyme » dont parle Mc Dougall (1978).

Ce n'est pas un objet d'investissement mais un témoin nécessaire à la restauration narcissique.».

Nous pouvons en conclure que le désir de l’autre est totalement dénié.

Lefebvre (ibidem, p. 148) souligne, par ailleurs, le fait que les sujets pervers cherchent à produire un effet sur l’autre à travers leur discours : « on trouve chez le pervers une peur de perdre le contrôle, une peur de se laisser aller à l'orgasme, de se perdre dans sa jouissance, et cela au profit d'un vivre par procuration, de faire vivre cela à l'autre et d'en être à la fois l'instigateur et le spectateur. […] C'est dans cet espace, en provoquant et en observant l'effet produit, que le pervers parvient à maintenir un semblant d'équilibre entre les poussées pulsionnelles et les passages à l'acte.»

Le sujet pervers atteint, par ces mécanismes, l’intimité d’autrui. Pour Wainrib (2003), en effet, « la perversion affiche ce qui doit être soigneusement enfoui, l’enfant « pervers polymorphe » autant que les liens entre le désir et la transgression, pouvant ainsi susciter des mouvements intenses de fascination et de rejet chez les névrosés ».

Lefebvre (In: Tychey (de), 2007) remarque, de même, que le sujet pervers peut « sollicite[r] l’autre par une description provocatrice, aux limites de l’agression », « exhibe[r] sa sexualité » sans « aucune émotion ni sentiment », faire « une mise en acte de son fantasme « simplement » racontée ».

Rebourg-Roesler (2002, 2005) a particulièrement étudié cet aspect au Rorschach et précise : « certains énoncés […] sont à prendre comme des équivalents comportementaux qui visent à agir directement sur notre sensibilité avec l’effraction bouleversante de notre appareil psychique, et une volonté d’emprise sur l’interlocuteur. Il y a alors manipulation de l’interlocuteur, par le biais du langage dans les procédés rhétoriques particuliers […] qui font appel à la fonction conative du langage. ».

Mc Dougall (citée par Musquar, 1996) définit, de fait, la relation perverse comme transitionnelle où les autres sont des « objets-choses à maîtriser » : « faute d’avoir créé des objets transitionnels authentiques, ils font des autres de la scène du monde des proies ; ils sont en danger d’annihilation si les autres ne les abreuvent pas, d’où « une mise en acte sur la scène du monde » ».

Musquar (1996) rappelle ainsi que, pour Mc Dougall, « quand l’affect est forclos, c'est-à-dire éjecté de la psyché, et de ce fait exigeant une récupération par l'extériorisation de situations affectives que le sujet ne peut assumer comme siennes, il essaye de le manipuler inconsciemment à travers les autres. Ainsi, le pervers utilise ses fantasmes pour induire chez les autres des réactions affectives. Dans ce cadre, le destin des mots, c'est-à-dire à l'origine

joindre l’affect aux représentations mentales et lester le surgissement pulsionnel et émotionnel pour rendre les affects et les fantasmes accessibles à la pensée verbale (mentalisation, symbolisation), est ici subverti. Le pervers utilise des mots pour provoquer. ».

Enfin, pour Lefebvre (In: Tychey (de), 2007), « la perversion du transfert consiste à dépouiller les bons objets de leur pouvoir en dénaturant leurs qualités et leurs rôles ».

Wainrib (2003, p.17-18) et Lefebvre (In: Tychey (de), 2007) soulignent de fait un aspect particulier du contre-transfert dans la relation avec les sujets pervers : il s’agit de la survenue d’un agir du côté du clinicien (se sentir obligé de « faire autre chose que de continuer à analyser », de sortir de son rôle de clinicien, par exemple en se posant comme protecteur (Lefebvre, In: Tychey (de), 2007) ou en exprimant de l’agressivité) et / ou de « l’infiltration de positions morales, éthiques et surmoïques » dans le discours du clinicien (Lefebvre, In: Tychey (de), 2007).

II.3 Premières conclusions concernant la comparaison des

sujets auteurs d’agressions sexuelles ayant des traits pervers et

ceux structurés sur le mode de la perversion

Au terme de cette revue de la littérature concernant les points communs des auteurs d’agressions sexuelles en général et les particularités des sujets structurés sur le mode de la perversion, nous pouvons constater que :

-comme les recherches récentes sur la structure de personnalité des auteurs d’agressions sexuelles (en particulier celle de Ciavaldini et Girard-Khayat In : Ciavaldini, 2001) le mettent en évidence, il s’agit plutôt d’un groupe très hétérogène

-nous faisons ici l’hypothèse que cette caractéristique pourrait être due, en partie, au fait, que, même si, « la diversité des actes incriminés et des catégories pénales […] n’[est] pas nécessairement superposable à la diversité des organisations psychiques des sujets qui [ont] accompli ses actes » (Neau, 2001), le fait de mener une recherche dans laquelle aucune sélection n’est faite en ce qui concerne la nature du délit, ne peut que renforcer cette disparité. C’est le constat que fait Neau (2001) (la population qu’elle a étudié dans sa thèse étant une partie de celle de l’investigation de Ciavaldini et Girard-Khayat, In : Ciavaldini, 2001) :

« Ce présupposé constitue à coup sûr une limite à notre étude […] et un biais épistémologique: en présupposant que les dynamiques psychiques d'un père incestueux pendant de longues années, celles d'un exhibitionniste récidiviste et celle d'un violeur meurtrier sont susceptibles de présenter des traits communs, la recherche d'un plus petit

dénominateur commun à tous ces agresseurs sexuels ne risque-t-elle pas de nous détourner de la recherche, plus fructueuse, de dynamiques psychiques spécifiques à chacune de ces catégories ? ».

C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de nous focaliser, pour notre travail, sur des individus ayant commis des actes qui ont un minimum de points communs, c’est-à-dire le fait que leurs victimes soient des mineur(e)s mais sans qu’il y ait eu une violence allant jusqu’au meurtre (cela correspond donc à des attouchements ou des viols).

De plus, dans les thèses de Neau (2001) et Gourlaouen-Couton (2002), les groupes de sujets n’ont pas été constitués en fonction du diagnostic de personnalité et Gourlaouen-Couton (2002) précise, par exemple, qu’ils comprennent à la fois des individus aux « fonctionnements limites ou psychotiques ».

Nous pensons, quant à nous, que ces différents éléments peuvent conduire à mettre sur le même plan ce qui n’est pas comparable et nous avons, en conséquence, exclu , dans le choix de notre population, les individus ayant une structure de personnalité psychotique ou névrosée et choisi de nous centrer sur le champ des pathologies narcissiques comme nous l’avons justifié dans notre introduction.

-Nous faisons aussi l’hypothèse que certains aspects cités par Neau (2001), reprenant Balier, relèvent davantage de la perversité (au sens de Balier) que de la perversion sexuelle. En effet, quand Balier (1996) déclare, à propos de la fragilité narcissique des auteurs d’agressions sexuelles, que « la mise en acte radicale, avec un enjeu de vie et de mort » caractérise les agresseurs sexuels et empêche de les cantonner dans le champ de la perversion. » (Neau, 2001 citant Balier) ou pour ce qui est de la scène primitive que « les agresseurs sexuels pénètrent beaucoup plus directement et crûment dans la scène primitive elle-même [que les pervers] » (ibidem), nous comprenons que cela signifierait que la plupart des « auteurs d’agressions sexuelles » seraient plus proches de la psychose que les individus structurés sur le mode de la perversion, ce qui les apparenterait davantage à la perversité (selon Balier, 2002 a et b).

Il en va de même pour l’hypothèse de « mouvements qui apparaîtraient fréquemment sur un registre « masculin maniaque » » avancée par Neau (2005) pour lesquels elle parle d’« agirs très violents » et de « recours à l’acte », ce qui renvoie clairement à la notion de perversité selon Balier (2002a), comme le souligne Chagnon (2005).

Cela signifierait donc que les auteurs d’agressions sexuelles qui ne sont pas structurés sur le mode de la perversion relèveraient davantage de la perversité que d’états-limites avec des traits pervers, ce qui irait à l’encontre de notre présupposé : il s’agira donc de mettre cela à l’épreuve au travers des diagnostics différentiels que nous avons l’intention d’établir.

-Finalement, les points communs qui ont été relevés dans la littérature ne sont-ils pas justement le reflet d’un manque à la fois de différenciation à divers niveaux et de consensus sur le plan diagnostique ?

Nous ne pouvons donc pas nous baser uniquement et sans affinement sur les points communs répertoriés dans les études que nous avons consultées et nous allons tenter de procéder à un recadrage subtil dans la formulation de nos hypothèses théoriques.

-Par ailleurs, nous pouvons retenir, à l’issue de notre revue de la littérature, que ce ne sont pas uniquement les traits pervers qui sont à mettre en relation avec les passages à l’acte sexuels sur des mineurs mais aussi, et peut-être surtout, d’autres aspects de leur personnalité tels que la fragilité narcissique et le défaut de mentalisation.